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Géorgie/Russie

Tensions et gesticulations

par Piotr Moszynski

Article publié le 29/04/2008 Dernière mise à jour le 29/04/2008 à 23:28 TU

Javier Solana juge «<em>pas sage</em>» la décision de Moscou d'envoyer&nbsp;des renforts en Abkhazie, région sécessionniste de Géorgie. Le diplomate en chef de l'UE l'a dit lors d'une conférence de presse à Luxembourg. L'Abkhazie redoute une attaque de Tbilissi pour la récupérer. Incidents, accusations de provocations et d’intentions belliqueuses, guerre des mots, manœuvres diplomatiques… Derrière les gesticulations sur fond régional, un conflit d’intérêts entre les grandes puissances.
Les deux régions séparatistes de la Géorgie : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.(Carte : GéoAtlas/RFI)

Les deux régions séparatistes de la Géorgie : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
(Carte : GéoAtlas/RFI)

Cela sent la poudre à la frontière entre la Géorgie et ses régions séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, protégées par la Russie qui y maintient un contingent de 2 000 soldats. Les deux régions ont proclamé unilatéralement leur indépendance en 1992 et l’ont défendue par les armes contre les forces géorgiennes. Deux ans et plusieurs milliers de morts plus tard, un accord sous l’égide de Moscou a été conclu entre Tbilissi et les séparatistes. Conformément à cet accord, la Russie a pu officiellement déployer ses soldats en Abkhazie et les qualifier de « forces de maintien de la paix ». Toutefois, la Géorgie accusait le Kremlin dès le début de soutenir les séparatistes. Déjà en 1993, elle reprochait aux troupes russes et abkhazes d’avoir procédé à une véritable « purification ethnique » dans la région afin de la russifier.

Relations dégradées

L’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie de Sud n’ont été reconnues par aucun Etat, pas même par la Russie. Néanmoins, le Kremlin a décidé de distribuer des passeports russes à une majorité des habitants de ces régions, ce qui lui permet actuellement de justifier sa présence sur place par la « défense de ses citoyens ». Cependant, la Russie se gardait bien jusqu’à présent de tout rapprochement trop visible et trop formel avec les territoires en sécession. C’est justement cela qui vient de changer et qui inquiète Tbilissi au plus haut degré.

Les relations entre la Russie et la Géorgie restent fortement dégradées depuis l’accession de cette dernière à l’indépendance en 1991, et en particulier depuis la « Révolution de la rose » de 2003, qui a porté au pouvoir le pro-occidental Mikheïl Saakachvili. La nouvelle phase du conflit a été déclenchée le 16 avril dernier par l’annonce du président russe Vladimir Poutine du « renforcement de la coopération » avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Voulant peut-être neutraliser les accusations d’une agressivité anti-géorgienne, Poutine ordonne deux jours plus tard la levée de sanctions économiques contre la Géorgie instaurées en septembre 2006, ainsi que le rétablissement de liaisons postales entre les deux pays. La Géorgie ne s’en émeut pas trop et cherche à savoir ce qui se passe sur le terrain, mais cela se termine mal. Son drone survolant l’Abkhazie est abattu. Une vidéo à l’appui, Tbilissi accuse un Mig-29 russe d’être à l’origine de l’attaque. Malgré les dénégations de Moscou, la Géorgie demande une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU.

Manœuvres diplomatiques

Les grandes manœuvres diplomatiques commencent. Les déclarations de Tbilissi semblent imprégnées plutôt d’inquiétudes que de menaces, mais Moscou évoque de prétendues intentions belliqueuses de la Géorgie et prévient que « si une guerre est déclenchée », les Russes « devront défendre leurs compatriotes, au besoin par des moyens militaires ». Tbilissi prend ces déclarations pour « une menace directe d’agression ». Le « ministre des Affaires étrangères » de l’Abkhazie fait un pas supplémentaire en déclarant ce territoire prêt à devenir un « protectorat militaire » russe et à accueillir des bases russes sur son sol.

La situation devient vraiment tendue. Le 29 avril, le ministère russe de la Défense estime dans un communiqué que « l’évolution des événements » rend nécessaire « une augmentation du contingent de paix des forces russes dans les zones de conflit dans les limites d’effectifs définies par les accords internationaux ». Un autre communiqué est publié le même jour par le ministère des Affaires étrangères russe. Il accuse la Géorgie d’avoir l’intention de préparer « une tête de pont pour le début d’opérations militaires contre l’Abkhazie » en massant 1 500 soldats et policiers dans la partie supérieure des Gorges de Kodori, une enclave au cœur de l’Abkhazie contrôlée par Tbilissi. Les autorités géorgiennes démentent immédiatement avoir pour intention d’attaquer l’Abkhazie.

Intérêts en jeu

Quels sont les intérêts en jeu ? Pour la Russie, c’est l’occasion de décourager une nouvelle fois les Occidentaux, et en particulier les Américains, de pousser leurs pions trop près de ses frontières. En même temps, elle espère mettre les chancelleries occidentales en difficulté diplomatique. En effet, il pourrait être embarrassant pour elles de contester une séparation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud de la Géorgie, alors qu’elles viennent d’encourager le Kosovo à se séparer de la Serbie et de reconnaître son indépendance malgré les protestations de Moscou. Que les deux situations soient difficilement comparables, peu importe, c’est l’effet de propagande qui compte. Et accessoirement, une petite revanche politique ne fait pas de mal…

Cela dit, personne n’a vraiment intérêt à arriver au stade d’un conflit militaire ouvert dans la région. D’abord, les Géorgiens. Face aux Abkhazes appuyés par une armée russe suréquipée, ils n’ont aucune chance de gagner. Et ils savent que les Américains n’iront pas, pour soutenir Tbilissi, jusqu’à risquer un affrontement direct de leurs soldats avec les Russes. C’est pour cela que les accusations russes sur les prétendus préparatifs géorgiens à attaquer l’Abkhazie paraissent peu crédibles.

Photo datant de 2006 du Parlement d'Abkhazie, dans la capitale Soukhoumi, partiellement détruit lors du conflit (1989 à 1993) entre les séparatistes abkhazes et les forces du gouvernement géorgien.(Photo : Wikimédia)

Photo datant de 2006 du Parlement d'Abkhazie, dans la capitale Soukhoumi, partiellement détruit lors du conflit (1989 à 1993) entre les séparatistes abkhazes et les forces du gouvernement géorgien.
(Photo : Wikimédia)

Pourtant, les soupçons sur une possible attaque russe proférés par les Géorgiens ne le sont pas beaucoup plus. En effet, une telle attaque pourrait déclencher une riposte douloureuse. D’abord, l’armée géorgienne, remodelée et modernisée par les Américains, ce ne sont plus les soldats mal fagotés et munis d’équipements vieillissants hérités de l’ère soviétique, que les Abkhazes ont combattus en 1992. L’incident avec le drone en est une preuve indirecte, mais convaincante. Ensuite, la Russie devrait se garder de se laisser entraîner dans un conflit armé où la Géorgie serait soutenue par l’Occident. Dans ce cas de figure, elle risquerait d’apparaître comme l’agresseur et – contrairement à ses intérêts politiques prioritaires – faire accélérer l’entrée de la Géorgie à l’Otan. Enfin, il serait très délicat pour les Russes d’entrer en guerre avec un pays limitrophe de la Tchétchénie et accusé par Moscou déjà dans le passé de laisser transiter - voire de fournir – armes et assistance à la guérilla locale. Combattre pour les caciques abkhazes pour voir ensuite s’ouvrir un deuxième front en Tchétchénie, c’est un calcul qui ne doit paraître très intéressant à Moscou.

C’est pour cela que c’est plutôt le scénario d’escarmouches locales avec le grand jeu géopolitique des alliances pour toile de fond, qui semble le plus probable.

A écouter

Relations Abkhazie/Russie

« En Abkhazie, presque tout le monde est devenu russe ces dernières années, car la Russie a généreusement distribué des passeports à tous ceux qui en demandaient ».

30/04/2008 par Thierry Parisot