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Agriculture africaine

Les nouveaux pionniers sont fatigués

Article publié le 21/04/2008 Dernière mise à jour le 21/04/2008 à 21:37 TU

Le Nigeria manque de denrées alimentaires. Alors quand des fermiers blancs du Zimbabwe ont été obligés de quitter leur pays, Lagos leur a offert des terres pour s'installer. Aujourd'hui certains d'entre eux déchantent devant les difficultés techniques et financières.
Keith Young.(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

Keith Young.
(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

De notre envoyée spéciale à Panda, Léa-Lisa Westerhoff 

Devant la ferme de Keith Young, des employés enfourchent un gros tas de feuilles de maïs à bord d’un tracteur. Un peu plus loin, sous le hangar de cet agriculteur zimbabwéen, est stockée la récolte de l’année précédente. 65 tonnes de maïs, et 60 tonnes de riz. « Ce n’est pas assez », avoue l’agriculteur de 40 ans installé dans cette zone rurale à 50 km de la capitale nigériane depuis 2006 avant d’ajouter : « Heureusement, cette année, les prix sont élevés ».

Comme quatorze autres fermiers blancs du Zimbabwe, Keith fait parti d’un projet pilote pour créer des fermes commerciales dans l’Etat de Nassarawa, au centre du Nigeria. Un projet similaire a vu le jour dans l’Etat de Kwara (Est) en 2004. Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique importe chaque année pour 3 milliards de dollars de produits alimentaires pour nourrir ses 140 millions d’habitants. Ce constat en poche, l’Etat nigérian a invité les fermiers zimbabwéens rejetés dans leur pays d’origine, à venir s’installer au Nigeria. Des prêts d’un million de dollars par agriculteur et 18 000 hectares de terres à louer sur trente ans ont été mis à disposition des zimbabwéens.

« Il y a un gros potentiel pour l’agriculture. Le Nigeria importe tout, il y a donc de l’argent à gagner », explique Bruce Spain, 30 ans, qui s’est installé à une quinzaine de kilomètres de l’exploitation de Keith.  Exemple : le Nigeria a besoin de 2,5 millions de tonnes de riz par an, alors que le pays est capable d’en fournir à peine 500 000, selon des statistiques du ministère de l’Agriculture. 70% de la population vivent de l’agriculture mais mal, car les parcelles dépassent rarement un hectare. « Si on garantit un accès au marché aux agriculteurs du coin et des crédits, ils vont produire plus et arrêter de faire uniquement de l’agriculture de subsistance », poursuit le jeune homme qui a abandonné une carrière de consultant en nouvelles technologies à Londres pour lancer une exploitation de manioc avec ses parents qui se sont vu confisquer leur ferme au Zimbabwe en 2004.

Adele et Bruce Spain.(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

Adele et Bruce Spain.
(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

Ces douze derniers mois, 300 hectares de terre ont été débroussaillés sur l’exploitation familiale et 100 Nigérians sont employés sur la ferme en permanence. Mais les problèmes sont nombreux. L’argent, notamment, est un sujet d’inquiétude permanent. Les fermiers paient 23% de taux d’intérêt sur leur prêt. Dans ces conditions, les exploitations ne sont pas rentables. « Les finances sont notre principal problème », avoue Bruce Spain.

En novembre dernier, les quinze agriculteurs ont demandé à renégocier leur prêt, sans succès pour le moment. Certains fermiers ont perdu patience. En 2007, huit familles ont quitté le projet, découragées par l’absence d’infrastructures dans cette zone rurale. Il n’y a pas d’électricité, pas d’école ni de route goudronnée. En saison des pluies il faut quatre heures aux véhicules tout-terrain pour rejoindre la capitale, Abuja, au lieu d’une heure et demi en saison sèche.

« Quand je suis arrivé, il n’y avait absolument rien ici, à part des buissons», se souvient Keith Young. « Il a fallu tout faire nous même et tout déboiser ». Un an et demi plus tard, les progrès sont visibles à l’œil nu. Un gazon verdoyant entoure une belle bâtisse blanche alimentée en eau courant grâce à un puits de 20 mètres creusé un peu plus loin. Autour de la ferme, s’étendent une centaine d’hectares de terre arable qui a déjà vu pousser une première récolte de riz. A une dizaine de kilomètres de la ferme de Keith, au bout d’une piste défoncée se trouve l’exploitation de banane et de soja de Sean et Candice Horsley. Une jolie maison jaune se dresse devant un jardin fleuri, mais à l’intérieur la lassitude et la nostalgie du pays sont perceptibles. « Les choses ne se sont pas passées comme nous l’avions prévu (…) je me sens trahie », explique Candice Horsley, 24 ans et mère d’un petit garçon d’un an et demi.

Kassava fields.(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

Kassava fields.
(Photo : Léa-Lisa Westerhoff / RFI)

« Tout notre argent est parti dans l’investissement ici : l’achat de matériel, la construction de la maison ; nous n’avons pas un rond », explique la jeune mère qui s’est fixé un délai de deux mois pour décider de partir ou de rester. Mais les options sont limitées. Le retour au Zimbabwe est impossible tant que Robert Mugabe est au pouvoir et les fermiers blancs interdits de posséder des exploitations agricoles. « Quelquefois je suis découragé et je suis tenté de partir », confie Keith Young, 40 ans. « Mais pour aller où et pour faire quoi ? Agent de sécurité en Grande-Bretagne ou employé sur une ferme, non merci ! », s’exclame-t-il.