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Liban

La guerre civile commémorée dans l’angoisse d’une récidive

Article publié le 14/04/2008 Dernière mise à jour le 14/04/2008 à 04:15 TU

Les Libanais ont commémoré, dimanche, le 33e anniversaire du déclenchement de la guerre civile, le 13 avril 1975. Ce triste rendez-vous intervient alors que la plus grave crise politique que traverse le pays depuis la fin des combats, en 1990, menace de dégénérer en conflit armé.

De notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh

Des Libanaises musulmanes montrant des portraits de leurs fils disparus durant la guerre civile (1975-1990) lors de la commémoration du début de la guerre, le 13 avril 2008, à Beyrouth.(Photo : AFP)

Des Libanaises musulmanes montrant des portraits de leurs fils disparus durant la guerre civile (1975-1990) lors de la commémoration du début de la guerre, le 13 avril 2008, à Beyrouth.
(Photo : AFP)

« Les Libanais ne sont pas prêts à s’entretuer. Ils n’ont pas encore oublié les 150 000 morts, les centaines de milliers de blessés, les 17 000 disparus et le million de déplacés de la guerre civile ». Cette phrase, les Libanais l’ont entendu des centaines de fois, ces trois dernières années. Mais les réalités sur le terrain sont loin de confirmer ces propos rassurants. La crise politique se complique, l’exacerbation des tensions sectaires a atteint son apogée, les violences se multiplient et les partis politiques se réarment.

Consciente de la gravité de la situation, la société civile s’est mobilisée pour adresser un message fort à la classe politique dans l’espoir de la responsabiliser. La plus importante manifestation a été organisée, dimanche, sur l’ancienne ligne de démarcation qui coupait Beyrouth en deux, du temps de la guerre. La foule a parcouru les six kilomètres qui séparent l’église Saint-Michel, dans la banlieue sud de Beyrouth, de la Place des Martyrs, dans le centre-ville.

C’est près de cette église que sept partisans de l’opposition ont été tués, le 27 janvier dernier, lorsque l’armée a tiré dans la foule qui protestait contre les coupures sauvages du courant. C’est, par ailleurs, dans le centre-ville que l’opposition campe depuis le 1er décembre 2006 pour réclamer le départ du gouvernement de Fouad Siniora, appuyée par l’Arabie saoudite, l’Egypte et les pays occidentaux. Ce campement est installé à une cinquantaine de mètres de la tombe où repose la dépouille de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri.

Déjà trop tard !

La marche de dimanche ainsi que les autres activités organisées ces derniers temps ne réussiront probablement pas à initier une dynamique capable d’empêcher le Liban de glisser dans la violence. Les contradictions politiques sont très profondes entre la coalition du « 14 Mars » au pouvoir et l’opposition. Seul un compromis « historique » est susceptible de sortir le pays de la crise.  

S’il fallait dater le début de la crise actuelle, le 14 février 2005, jour de l’assassinat de Rafic Hariri, serait un bon repère. Dès le lendemain de l’attentat, la famille de l’ancien Premier ministre, le chef druze Walid Joumblatt et des personnalités chrétiennes anti-syriennes accusent Damas de se tenir derrière l’assassinat. Appuyées par les Etats-Unis, la France et des pays arabes, ces forces politiques lancent un vaste mouvement populaire réclamant le départ de l’armée syrienne. Celle-ci quittera le Liban le 26 avril, après vingt-neuf ans de présence.

Recomposition du pouvoir

Après le retrait des troupes de Bachar al-Assad, les «anti-syriens» – Rafic Hariri et Walid Joumblatt constituaient, pendant quinze ans, les principaux piliers du régime libanais allié de Damas- veulent recomposer le pouvoir. Washington et Paris les encouragent à tenir des législatives, organisées à la va-vite conformément à un découpage électoral imposé par l’ancien chef des SR syriens au Liban, le général Ghazi Kanaan. La décision du plus ancien opposant à la présence syrienne, le général Michel Aoun, de rentrer de son exil parisien pour participer au scrutin, mélange les cartes.

La famille Hariri, Walid Joumblatt, Amal et le Hezbollah, forment « l’alliance quadripartite », de laquelle est exclu Michel Aoun. Celui-ci fera cavalier seul et raflera la quasi-totalité des sièges (21) dans le Mont-Liban chrétien. Le tandem chiite remportera 35 sièges et la coalition du « 14 Mars » (Hariri, Joumblatt et des forces chrétiennes anti-syriennes de moindre importance) aura la part du lion. Avec 72 députés, elle s’assurera une majorité au Parlement, qui lui permettra de choisir le nouveau Premier ministre, Fouad Siniora, un proche lieutenant de Hariri. Dans le gouvernement, formé en juillet 2005, Amal et le Hezbollah se contentent de cinq portefeuilles seulement. Michel Aoun choisira de rester dans l’opposition.

Alors que les assassinats politiques se poursuivent, la confiance s’effrite au fil des mois entre le tandem chiite et ses partenaires au gouvernement. La création du tribunal international dans l’affaire Hariri fera éclater une première crise gouvernementale, le 12 décembre 2005. Le « 14 Mars » reproche au tandem chiite de vouloir empêcher la formation de ce tribunal pour protéger le régime syrien. Amal et le Hezbollah les soupçonnent de vouloir instrumentaliser, avec les Etats-Unis, ce tribunal pour régler des comptes avec leurs ennemis au Liban et en Syrie. Le cabinet est replâtré cinq semaines plus tard, mais la confiance n’y est plus.

Nouvelles alliances

A la surprise générale, Michel Aoun et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, signent, le 6 février 2006, un « document d’entente » dans la fameuse église Saint-Michel. Cet accord scelle une alliance entre les plus grandes formations chrétienne et chiite, et modifie le paysage politique d’une manière radicale.

De mars à juin 2006, les quatorze principaux leaders du pays se retrouvent dans le cadre d’un dialogue national. Ils s’entendent sur plusieurs points importants, mais la discussion sur la « stratégie de défense nationale », censée réguler l’armement du Hezbollah, traîne. Le dialogue est interrompu par la guerre de l’été 2006 entre Israël et le Hezbollah.

Après ce conflit, la crise entre dans une nouvelle phase. Le « 14 Mars » reproche au Hezbollah d’avoir entraîné le pays dans une guerre destructrice sans avoir consulté les autres Libanais. Le parti de Hassan Nasrallah accuse, de son côté, la coalition au pouvoir, d’avoir réclamé son désarmement en pleine guerre. Dans des cercles plus fermés, il accuse même certaines personnalités du « 14 Mars » d’avoir sollicité cette guerre israélienne pour se débarrasser de lui.

A peine la guerre terminée, le Hezbollah réclame la formation d’un gouvernement d’union nationale au sein duquel l’opposition, qu’il dirige avec Michel Aoun, détiendrait une minorité de blocage. Une dernière tentative de dialogue initiée par le président du Parlement et chef du Mouvement Amal, Nabih Berry, échoue en novembre 2006, et les ministres chiites démissionnent.

Une fois de plus, c’est l’affaire du tribunal Hariri qui provoque l’étincelle. Le tandem chiite reproche du cabinet Siniroa d’avoir voté les statuts du tribunal sans consultations préalables avec lui. Le 1er et le 11 décembre, l’opposition organise des manifestations qui rassemblent plus d’un million de personnes pour réclamer le départ du gouvernement. Fouad Siniroa refuse de s’en aller. Depuis, l’opposition a planté des centaines de tentes à cinquante mètre du Grand Sérail, où se trouvent les bureaux du Premier ministre.

Poursuite des assassinats

Des activistes libanais en tenue de victimes de la guerre civile (1975-1990) lors de la commémoration du début de la guerre, le 13 avril 2008, à Beyrouth.(Photo : Reuters)

Des activistes libanais en tenue de victimes de la guerre civile (1975-1990) lors de la commémoration du début de la guerre, le 13 avril 2008, à Beyrouth.
(Photo : Reuters)

L’année 2007 commencera par de graves incidents qui font des morts et des blessés entre des partisans des deux bords. L’ancien président Emile Lahoud s’abstient de signer les statuts du tribunal et Nabih Berry refuse de convoquer la Chambre pour qu’ils y soient examinés. Ni les démarches de bons offices de la Ligue arabe, ni les rencontres interlibanaises de la Celle Saint-Cloud, organisées par la France (juillet 2007), ne dégageront un accord entre les protagonistes. La situation se complique avec les combats du camp palestinien de Nahr al-Bared (Liban-Nord) entre des intégristes sunnites et l’Armée libanaise (du 20 mai au 2 septembre : 400 morts).

A l’approche de la présidentielle, une vive polémique éclate sur le quorum nécessaire pour l’élection d’un successeur à Emile Lahoud. Le mandat se termine le 24 novembre 2007 sans entente, et le Liban se trouve, depuis, sans président de la République. Entre-temps, les assassinats se poursuivent et fauchent, en plus des députés, des officiers de l’armée et de la police. 2008 commence par de violents incidents. Les quartiers mixtes de Beyrouth (sunnites et chiites) seront le théâtre de sanglants affrontements.

Depuis novembre 2007, le Parlement a échoué à 18 reprises à élire un président de la République, bien que le « 14 Mars » et l’opposition se soient entendus sur le chef de l’armée, le général Michel Sleimane, comme candidat consensuel. Les Arabes interviennent de nouveau, début janvier, et proposent une initiative en trois points : l’élection immédiate de Michel Sleimane ; la formation immédiate d’un gouvernement d’union nationale, et l'élaboration d’une loi électorale juste. Les protagonistes libanais et leurs alliés arabes l’interprètent chacun à leur manière. Pour le « 14 Mars », appuyé par l’Arabie Saoudite et l’Egypte, la priorité va à l’élection du président. Pour l’opposition, soutenue par la Syrie et l’Iran, il faut appliquer simultanément les trois clauses.

La crise libanaise ne peut être séparée du bras de fer que se livrent Damas d’un côté, Riyad et le Caire de l’autre. Il a atteint son pic avec la décision de ces deux pays de baisser le niveau de leur participation au sommet arabe de Damas, les 29 et 30 mars. Le Liban, lui, a carrément boycotté la réunion.

C’est dans ce contexte que Nabih Berry a proposé, début avril, de relancer le dialogue national. Mais le « 14 Mars » a rejeté son invitation, qualifiée de « perte de temps ».

Si la crise n’est pas réglée d’ici quelques mois, la solution sera encore plus compliquée, en raison des législatives qui se tiennent au printemps 2009. L’élection d’un président et la formation d’un gouvernement d’union nationale seront, alors, un jeu d’enfant devant l’élaboration d’une loi électorale acceptée de tous.

A écouter

Nada Chaoul

Juriste, professeur à la Faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ.

« Je ne pense pas qu'il puisse y avoir une autre guerre, je n'ai pas ce sentiment de danger. Les jeunes sont un peu fascinés par cette guerre mais ils sont surtout carriéristes. »

13/04/2008 par Diane Galliot

Samir Frangié

Député de la majorité libanaise.

« Je pense que nous vivons un début de sortie de cette guerre. On a essayé de nous ramener à cette guerre les deux années précédentes, il y a eu des tentatives pour relancer la guerre civile mais les Libanais ont tenu bon. »

13/04/2008 par Diane Galliot

Wadad Halwani

Présidente du Comité des parents des personnes enlevées ou disparues pendant la guerre civile.

« Tous les Libanais doivent être ensemble contre les politiciens, contre les leaders qui étaient responsables de la guerre de 1975 et qui guident le pays vers une autre guerre. »

14/04/2008 par Diane Galliot