par Sophie Malibeaux
Article publié le 19/02/2008 Dernière mise à jour le 20/02/2008 à 01:55 TU
« C’est un choc » a reconnu le porte-parole du PML-Q Tariq Azeem, « mais malheureusement nous perdons, et le facteur Nawaz Sharif a joué un très grand rôle dans notre défaite ». Ce commentaire tend à relativiser en effet le succès de Parti du peuple pakistanais. Le PPP de feu Benazir Bhutto, qui arrive en tête à l’Assemblée nationale, a beau célébrer sa victoire, ce n’est pas le raz- de-marée électoral que certains attendaient. En effet le PPP n’a pas réussi à conquérir l’Assemblée provinciale du Penjab. L’attentat du 27 décembre qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre a certes provoqué des ralliements, mais les quarante jours de deuil qui ont suivi ont constitué un handicap majeur pour une campagne déjà très courte. Pendant ce temps, le parti de Nawaz Sharif – une fois passée la tentation du boycott - a mis les bouchées doubles et remporté un franc succès dans toute la province du Penjab.
Le parti au pouvoir désavoué par les urnes
C’est un choc pour le parti au pouvoir, mais pas une surprise aux yeux de la plupart des observateurs. La côte du président Musharraf a tellement chuté ces derniers mois que toutes les facilités offertes aux candidats du parti au pouvoir n’y ont rien fait. Les candidats les plus en vue ont pris une claque magistrale, jusque dans leurs fiefs. Ainsi, le président du PML-Q Chaudhry Shujaat Hussain, dans sa ville de Gujrat au Penjab, où on le présente comme un véritable parrain, vaincu malgré tout par un candidat du PPP.
Même échec symptomatique à Rawalpindi, ville garnison dans la banlieue d’Islamabad pour Cheikh Rashid. Il fait parti de la vingtaine de ministres et anciens membres de l’équipe au pouvoir ayant perdu leur circonscription lors de ces élections. Le ressentiment s’est accumulé tout au long de la campagne électorale. Celle-ci s’est ouverte en plein état d’urgence, alors que Pervez Musharraf dénonçant un complot terroriste en profitait pour démettre les juges de la Cour suprême, qui allaient invalider son élection à la présidence de la République. De ce fait, le pouvoir s’est heurté à une levée de boucliers des juges et avocats, ainsi que de la presse soumise aux lois d’exception.
Il semble que l’argument des partisans de Nawaz Sharif demandant le retour à l’indépendance de la justice ait fait mouche pour toute une partie de l’opinion, assoiffée de justice et lassée par la corruption des régimes successifs. Pour calmer le jeu, Musharraf acceptait début décembre de quitter son uniforme de général pour se cantonner au rôle de président en civil. « Trop tard » clamaient ses adversaires.
Réélu par un Parlement acquis à sa cause en violation de la Constitution qui interdit le cumul des fonctions de président et chef des armées, Pervez Musharraf doit démissionner, n’ont cessé de répéter les sympathisants de Nawaz Sharif. Pas étonnant donc, que celui-ci réclame aujourd’hui le départ du chef de l’Etat. Mais Pervez Musharraf ne s’en ira pas, a assuré son porte-parole. D’emblée, le président pakistanais se pose en arbitre au-dessus des partis. Le jour même du scrutin, il affirmait que les partis remportant une majorité de voix devraient former un gouvernement et estimait que la réconciliation devait désormais remplacer la politique de la confrontation. Mais il semble que les partis d’opposition, forts de leur victoire, ne soient pas prêts à adopter le ton conciliant affiché par le chef de l’Etat. Outre l’appel à la démission réitéré ce mardi par Nawaz Sharif, Asif Ali Zardari déclarait en conférence de presse à Islamabad que son parti le PPP souhaitait une coalition d’opposition pour former un « gouvernement de consensus national », au sein duquel les membres issus du précédent gouvernement ne seraient pas les bienvenus.
Elan démocratique ou vote rejet ?
Ce mardi, alors que les résultats officiels n’étaient pas encore publiés, les tractations allaient bon train au QG des différents partis. Difficiles à suivre, ces tractations, par des partis qui ne reculent pas devant les changements d’alliance les plus contradictoires. On se souvient des pourparlers entre Benazir Bhutto et Pervez Musharraf, avant que celle-ci n’obtienne les garanties nécessaires pour son retour au pays. Le PPP et le PML-Q envisageaient alors de gouverner ensemble. Aujourd’hui, c’est avec les anciens rivaux du PML-N que se tissent les liens.
Ces volte-face à répétition font d’ailleurs partie des motifs invoqués par les analystes lorsqu’ils se penchent sur le faible taux de participation aux élections. Les estimations officielles tournent autour de 40 %, un taux semblable à celui des précédents scrutins. Ce n’est pas tout à fait exact, fait remarquer la spécialiste Mariame Abou Zahab. La participation ne fait que reculer au fil des années selon elle. A l’exception des populations rurales, toujours bien encadrées pour aller voter, l’électorat urbain, lui devient de plus en plus rare et volatile. « Les gens se disent que cela ne sert à rien d’aller voter » explique-t-elle, il y a trop de fraude, de corruption, sans compter la violence. Pourquoi prendre des risques en se rendant aux urnes quand on est persuadé que cela ne changera rien ? Pour Mariame Abou Zahab, la réalité de la participation au vote tournerait plutôt autour du tiers des inscrits, soit à peine plus de 25 millions d’électeurs sur 80 millions d’inscrits.
Reste que Pervez Musharraf n’a vraiment pas réussi à mobiliser les électeurs, en dépit des moyens à la disposition des candidats de son parti. Il sort extrêmement fragilisé de ce scrutin.
Le sort du chef de l’Etat en question
Plusieurs issues se profilent aujourd’hui. Si les deux principaux partis d’opposition arrivent à constituer une majorité des deux tiers au Parlement, ils pourraient avancer leurs pions en vue d’obtenir la destitution du président Musharraf. Cela passerait notamment par le rétablissement des juges composant la Cour suprême avant l’imposition de l’état d’urgence en novembre dernier. Mais les deux partis d’opposition n’ont pas le même intérêt dans cette affaire. Les revendications du PPP ne vont pas aussi loin que celles du parti de Nawaz Sharif à ce sujet et Pervez Musharraf pourrait trouver le moyen d’enfoncer un coin entre les deux partis afin de se maintenir au pouvoir.
Reste un facteur d’importance, le soutien des Etats-Unis à Pervez Musharraf. Les déclarations officielles au lendemain du scrutin laissent penser que Washington n’est pas prêt de laisser tomber son « allié » dans la guerre contre le terrorisme. C’est le discours officiel, même si de plus en plus de voix outre-Atlantique font remarquer que Pervez Musharraf est peut-être devenu une partie du problème plus qu’une solution.
A écouter
« Dans la capitale pakistanaise, la population se réjouit tout autant de la victoire de l'opposition que de la défaite du parti présidnetiel... Certains craignent encore que les grandes formations de l'opposition ne s'entendent pas...»
20/02/2008 par Nadia Blétry
« Pour Nawaz Sharif, il faut une résolution au Parlement (qui demande la majorité des deux tiers) pour destituer le chef de l'Etat ; le parti de Nawaz Sharif et celui du mari de Benazir Bhutto réunissent les deux tiers du Parlement ».
19/02/2008 par Stéphane Lagarde
« 'Musharraf c’est du passé', la phrase est dite avec le sourire… témoin du soulagement et de la volonté de changement des électeurs, à commencer par les partisans de Nawaz Sharif vainqueur du Pendjab... »
20/02/2008 par Stéphane Lagarde