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Société

« Noirs en bleu : le football est-il raciste ? »

par Catherine Frammery

Article publié le 05/05/2008 Dernière mise à jour le 07/05/2008 à 09:05 TU

Couverture de l'ouvrage « Noirs en bleu, le football est-il raciste ? » de Jean-Yves Guérin et Laurent Jaoui (Editions Anne Carrière).

Couverture de l'ouvrage « Noirs en bleu, le football est-il raciste ? » de Jean-Yves Guérin et Laurent Jaoui (Editions Anne Carrière).

La France s’était glorifiée de son équipe Black-blanc-beur lors de la coupe du Monde de 1998. Dix ans après, un ouvrage revient sur la place des joueurs noirs dans le foot français, avec cette question en forme d’aveu : le football est-il raciste ? Lecture.
Il ne s’agit pas de se cantonner prudemment au racisme dans les stades, ou lors des contrôles dans les aéroports. Ces petits événements de la xénophobie ordinaire, l'actualité en regorge. L’ouvrage de Jean-Yves Guérin et Laurent Jaoui est bien plus ambitieux, interrogeant les structures mêmes du football, et ses graves manquements.

La préface est signée Lilian Thuram, la post-face Marius Trésor : les auteurs du livre, tous les deux journalistes, blancs, et fous de foot, se sont manifestement entourés de toutes les cautions et précautions pour poser leurs questions tabou. Le football est-il raciste ? Plus précisément : le football français est-il raciste ? Car on le constate souvent, au cours de ces 280 pages qui fourmillent d’informations, la situation dans l’hexagone n’a rien à voir avec ce qui se passe – au Royaume-Uni, par exemple.

Là-bas, l’équipe nationale est très majoritairement composée de blancs. Là-bas, « on vous demande ce que vous faites, pas d’où vous venez », explique Gaston Kelman, l’auteur de « Je suis noir mais je n’aime pas le manioc », succès d’édition en 2005.  Là-bas, les noirs peuvent réussir autrement et ailleurs que dans le sport. Alors ?

Un sujet  encore tabou

Tout a commencé avec ce constat tout simple fait au soir de la finale de la Coupe du monde de 2006 : sur les 11 joueurs en bleu sur le terrain, sept étaient noirs. Mais s’agit-il d’une information ? Peut-on évoquer cette réussite incontestable sans courir le risque de passer pour raciste ? Comment se fait-il qu’une fois leur carrière achevée, à la différence de leurs collègues blancs, ils deviennent si rarement présidents de clubs ou entraîneurs, alors même qu’ils ont fait leurs preuves ? Pourquoi n’y a-t-il pas, ou si peu, d’arbitres noirs ? Les questions se pressent sous la plume de Jean-Yves Guérin et de Laurent Jaoui.

Pour obtenir des réponses, les deux auteurs ont accumulé les rencontres et les interviews : avec des joueurs – Lilian Thuram donc, mais aussi  ses homologues chez les Bleus, William Gallas, Florent Malouda, Christian Karembeu. Avec des dirigeants du foot français – le président de la fédération française de football, Jean-Pierre Escalettes, le président de l’OM Pape Diouf, « l’anomalie sympathique » comme il s’autoproclame, le président de la Ligue de football professionnel, Frédéric Thiriez… Et avec des observateurs – le chercheur à l’EHESS Pape NDiaye, bien connu des auditeurs de RFI, ou encore le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo.

Le racisme, ce n’est pas que pour les autres 

Cette richesse de matériel recèle pas mal de surprises, de confirmations, et de révélations. Au chapitre des premières : le refus catégorique de Guy Roux de tout commentaire : « c’est un mauvais sujet, je ne lirai pas votre livre ». Parmi les confirmations ; la grande implication citoyenne, politique de Lilian Thuram, très engagé dans la lutte contre le racisme. Le joueur revient sur son altercation avec Nicolas Sarkozy (« Non, ce ne sont pas les Noirs et les Arabes qui créent des problèmes dans les banlieues, ceux qui créent des problèmes, on les appelle des délinquants »). Thuram conscience tranquille, qui intervient très régulièrement dans les écoles, a lancé une fondation en Espagne sur le sujet, et entretient une vraie réflexion sur les mécanismes de l’exclusion et de la promotion sociale.   

Enfin, parmi les révélations : le récit d’un camouflet infligé à Pape Diouf par le président de la Lazio de Rome : le Marseillais a refusé de rendre public l’incident, au grand dam de l’UEFA. La Fédération qui admet recevoir tous les ans de nombreuses lettres protestant contre une équipe de France majoritairement noire (« Que se passerait-il s’il n’y avait pas de réussite ? J’aurais peur qu’on me dise : voyez, les résultats sont mauvais parce que c’est comme ça… »). Ou encore cette petite bombe lancée par Frédéric Thiriez : oui, il est partisan de la discrimination positive en faveur des entraîneurs noirs.

Thuram sera-t-il membre du Conseil fédéral de la Fédération, une fois sa carrière terminée ? C’est ce qu’affirme souhaiter Jean-Pierre Escalettes, le président de la FFF : ce serait le premier noir à y siéger, un petit événement à venir.

Ce livre peut aussi être un événement, à son échelle. Il a le grand mérite de poser de bonnes questions, indispensables avant de pouvoir « faire sauter les verrous ». 

Noirs en bleu, le football est-il raciste ? Par Jean-Yves Guérin et Laurent Jaoui, éditions Anne Carrière, Paris, 2008. 19 €. En librairie le 7 mai.