par RFI
Article publié le 27/04/2008 Dernière mise à jour le 27/04/2008 à 16:38 TU
RFI : L'attaque a eu lieu au moment de la parade annuelle de l'armée, mais surtout le jour anniversaire de la prise de Kaboul par les moudjahidines. Est-ce qu'on peut y voir une attaque contre le symbole du pouvoir ?
Abdul Aziz Froutan : Evidemment, c’est un symbole. Parce que si on arrive à analyser cette journée, c’est le 16ème anniversaire de l’arrivée des moudjahidines à Kaboul, et on sait bien que le mouvement des talibans, au début, c’était contre ces seigneurs de guerre qui ont participé à une guerre civile en Afghanistan.
Les talibans étaient contre ces chefs de guerre qui sont au pouvoir maintenant et aujourd’hui, tous étaient dans une parade, la plus importante en Afghanistan. Il y avait à peu près 3 000 soldats, il y avait des milliers d’ex-combattants moudjahidines présents. Et après, il y avait les membres du gouvernement, des ambassadeurs étrangers, un haut-responsable des Nations unies, et évidemment, il y avait des soldats étrangers.
Et les talibans arrivent à mener une attaque, un attentat, contre Karzaï, évidemment le président Karzaï : ça, c’est une victoire pour les talibans qui arrivent, dans cette journée, à faire une attaque, organiser une attaque à Kaboul, contre Karzaï.
RFI : A priori, le président Hamid Karzaï n’était pas spécifiquement visé ?
AF : Eh bien, les talibans disent que non. Il n’y avait pas une cible, en particulier, pour les talibans. Mais évidemment, on sait bien que Karzaï était présent, et les tirs étaient directement dirigés en direction du siège où il y avait Karzaï et d’autres représentants de gouvernement.
RFI : Les talibans disent avoir voulu faire preuve de leur force avec cet attentat. Les talibans sont-ils vraiment si forts ?
AF : Evidemment, ils ont cette force. Parce que quand ils arrivent à faire une attaque pareille, à Kaboul et ailleurs dans d’autres provinces, ils sont bien organisés, plus qu’avant. Maintenant les talibans ne sont pas les mêmes talibans que ceux qui étaient au pouvoir. Maintenant ils sont bien organisés.
Avant, c’était une guerre ouverte : tout le monde participait. Il y avait un salaire pour les talibans et il y avait d’autres choses : il y avait une guerre entre deux ethnies, entre des ethnies. Il y avait des Pachtounes avec les talibans, et ils étaient contre les Tadjiks, les chefs tadjiks qui sont au pouvoir et qui aujourd’hui étaient tous présents aux côtés de Karzaï. Maintenant non (il n’y a plus de guerre ouverte) : maintenant il y a des attaques, il y a des attentats. Il y a une guerre secrète, si on peut dire.
RFI : On pourrait dire que c’est une force d’opposition, maintenant ? C’est compliqué, le jeu politique n’est pas aussi simple. Les talibans agissent-ils maintenant comme une force d’opposition au pouvoir en place ?
AF : Evidemment oui. Mais politiquement il y a une deuxième opposition qui est contre Karzaï. Tous les chefs de guerre, maintenant, ne sont pas à côté de Karzaï. Il y a une opposition politique, mais sur le terrain ce sont les talibans qui sont clairement contre le gouvernement Karzaï.
RFI : Souvent les zones tribales sont la base arrière des talibans, souvent c’est là, dans l’ouest de l’Afghanistan, qu’il y a des problèmes, qu’il y a des attaques. Est-ce que le fait que Kaboul ait encore été la cible d’une attaque aujourd’hui, comme il y a deux mois, montre que la capitale est de plus en plus fragilisée ?
AF : La sécurité à Kaboul est fragile. On ne peut pas sécuriser Kaboul avec les soldats étrangers. On n'y arrive pas, parce que les soldats étrangers ne connaissent pas le pays, ne connaissent pas la capitale afghane, et il y a une sorte de corruption dans la police afghane. L'armée est corrompue, le gouvernement est corrompu. Pour cette raison, la police afghane n'arrive pas à sécuriser Kaboul. Les soldats étrangers non plus. Et pour cette raison, maintenant les talibans sont de plus en plus présents à Kaboul. Ils ont déjà fait une attaque contre un hôtel, l’hôtel Serena, et aujourd'hui ils ont fait une attaque directement contre Karzaï.
RFI : Vous parlez de la présence des soldats étrangers… L'Alliance atlantique a réaffirmé récemment son intention de rester à long terme en Afghanistan. La France, elle, a décidé l'envoi de renforts : 700 soldats supplémentaires. Est-ce que les renforts français sont nécessaires à la sécurité de l’Afghanistan ?
AF : Pour répondre à cette question, il faut commencer par connaître les problèmes. Pourquoi des soldats étrangers sont-ils en Afghanistan ? Il y a une corruption au gouvernement, il y a l’opium, il y a une police corrompue et faible, l’armée faible. Si on arrive à régler ces problèmes, c’est bien. Mais si les soldats restent dans les bases militaires en disant « on est là pour faire la guerre contre le terrorisme et chercher Oussama ben Laden, chercher le mollah Omar », à mon avis, ça n’a aucun intérêt. Mais si on arrive à renforcer le gouvernement, à organiser des actions contre l’opium, à renforcer la police, c’est bien.