par Valérie Hirsch
Article publié le 14/05/2008 Dernière mise à jour le 14/05/2008 à 13:12 TU
Un Zimbabwéen s'est réfugié avec ses effets personnels devant le poste de police d'Alexandra.
(Photo : AFP)
« Les Zoulous m’ont demandé d’où je venais, puis ils m’ont frappée », chuchote Yvonne Ndlovu, la tête baissée. Assise sur un lit d’hôpital, elle vomit, sous le choc de l’agression. Une grande tache de sang couvre ses cheveux. Cette jeune Zimbabwéenne de 19 ans est l’une des victimes des attaques xénophobes, qui ont fait trois morts et au moins 60 blessés, dans le township d’Alexandra, à Johannesburg. Chaque nuit, depuis dimanche, une foule de résidents, armée de bâtons, de couteaux mais aussi d’armes à feu, attaquent les bidonvilles, où vivent de nombreux Zimbabwéens, Mozambicains et Malawites. Des résidents Sud-Africains ont également été blessés. Selon un journal local, l’un deux a été tué après avoir tenté de protéger ses voisins.
La police, qui utilise des balles en caoutchouc pour disperser les émeutiers, a arrêté 66 personnes pour agression, vol et quatre viols. « Dimanche soir, je dormais quand une vingtaine d’hommes ont fait irruption dans ma chambre, raconte Yvonne. Ils disaient qu’ils ne voulaient pas d’étrangers à Alexandra. Ils m’ont volé mon portable et mon argent. Lundi matin, j’ai de nouveau été agressée dans la rue. Ils m’ont frappée à la tête ». Des passantes lui ont crié : « Retourne chez toi ! ». Yvonne est arrivée l’année dernière de Bulawayo, au Zimbabwe, pour aider sa famille : « Mes parents ne parvenaient plus à payer la scolarité de ma sœur cadette, explique-t-elle, entre deux sanglots. Dès que je peux, je rentrerai chez moi ! ».
Accusés à tort d'être responsables de tous les maux
L’afflux des Zimbabwéens en Afrique du Sud – ils seraient environ 1 et 3 millions, la plupart en situation illégale – suscite la colère des Sud-Africains pauvres. « Ils prennent nos emplois, nos maisons ! Nous ne voulons pas d’eux ici ! », explique un habitant d’Alexandra. « Certains sont criminels. Vous ne pouvez pas faire confiance à des gens qui sont en situation illégale », ajoute un autre. Accusés à tort d'être responsables du taux élevé de chômage (40 % de la population), de la criminalité et de la persistance de la pauvreté, les Africains sont la cible d’attaques de plus en plus fréquentes : depuis mars, il y a eu des agressions dans cinq bidonvilles de Pretoria et Johannesburg, qui ont fait une dizaine de morts, en majorité des Zimbabwéens. Une dizaine de Somaliens, qui tiennent des boutiques dans les townships, ont aussi été tués depuis deux ans par des foules en colère, au Cap et à Port Elisabeth.
Des rumeurs...
L’hostilité des Noirs sud-africains, à l’égard de leurs « frères » africains, n’est pas nouvelle. Isolés pendant l’apartheid, ils connaissent mal le reste du continent. Les Africains, qui ont commencé à affluer après l’ouverture des frontières en 1994, ont été très mal accueillis : par la population, mais aussi par les services d’immigration et la police, qui ne cessent de les rançonner. En 1998, le gouvernement avait lancé une campagne à la radio contre la xénophobie. Mais sans grand succès, alors que le nombre de Zimbabwéens, chassés par la crise dans leur pays, a explosé ces dernières années. Frans Cronje, directeur adjoint de l’Institut sud-africain des relations raciales, parle de trois à cinq millions d’illégaux dans le pays ! Mieux éduqués, plus motivés, ces immigrés sont très nombreux dans l’agriculture, la construction et tous les emplois mal payés que les Sud-Africains rechignent à occuper. Il y a aussi une forte compétition pour l’accès aux services sociaux (écoles, soins de santé, logement). Ainsi c’est une rumeur, selon laquelle des étrangers auraient illégalement reçu des maisons sociales, qui a déclenché les émeutes de ces derniers jours..
A Alexandra comme ailleurs, les leaders politiques semblent désemparés. « Les agresseurs sont des éléments criminels, qui ont été manipulés », pense Linda Mamela, président de l’ANC à Alexandra. Lundi, 500 policiers ont été déployés dans le township pour veiller au grain, tandis que des centaines d’étrangers se sont réfugiés dans les postes de police. La plupart souhaitent rentrer chez eux. Ceux qui sont en situation illégale pourraient subir le même sort que les Zimbabwéens victimes d’agressions à Atteridgeville, un township de Pretoria, en mars dernier : ils avaient été ramenés, de gré ou de force, dans leur pays. « Les attaques vont se multiplier si la seule réponse des autorités est de déporter les étrangers, note Loren Landau, un chercheur du programme d’études sur les migrations forcées, à l’Université de Johannesburg. Il y a un an et demi, nous avons appelé le gouvernement à mener des actions sur le terrain pour éduquer la population et mettre en place des mécanismes pour résoudre les conflits. Nous attendons toujours leur réponse ! Ce n’est qu’en mars dernier que le président Mbeki a appelé ses concitoyens à respecter les étrangers ».
Plusieurs études ont montré que l’apport de cette immigration est positif pour l’économie sud-africaine, qui manque de main d’œuvre qualifiée. Mais le gouvernement sud-africain n’a jamais rien fait pour favoriser l’intégration des étrangers et pour expliquer à sa population qu’ils ne sont pas responsables du chômage et de la pauvreté dans leur pays.