Article publié le 25/03/2008 Dernière mise à jour le 25/03/2008 à 16:36 TU
François Géré au Café Histoire du 25 octobre 2006 organisé par l'association Thucydide.
(Photo: DR)
RFI : Jusque-là, la France était restée en retrait sur ce dossier, notamment par rapport à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne. Pour quelles raisons ?
François Géré : J’aurais tendance à dire que c’était un petit retrait. Ce n’est pas pour dire : « les Français valent mieux ou autant que les autres »; simplement, les relations traditionnelles entre la France et la Chine, depuis le rétablissement des relations qui avaient été voulues par le général de Gaulle en 1963 - ce qui n’était finalement pas très éloigné de l’annexion du Tibet en 1949, par la Chine - montraient qu’il y avait une espèce de réalisme politique. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, je crois qu’elle a démontré à travers la situation de Hong Kong et puis, ses intérêts sur le terrain, qu’elle était également très, très prudente et qu’elle ne voulait pas trop s’engager.
RFI : L’Allemagne elle, a carrément gelé ses pourparlers avec la Chine en matière de développement économique.
F. G : Madame Merkel a pris une position très en pointe qui correspond à des convictions personnelles, qui sont extrêmement respectables naturellement. Elles ont été absolument reçues avec désespoir- je dirais- par le patronat allemand. Il faut quand même tenir compte du principe que l’Allemagne est le pays européen qui réalise le plus gros chiffre d’affaires avec la Chine, et que les menaces de sanctions ou de limitations des investissements, des contrats pèsent très, très lourd sur l’économie allemande.
RFI : Mais est-ce que déjà la Chine a annulé un certain nombre de commandes, de contrats, depuis que le Dalaï Lama a été reçu à l’automne dernier par l’Allemagne ?
F.G : Les Chinois dans ce domaine sont tout de même extrêmement prudents. Il faut distinguer entre la façade des déclarations, qui sont des déclarations très fermes, et puis, la réalité sur le terrain. Tout cela est apprécié. C’est à double sens. Un investissement allemand ou un contrat avec une entreprise allemande, ce n’est pas du tout une affaire à sens unique. Cela bénéficie autant et peut-être plus encore à la Chine que cela ne peut bénéficier à l’Allemagne.
J’aurais tendance à dire d’ailleurs dans cette affaire, que de l’Italie personne ne parle. L’Italie est quand même le troisième exportateur européen en Chine et personne ne parle de la position de l’Italie, qui apparemment d’ailleurs n’en n’a pas. Alors cela veut dire quoi ? Finalement c’est que cela renvoie à : « existe-t-il par exemple une position de l’Union Européenne, par rapport justement à cette relation à la Chine, dans cette situation, grave situation ? » Manifestement, il n’y en a pas. Donc, tout se joue au coup par coup, et il y a, à l’heure actuelle, beaucoup d’hésitations. En fait, il ne faut pas se voiler la face. Tout le monde espère que cette affaire va se calmer, ce dont je doute, personnellement.
RFI : Justement, avec internet aujourd’hui il n’est plus possible d’étouffer le flux de communications ?
F. G : Pour deux raisons : d’une part, la première, c’est parce que le Tibet, ce n’est pas seulement aujourd’hui le Dalaï Lama ; ce sont des éléments plus jeunes, plus radicaux, plus angoissés par la stratégie d’occupation territoriale et culturelle de la Chine sur le territoire tibétain. Et donc, l’opposition a eu tendance ces derniers temps, à se radicaliser, voire à remettre en question finalement l’approche, à la fois sage, prudente et mesurée qui était celle traditionnellement des Dalaï Lama.
Et d’autre part, il y a effectivement un phénomène médiatique qui à mon sens, correspond à une mutation stratégique fondamentale de ce genre de situation ; c'est-à-dire que Pékin a pensé que certes, les Jeux Olympiques allaient poser sans doute un certain nombre de problèmes, mais des problèmes de sécurité classiques, à savoir : protéger le site des jeux, encadrer la population, et évidemment éviter que les dissidents ne fassent des manifestations intempestives, etc.
RFI : Et tout cela a été surclassé et dépassé par la diffusion et l’outil internet.
F. G : La Chine, aujourd’hui, par rapport à la communication internet, est le pays qui durant l’année 2008, aura le plus d’internautes à travers le monde.
RFI : C'est-à-dire qu’il y a plus de Chinois qui sont désormais équipés d’internet que d’Américains.