par Sophie Malibeaux
Article publié le 21/03/2008 Dernière mise à jour le 22/03/2008 à 05:54 TU
Des scrutins dans un contexte tendu
Du point de vue du candidat Ma, il s’agit bien évidemment de mobiliser les troupes du KMT (le Kuomintang): « Chacun de nous doit se dire : un bulletin en moins pour Ma Ying-jeou, c’est un risque en plus de perdre l’élection ». De fait, les sondages qui, il y a peu de temps encore, plaçaient le candidat du KMT largement en tête, pourraient se voir démentis par les faits. Le candidat Ma devançait son adversaire Frank Hsieh du Parti démocratique progressiste (DPP) de 20 à 30 points il y a encore une dizaine de jours, avant que ne tombe l’interdiction de publication des sondages en fin de campagne. Dorénavant, les analystes estiment que le DPP a rattrapé une partie de son handicap.
La course sera serrée, jusqu’à la dernière minute -indiquent les supporters de l’opposition- le parti au pouvoir peut « sortir un lapin de son chapeau » et obtenir la victoire. La veille du dernier scrutin, en mars 2004, le candidat Chen Shui-bian échappait de justesse à un attentat. Ses adversaires s’emparaient de l’affaire pour dénoncer une manipulation censée déclencher le vote de sympathie, nécessaire pour décrocher la victoire. La lumière n’a jamais été faite sur cet incident.Quand le Tibet s’enrhume, Taiwan éternue
Le facteur tibétain n’est pas étranger à ce changement de tendance qui permet de prolonger le suspens sur le résultat du vote. Quand tout paraissait acquis pour l’opposition –déjà majoritaire à l’Assemblée nationale– a éclaté la crise tibétaine. Les émeutes et surtout la répression orchestrée par le régime de Pékin ont été vivement ressenties à Taiwan.
La répression contre le Tibet trouve en effet un écho dans le discours pro-indépendantistes du DPP et notamment du président sortant Chen Shui-bian. Ce qui pourrait se traduire par un ralliement autour de son successeur Frank Hsieh, même si celui-ci a tout fait jusque là pour se mettre en retrait par rapport à l’attitude offensive de son prédécesseur.
Chen Shui-bian qui a déjà rempli deux mandats de quatre ans ne peut se représenter. Nombre d’observateurs ont jugé contre-productif le ton agressif de ses discours à l’encontre de Pékin. D’où la modération de son successeur potentiel. Après avoir condamné sur tous les tons la répression chinoise au Tibet, Frank Hsieh déclarait ce vendredi : « Je renouerai le dialogue avec la Chine […] Par le passé, le DPP a été la cible de critiques pour son manque d’ouverture, mais je privilégierai le compromis. Je ferai mieux ».
Il semblerait, à en croire les analystes, que cette nouvelle approche puisse limiter l’échec du DPP au prochain scrutin, voir, inverser la tendance.
Mais avant de renouer le dialogue, reste un sujet qui fâche : la tenue du référendum pour l’adhésion de Taiwan à l’ONU.
Le référendum, mise en cause du statu quo ?
Ce référendum, critiqué par Pékin, est également décrié par la plupart des chancelleries soucieuses d’entretenir les meilleurs rapports avec Pékin. L’administration américaine s’est bien gardée d’apporter son soutien à Taiwan sur cette question, allant jusqu’à estimer que le gouvernement de Chen Shui-bian prenait des risques inutiles en procédant à ce type de mesure le jour de l’élection présidentielle. « Inutile et regrettable », c’est aussi la position exprimée par la France qui –dans la bouche de la porte-parole des Affaires étrangères Pascale Andréani– a rappelé ce vendredi que la France était « fermement opposée au projet de référendum sur une adhésion aux Nations unies sous le nom de Taiwan ».
Si plus de 70 % de la population taiwanaise se dit favorable à ce que Taiwan siège à l’ONU, à travers les sondages, une partie de l’opinion estime cependant que la tenue d’un référendum n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir. Pour Lee Suen-cheng, militant de l’opposition et doctorant en droit international, le référendum est un non-sens, car il porte sur une question qui n’est pas du ressort des autorités taiwanaises.
Si les Taiwanais se mobilisaient pour répondre « oui » à la question, le sort de Taiwan à l’ONU resterait entre les mains des instances onusiennes. Sachant que la Chine dispose du droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, personne n’attend de résultat concret à l’issue de ce référendum.
Une occasion de se faire entendre sur la scène internationale
Conscient des données du problème, le représentant du bureau de Taiwan en France, Michel Lu, affirme néanmoins qu’il s’agit là d’une mesure de « communication stratégique ». C’est parce que la communauté internationale fait la sourde oreille aux demandes de Taipei pour être admis au sein de l’ONU que le gouvernement a décidé de tenir ce référendum le jour de l’élection présidentielle. Il s’agit de tirer la sonnette d’alarme et de relancer le débat sur l’injustice faite à Taiwan, en privant ce pays d’accès à l’ONU et à d’autres instances comme l’Organisation mondiale de la santé par exemple. Le diplomate taiwanais Michel Lu rappelle les difficultés que présente cette situation, par exemple lorsqu’une épidémie comme le SRAS se déclare et que Taiwan n’est pas admise aux réunions. « Injustice, et humiliation », tonne Michel Lu, qui s’insurge de voir que Taiwan, où la démocratie avance à grand pas, ne parvient pas à être traité comme un pays souverain par la communauté internationale.
Mais pour ne pas laisser le champ libre aux verts du DPP, les bleus du KMT ont également soumis une question à référendum. La différence, c’est qu’eux réclament le « retour » de l’île à l’ONU, en se basant sur le fait qu’avant d’en être exclu en 1971 avec l’arrivée de la Chine communiste à l’ONU, la « ROC », Republic of China, y siégeait. Il ne faut donc pas selon l’opposition demander l’adhésion de Taiwan comme un nouveau pays à l’ONU, ce qui consacrerait la rupture avec la Chine continentale, mais viser le retour d’une entité dont le nom resterait à négocier. Lee Suen-cheng cite plusieurs précédents, Taiwan étant déjà représenté sous d’autres noms au sein du Comité international olympique, ou à l’Organisation mondiale du commerce. Simplement, dans ces organisations, la Chine de Pékin ne dispose d’aucun droit de veto.
Survivre face au géant chinois
Reste la question économique, qui est pour beaucoup de Taiwanais un enjeu majeur. Même si le taux de croissance continue de se maintenir autour des 4 %, Chen Shui-bian est aujourd’hui très critiqué pour avoir négligé le développement économique et le maintien du pouvoir d’achat. Pour les couches les moins favorisées, c’est parfois la déception qui gagne face aux attentes suscitées par le programme à forte coloration sociale mis en avant par le parti progressiste lors des deux mandats écoulés. Pour les milieux d’affaire, les déclarations intempestives de Chen Shui-bian à l’égard de Pékin ont souvent inquiété les investisseurs et autres acteurs du commerce avec la Chine. Reste que les liens n’ont cessé de s’intensifier entre les deux rives du détroit.
En raison de l’imbrication très forte à Taiwan entre questions économiques et politique extérieure vis-à-vis de Pékin, il est très difficile de savoir ce qui pèse le plus dans l’esprit de l’électeur taiwanais. Reste alors les arguments portant sur la personnalité des candidats.
De ce point de vue, le candidat Ma Ying-jeou semble dominer la scène, grâce à une réputation de probité assez largement reconnue dans le pays.
A écouter
« Le candidat de l'opposition Ma Ying-jeou propose de créer un marché commun avec les Chinois. Une proposition en revanche rejetée par Frank Hsieh, du parti au pouvoir, qui y voit une menace à terme pour la survie de Taiwan. »
22/03/2008 par Murielle Paradon
« Les deux candidats à la présidence sont des modérés et devraient, l’un comme l’autre, œuvrer à un apaisement des tensions dans le détroit de Taiwan tout en défendant la souveraineté de l’île ».
21/03/2008 par Florence de Changy
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