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Année 1968

L'année qui ébranla le monde

Article publié le 01/05/2008 Dernière mise à jour le 21/08/2008 à 15:26 TU

Pourquoi l'année 1968 est-elle différente des autres ? Parce que de multiples revendications nationales furent portées par un élan universel. Ce sont les mouvements estudiantins qui en furent le moteur. Leurs leaders n'avaient pas 30 ans. Mals à l'aise dans des structures, des façons de penser et de vivre, les jeunes, éduqués, servent de révélateurs aux autres catégories sociales. Les évènements mettront à nu les pouvoirs. Même s'ils se maintiennent, quelque chose aura changé dans l'atmosphère.

© AFP

janvier à mars
L'offensive  du Têt...

Martin Luther King en 1964.(Photo : Wikipedia Commons)

avril à juin
L'embrasement de la planète...

juillet à septembre
L'occupation soviétique...
DR
octobre à décembre
Le massacre de Tlatelolco...












 

Non à la guerre du Vietnam

Après avoir été vif au début des années 60, l’affrontement Est-Ouest, loin d’avoir disparu, est cependant moins fort cette année-là, au point de rendre possible en juillet la signature du Traité de non-prolifération nucléaire. Mais c’est à l’intérieur de chaque bloc que des fissures apparaissent. Aux États-Unis, la contestation contre la guerre du Vietnam ne cesse de prendre de l’ampleur. Washington a déployé 550 000 soldats en Asie et accentue ses bombardements – parfois au napalm – contre le Nord-Vietnam.

En janvier 1968, l’offensive du Têt permet aux communistes du Vietminh (les « Viêt Công ») de prendre le contrôle d’une centaine de villes. Dans le monde entier, c’est la stupeur. Des guérilleros nu-pieds et mal armés tiennent tête à la première puissance du monde. De terroristes, ils deviennent résistants. Cette offensive du Têt met aussi en lumière la violence inouïe du conflit. Un conflit qui apparaît à beaucoup injuste et immoral, une guerre du riche contre le pauvre.

Le mythe de l’infaillibilité des États-Unis vole en éclat. Cela radicalise un mouvement étudiant en gestation dans les campus américains depuis plusieurs mois, dont l’origine est difficile à définir mais qui critique pêle-mêle les valeurs traditionnelles, la société de consommation, l’aliénation par le travail, le puritanisme religieux. A l’opposé, il revendique la non-violence, la liberté sexuelle, l’égalité homme-femme, la vie en communauté, l’épanouissement personnel… Cette contestation estudiantine va s’accroître aux États-Unis, puis déferler sur l’Europe.

Pour l’historien Patrick Rotman, la guerre du Vietnam et l’émergence de la jeunesse comme force politique sont les deux éléments qui expliquent les manifestations de 1968. 


Le défi de Prague

Dans le même temps, des fissures apparaissent également dans le monde communiste. Moscou ne détient plus le monopole de l’idéologie. Défenseur d’un autre modèle, la Chine entend lui ravir sa place de leader incontesté des pays marxistes. Pékin et Moscou ont rompu leurs relations diplomatiques en 1967. Contestée, l’URSS l’est également en Pologne et surtout en Tchécoslovaquie.

Initié par des étudiants et des intellectuels, le Printemps de Prague –qui démarre en février – voit la société civile réclamer plus de libertés politiques tout en voulant conserver les acquis économiques et sociaux du communisme. Le nouveau secrétaire général du Parti, le réformateur Alexandre Dubcek, accède à ces revendications et propose un « socialisme à visage humain », autorisant le multipartisme, la liberté de la presse et d’associations. Une première dans un « pays frère » qui provoque la fureur de Moscou.

« Soyons réalistes, demandons l’impossible »

En Europe de l’Ouest, la contestation gagne tous les pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas. Les régimes autoritaires aussi sont touchés : l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Confuses, diverses et parfois utopistes, les revendications sont les mêmes partout : une société moins hiérarchisée, moins obsédée par la croissance économique, plus égalitaire, moins empreintes de morale chrétienne, plus libre.

On parle de libération des mœurs, d’écologie, de diversité culturelle, de démocratie dans l’entreprise, de culture pour tous, d’ouverture vers les pays du Sud. Les femmes revendiquent le droit à la contraception.

Comme le souligne Patrick Rotman : « C’est le triomphe de l’individualisme. Le sentiment d’appartenance à une société homogène cède la place à la quête du bonheur individuel ; chacun veut trouver son équilibre dans sa famille, son entreprise, son couple, son environnement, son projet de vie… C’est le triomphe du Moi je. Néanmoins, le sens du collectif n’a pas disparu. Chacun veut son bonheur individuel dans le cadre du groupe dont il se revendique. »

Cette contestation du modèle ancien est menée par les enfants du baby-boom, ceux qui, nés après la Deuxième guerre mondiale, n’ont connu que la paix et la croissance économique. Ceux qui ont aussi découvert le rock et la bande dessinée.

En France, le mouvement ne commence qu’en mai, après la fermeture de l’université de Nanterre et l’occupation de la Sorbonne. Mais il est plus radical et sera le plus important en Europe.

Certains slogans sont restés célèbres : « Soyons réalistes, demandons l’impossible », « Il est interdit d’interdire », « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », « CRS = SS ».

Les remises en cause, le besoin de libérer la parole traversent toutes les classes sociales, des avocats aux ouvriers en passant par les enseignants. Car c’est une spécificité du Mai français : le mouvement estudiantin s’étend à la classe ouvrière, plongeant le pays dans la plus grande grève générale de son histoire. La population fraternise avec les manifestants ; le pouvoir politique, incarné par le général de Gaulle, ne maîtrise plus la situation. Pour la première fois, il n’est plus en phase avec l’opinion.

Sympathique et multiforme, la révolte estudiantine a aussi ses mauvais côtés, avec ses guerres de clans idéologiques, son verbiage révolutionnaire, son culte du soupçon, qui cachent mal une possible dérive totalitaire. Certains brandissent le Petit livre rouge de Mao. Mais ce qui se passe à Prague fascine : la recherche d’une troisième voie qui ne soit ni le communisme ni le capitalisme sauvage. Mais il faudra vite déchanter. En 1968, la logique des blocs domine, et le monde n’est pas encore prêt pour une alternative au marxisme et au libéralisme.

Alger, Dakar, le Caire

Le vent de la révolte en 1968 ne souffle pas que dans les pays occidentaux. Le Japon est touché aussi. À mi-chemin entre les États-Unis et Cuba où triomphe une nouvelle révolution, le Mexique voit aussi les étudiants descendre dans la rue. Au Liban, les manifestations se multiplient en faveur de la Palestine, un an après la guerre des Six jours.

L’Afrique par contre est moins concernée. La conscience politique et les relais partisans sont peu développés. Quelques manifestations ont cependant lieu au Caire, à Alger et à Dakar. 1968 appartient néanmoins à la même logique que la décolonisation que connaît le continent depuis une dizaine d’années alors : la revendication de la liberté, la défense de sa propre culture, le refus de la domination par une élite économique et sociale.

Les grèves et les mouvements de protestation en 1968 témoignent d’une soif de liberté et d’une volonté d’un monde nouveau. L’espoir est immense, la déception n’en sera que plus vive. Car très vite, l’ordre reprend ses droits, parfois brutalement. Aux États-Unis, Martin Luther King est assassiné en avril, radicalisant les mouvements des Noirs pour les droits civiques.

Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Robert Kennedy de tomber sous les balles d’un tueur. Des meurtres qui interrogent sur le modèle démocratique américain puisqu’on assassine les leaders les plus progressistes. En novembre, le très conservateur Robert Nixon est élu à la Maison Blanche.

En France, la population – et les partis de gauche – se lassent du désordre. Grâce à un audacieux coup politique, le général de Gaulle réaffirme son pouvoir, et la droite va tenir les rênes du pays pendant encore treize ans.

Au Mexique, la police ouvre le feu sur les étudiants, faisant officiellement 43 morts. Partout, la reprise en main est brutale, les illusions s’envolent.

C’est à Prague que la riposte est la plus sévère. L’URSS n’accepte pas l’émancipation de la Tchécoslovaquie. Elle craint la contagion aux autres démocraties populaires dont elle contrôle étroitement la souveraineté. Le 21 août, les troupes du pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie, Alexandre Dubcek est arrêté, la situation « normalisée ». Une chape de plomb retombe sur le pays pour vingt ans.

Des acquis irréversibles

Faut-il en conclure que les révoltes menées en 1968 ont été des échecs ?  Certainement pas. Certes, la reprise en main a été brutale, mais pouvait-il en être autrement ? À Paris, Rome, Tokyo ou Washington, les étudiants n’allaient pas s’emparer du pouvoir; cela aurait conduit aux pires dérives. En outre, leur mouvement était plus sociétal et culturel que politique.

Même Daniel Cohn-Bendit, l’un des leaders du Mai français, le reconnaît : « Heureusement que nous ne sommes pas arrivés à l’Elysée. Nous n’aurions pas su quoi faire. Le champ politique devait reprendre ses droits, mais en tenant compte des doléances exprimées. »

Cela sera le cas dans les années suivantes, au moins aux États-Unis et en Europe de l’Ouest. Des lois sont adoptées : on légalise l’avortement, abaisse l’âge de la majorité à 18 ans, améliore la démocratie dans l’entreprise, libère les média du pouvoir politique, favorise l’accès à la culture, repense les droits de la famille… L’écologie devient un thème porteur.

« L’héritage de 1968 est tellement en nous que nous en avons à peine conscience. C’est tout ce que ce mouvement a apporté en termes de démocratisation, de modernisation, de libération des mœurs, d’ouverture politique, de climat de liberté, de société moins répressive (…) C’est un souffle nouveau qui balaie des sociétés jusqu’alors sclérosées. Ce sont des acquis irréversibles. Partout où les révoltes ont eu lieu, il y a un avant et un après 68.» dit l’historien Patrick Rotman.

Ailleurs, les conséquences ne sont pas négligeables non plus. En 1975, l’indépendance de l’Angola, du Mozambique et de la Guinée Bissau est intimement liée à la démocratisation du Portugal.

S’il est plus délicat d’établir une relation de cause à effet, il n’en reste pas moins que les leaders de 1968 ont fini par arriver au pouvoir en Tchécoslovaquie et en Pologne. La décomposition du communisme en Europe commence cette année-là. Aujourd’hui, la guerre froide est terminée, la pensée politique est différente et le néo-libéralisme triomphe peu ou prou partout. Mais l’année 1968 a cette force de rester dans l’inconscient collectif comme l’année où le monde a changé, où la démocratisation des sociétés s’est imposée, où la parole s’est libérée. Une année transgressive où chacun s’est autorisé à rêver d’un monde meilleur.

                                                                      MFI/RFI

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