par Jean-Pierre Boris
Article publié le 16/04/2008 Dernière mise à jour le 17/04/2008 à 09:59 TU
Le président brésilien, Lula da Silva, en visite à Petrobras, le Centre de recherche et développement sur l'éthanol.
(Photo : AFP)
Le développement des biocarburants est au cœur de la 30e conférence régionale de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui se réunit à partir de ce mercredi 16 Avril 2008 à Brasilia. Le Brésil est le second producteur mondial de biocarburants et est accusé de concourir à la hausse des prix des denrées alimentaires sur le marché mondial.
Longtemps, le Brésil a fait figure d’exception : le seul pays de la planète à transformer une partie de sa production agricole, en l’occurrence, de canne à sucre, en combustible automobile. L’éthanol ainsi produit était et est toujours mélangé à l’essence traditionnelle. L’objectif de cette politique était double. D’abord écouler une partie de l’énorme production brésilienne de canne à sucre. Le pays en est le principal producteur mondial. Ce faisant, les Brésiliens détournaient une partie de leur production de sucre du marché mondial. Cela évitait au cours mondial du sucre de s’effondrer trop et permettait aux Brésiliens d’exporter leur production à un prix théoriquement rémunérateur. Le second objectif de cette production de biocarburant, c’était de réduire la consommation d’essence et donc de pétrole. Jusqu’à une date récente, le Brésil était en effet un importateur net de pétrole. Réduire la consommation intérieure, c’était donc réduire les importations et alléger la facture pour l’économie du plus grand pays d’Amérique latine.
Envolée du pétrole… et des biocarburants
D’exception, le Brésil est devenu exemple lorsque les prix du pétrole ont commencé à grimper allègrement. Car, ce qui n’intéressait pas grand monde lorsque le baril de pétrole était entre 10 et 20 dollars, a commencé à être considéré comme une solution pour alléger la facture quand le baril a passé durablement les 50 dollars. Les premiers à suivre l’exemple brésilien furent les céréaliers américains. Dans les plaines du middle-west, le prix du maïs décevait leurs attentes. Encouragés par le gouvernement américain, de plus en plus nombreux, les producteurs de maïs transformaient leur matière première en biocombustible.
Américains et Brésiliens étaient accompagnés dans ce mouvement par les Européens dont l’ambition est d’imposer 10% de biocarburants dans les transports d’ici 2020. La tendance était donc générale, soutenue par la mouvance altermondialiste et écologiste qui voyait dans cette nouveauté un moyen de consommer moins de pétrole et donc de moins polluer. L’ambiance a commencé à changer fin 2007 quand le prix des céréales et des denrées alimentaires a explosé sur le marché mondial. Les altermondialistes ont changé leur fusil d’épaule, brûlant ce qu’ils avaient adoré la veille. Les terres cultivées pour produire la matière premières des biocarburants, expliquaient-ils, manquaient à la production de denrées alimentaires comestibles.
Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre » a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine.
« Un crime contre l’humanité »
Aujourd’hui, alors que les émeutes de la faim se répandent, d’Egypte en Haïti, alors que le cours du riz rend cette céréale inabordable pour nombre de consommateurs des pays pauvres, les biocarburants ont perdu la plupart de leurs soutiens. Le plus virulent dans la critique est le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, le suisse Jean Ziegler. Pour lui, la production massive de biocarburants est « un crime contre l’humanité » qui lui fait craindre « une très longue période d’émeutes ». Plus significatif du revirement en cours, les institutions financières internationales remettent en cause l’engouement pour les biocombustibles. Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans.
Les Brésiliens tiennent bon
Cependant, les producteurs de biocarburants ne désarment pas. Pour le président brésilien Lula da Silva, qui a fait des exportations de biocarburants l’un des axes de sa politique économique, il faut chercher ailleurs la raison de la crise alimentaire mondiale : dans la hausse de la consommation en Chine ou en Inde, en raison de l’accroissement du niveau de vie dans ces deux pays. Les producteurs brésiliens de canne à sucre partagent bien sûr ce point de vue. Ils soulignent que les champs de canne destinés à la production d’éthanol ne représentent qu’un peu plus de 1% des terres arables du pays et que leur extension ces dernières années n’a pas empêché le Brésil d’être devenu un des grands exportateurs de viande de bœuf, de poulet, de soja ou de jus d’orange.
Les biocarburants de seconde génération
De son côté, le représentant de la FAO pour l’Amérique latine et les Caraïbes, le Brésilien José Graziano considère sans aucun doute que la flambée des prix alimentaires est le résultat d’une attaque spéculative qui s’est développée sur la base du bas niveau des stocks mondiaux. José Graziano estime de plus qu’ « il n’existe pas encore de vérité absolue sur les biocarburants ». « Savoir s’ils auront un effet positif ou négatif sur la sécurité alimentaire dépendra de la façon dont ils se développent ». Un point de vue que semble partager les experts de l’Unesco selon lesquels il faudrait passer aux biocarburants de la seconde génération qui n’entrent pas en concurrence avec les cultures alimentaires. Les biocarburants de seconde génération n’utilisent pas les produits alimentaires mais leurs résidus. « Le problème, souligne la secrétaire d’état française à l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ».
Spécialiste des matières premières
« Nous avons une augmentation parallèle de la consommation et surtout, nous avons eu quand même des accidents de production dans des pays qui sont exportateurs. »
16/04/2008 par Marie Dupin