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Documentaire

Un mur à Jérusalem

par Antoinette Delafin (MFI)

Article publié le 07/05/2008 Dernière mise à jour le 07/05/2008 à 16:10 TU

Le film de Frédéric Rossif, réalisé en 1968, sort en DVD. Le réalisateur de Cinq colonnes à la Une a rassemblé des images d’archives pour retracer les étapes qui ont précédé la naissance officielle de l’Etat d’Israël en 1948 – des pionniers fuyant les pogroms russes à la guerre des Six-Jours. Ces bandes d’actualité souvent inédites, commentées par l’écrivain et grand-reporter Joseph Kessel, éclairent ce pan de l’histoire du XXe siècle de manière aussi singulière qu’instructive.

Malgré la dispersion, après la destruction du deuxième temple de Jérusalem (70 après J.-C.), les Juifs n’ont jamais cessé de venir prier au pied de son vestige, le Mur des lamentations, rappelle Joseph Kessel tandis que des images nous mènent des lieux bibliques du désert du Sinaï aux ghettos juifs d’Europe orientale. Chaque année, poursuit-il, les Juifs d’Ukraine, de Lituanie, de Pologne ou d’Arabie célèbrent au même moment la fin des vendanges en Palestine. Une même prière qui se termine par ces mots : « L’an prochain à Jérusalem. »

« Il s’agit maintenant de transformer ce rêve en réalité », écrit Théodore Herzl à la fin du XIXe siècle. C’est en couvrant le procès du capitaine Dreyfus – victime d’une violente campagne antisémite en France – que ce journaliste viennois prend conscience, de manière prophétique, de l’urgence de créer un Etat-refuge. Père spirituel du sionisme, il pense que « la solution du problème juif est politique »*. Déjà, des colons juifs, fuyant les pogroms russes, vont s’établir en Terre promise et travaillent la terre.

L’Angleterre veut la Palestine et joue double-jeu

Devenu « commis-voyageur du futur Etat juif », Herzl convainc l’empereur Guillaume II en 1898 de plaider la cause du sionisme auprès de « celui qui détient les clés de la Palestine », le sultan ottoman Abdul Hamid. « L’Etat juif se fera-t-il en Palestine ? » Il faut attendre 1917, « année capitale pour l’espérance juive », pour que les faits se concrétisent. La Première Guerre mondiale fait rage en Europe tandis qu’en Russie, « la révolution installe un ordre, un monde nouveau », explique Kessel, lui-même Russe blanc dont la famille a fui les bolcheviks.

Au Moyen-Orient, « l’Angleterre veut la Palestine. Pour s’assurer l’appui des chefs sionistes, Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, publie le 2 novembre sa lettre à Lord Rothschild ». Une déclaration qui donne une base légale à l’installation d’un Foyer national juif en Palestine – à condition qu’aucun préjudice ne soit porté à l’une ou l’autre partie en matière religieuse ou politique. « Le rêve de Théodore Herzl devient réalité ».

Mais les Britanniques, qui s’apprêtent à tracer la nouvelle carte du Moyen-Orient, jouent double-jeu. Tandis que les colons juifs s’engagent dans l’armée anglaise pour chasser les Turcs, aidés du colonel Lawrence, de l’Intelligence Service, les Britanniques promettent à « l’émir Fayçal, de la famille des Hachémites, descendante du Prophète et gardienne de la ville sainte de La Mecque », de faire renaître l’unité arabe. Reçu à Damas par les Anglais victorieux, Fayçal « admet qu’il y a place au Moyen-Orient pour un Foyer national juif et il quitte le proconsul anglais assuré de posséder son royaume ».

Le mandat britannique sur la Palestine est officialisé par la Société des nations (SDN) en 1922. Les Anglais fondent à l’est du Jourdain le royaume de Transjordanie et placent à sa tête le roi Abdallah, frère du roi Fayçal. La partie ouest (27 000 km2), qui conserve le nom de Palestine, est confiée à une Agence juive dotée d’une large autonomie qui pratique une politique d’immigration d’autant plus large que les persécutions en Europe s’amplifient.

Ces immigrants « viennent ici pour fonder un pays » mais « il faut d’abord conquérir la terre. (…) Entre les Juifs et les Arabes, tantôt la violence, tantôt l’amitié », remarque Joseph Kessel tandis qu’on assiste à une fête organisée par une grande famille arabe et des colons juifs à qui la première a vendu sa terre. En 1925, le vieux Lord Balfour vient inaugurer l’université hébraïque de Jérusalem sur les bords de la mer Morte : « Pour la première fois depuis 2000 ans, le Juif errant reçoit chez lui. »

Les Juifs, « ennemis communs du national-socialisme et de l’Islam »

« En Europe, l’antisémitisme a trouvé sa patrie, l’Allemagne, son chef, Adolf Hitler. Il proclame la haine du Juif qui corrompt et menace la pureté de la race. » A Jérusalem, le Grand Mufti, El Hadj Amine el-Housseini, appelle les Arabes à la guerre sainte. « Un pogrom à Jaffa donne le signal. Il ne s’agit plus d’attentats épars. » Au printemps 1936, les Anglais cèdent du terrain à la violence arabe. Et David Ben Gourion, nouveau président de l’Agence juive, adopte une nouvelle règle de conduite : « Pour se défendre, attaquer. »

Après la capitulation de Daladier et Chamberlain devant Hitler et Mussolini, en 1938, à Munich, le gouvernement britannique veut assurer ses bases au Moyen-Orient. Il publie en 1939 un Livre blanc qui interdit aux Juifs d’acheter de nouvelles terres et limite leur immigration pour les cinq ans à venir. « Les Juifs sont pris au piège entre les persécutions en Europe et le blocus de la Terre promise. » Alors qu’Hitler applique la solution finale pour neuf millions de Juifs captifs en Europe
– dont six mourront dans les camps –, « le Grand Mufti de Jérusalem, qui avait demandé à Hitler de reconnaître aux Arabes le droit de régler la question juive d’après le modèle allemand, passe en revue la 13e Division SS musulmane qui va combattre sur le front russe. Il déclare : “ Cette division sera l’exemple, le phare du combat contre les ennemis communs du national-socialisme et de l’Islam ”».

Sept-cents mille réfugiés palestiniens : la mauvaise conscience de l’Etat juif

Après la défaite allemande en 1945, les Juifs rescapés passent les frontières en cachette et embarquent sur « des cargos à bout de souffle », mais ils se heurtent à l’arrivée au blocus de la flotte britannique. « Toutes les voies légales sont fermées aux Juifs en Palestine. Une seule issue, le terrorisme. Un seul objectif, chasser les Anglais. » L’attaque de leur QG à l’hôtel King David de Jérusalem fait 110 morts. Les villes se hérissent de barbelés. Enfin, les Britanniques cèdent leur mandat aux Nations unies.

« Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote un plan de partage de la Palestine en deux Etats, l’un arabe et l’autre juif. » Il n’est « pas viable ». Mais « les Juifs sont souverains sur leur terre. Pour les Arabes, c’est le refus immédiat, définitif du compromis. On arme des volontaires palestiniens. Des commandos venus de Syrie et d’Irak entrent en Palestine. » Le 5 décembre, à Jérusalem, Tel-Aviv ou Jaffa, les magasins juifs flambent. Les colons encerclés s’appuient sur leurs organisations clandestines. Les Anglais ne reconnaissent pas la Haganah
– l’armée des colons juifs qui passe à l’offensive pour conquérir l’espace attribué par l’ONU. Massacre contre massacre. Notamment le 9 avril 1948, où l’Irgoun, un commando terroriste juif, tue les 250 habitants du village arabe de Der Yassine. « Des centaines de milliers d’Arabes quittent leur maisons poussés par les radios qui leur promettent un retour triomphal après la victoire. »

Le 14 mai, les Anglais quittent le pays. Ben Gourion proclame la fondation de l’Etat d’Israël. « Le même jour, les armées libanaise, syrienne, irakienne, égyptienne et la Légion arabe de Transjordanie entrent en Palestine. » La bataille de Jérusalem commence... Début 1949, « 700 000 réfugiés arabes palestiniens campent aux frontières d’Israël. Ils sont la mauvaise conscience de l’Etat juif. »

Un Mur à Jérusalem, un film de Frédéric Rossif et Albert Knobler. Texte de Joseph Kessel. Mai 2008, Editions Montparnasse, 20 euros. www.editionsmontparnasse.fr

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