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Italie

Naples en surchauffe, Silvio Berlusconi garde la tête froide

par Marina Mielczarek

Article publié le 20/05/2008 Dernière mise à jour le 20/05/2008 à 20:03 TU

Le gouvernement italien se délocalise. Un mois après avoir été élu président du Conseil, Silvio Berlusconi préside ce mercredi son premier conseil des ministres à Naples, où la crise des déchets tourne à l’émeute proche d’une « guérilla urbaine » selon la préfecture. Excédée par l’amoncellement de tonnes de détritus dans la région (la Campanie), les Napolitains font monter la pression. En dépit des symboles et de sa bonne volonté, de quelle marge de manœuvre bénéficiera réellement Silvio Berlusconi ?

Les rues de Naples sont envahies par des piles d'ordures depuis des mois.(Photo : Reuters)

Les rues de Naples sont envahies par des piles d'ordures depuis des mois.
(Photo : Reuters)


Dans l’euphorie de sa victoire électorale le mois dernier, Silvio Berlusconi promettait de venir travailler à Naples trois jours par semaine. Promesse non tenue évidemment puisque la crise des déchets qui gangrène la Campanie depuis 14 ans n’est qu’une des priorités parmi les dossiers à traiter de toute urgence en Italie. Face à l’imminence de la venue de leurs ministres à Naples, les habitants ont cherché à faire pression. 

Les journalistes du monde entier se sont déplacés le week-end dernier pour filmer les rues « de la honte », 6 000 tonnes d’immondices déversées sous les fenêtres des Napolitains, 50 000 autres tonnes le long des routes périphériques. A cela, se sont ajoutées des scènes de violence, barricades et jets de pierre contre les pompiers.

Qu’importe la couleur politique, c’est l’ensemble de la presse italienne qui a contribué à faire monter les enchères. « Dans la dramatique affaire des déchets, ce n'est pas seulement la crédibilité du gouvernement Berlusconi qui sera en jeu », mais aussi « l'image internationale du pays, horriblement défigurée », soulignait mardi un éditorialiste du Corriere della Sera (plutôt dans l’opposition). Les médias de la péninsule sont les premiers à reconnaître l’échec des plans du gouvernement précédent, l’équipe socialiste de Romano Prodi.

Il est important de noter qu’il y a à peine trois mois, RFI s’était déplacée à Naples où des professionnels du secteur touristique s’inquiétaient déjà comme Carlo, gérant d’une des plus grandes pâtisseries du quartier historique, pour le chiffre d’affaire de l’été à venir. « Bien-sûr que j’ai honte pour ma ville ! Regardez, regardez, cette place d’habitude est noire de monde, et aujourd’hui, il n’y a personne… D’habitude à cette saison j’en suis à 2 000 ou 3 000 euros par jour, en ce moment, c’est 300 euros. Si ça continue comme ça, c’est sûr, nous serons obligés de mettre les clés sous la porte ».

En cette fin mai, il fait 27 degrés de moyenne chaque après-midi. Outre l’odeur pestilentielle, les médecins ne cachent plus leur inquiétude. Dans un communiqué spécial, l’Ordre des médecins s’est déclaré préoccupé par la multiplication des rats, des cafards et des insectes. Le risque de maladies grandit. Ces mêmes spécialistes estimaient dimanche dernier que la situation sanitaire « déjà difficile menaçait de devenir dramatique ». Ce mercredi, certains d’entre eux se rallieront aux défilés de citoyens. Neuf manifestations sont prévues en guise d’accueil ministériel.

L’Union européenne fait monter la pression

Pour remédier au chaos des dernières 48 heures, et contrer un éventuel début d’épidémie, le préfet de Naples a pris trois mesures exceptionnelles : l’ouverture d’un numéro spécial d’urgences médicales ; la constitution d’un réseau sanitaire ; ainsi que la reprise des trains spéciaux vers l’Allemagne, des wagons remplis d’ordures destinées à l’incinération dans des structures adaptées. Or, c’est justement en raison de normes non respectées dans ses installations, que l’Italie s’est fait épingler par la Commission européenne. La collecte, le transport, le stockage et la destruction des ordures ayant toujours été aux mains de la mafia napolitaine (la Camorra), des chargements entiers d’ordures non triées se sont vus par le passé obligés de faire demi-tour. Retour à l’envoyeur pour déchets non identifiés !

Tonio, un responsable d’association écologiste d’une commune rurale aux abords de Naples, conduit les journalistes sur un immense terrain encerclé de hautes barrières de protection. Tout près, paissent des troupeaux de bufflonnes et poussent de cultures maraîchères. Ici s’entassent depuis 14 ans des paquets cachés sous d’énormes bâches de plastique noir. « Vous voyez là-bas ces camions citernes ? Ce sont des véhicules qui appartiennent à la mairie. Ils viennent pomper les liquides nauséabonds qui s’échappent des ces « éco-blocs» comme on les appelle ici. Toute la commune est inquiète, nous-mêmes on n’achète plus de fruits ni de mozzarella dans les supermarchés d’ici. On ne prend que des surgelés ou du fromage provenant du nord de l’Italie ».

L’une des composantes du problème des déchets, provient de la pénurie de décharges publiques ou du refus des riverains à l’ouverture de terrains proches de leurs habitations. Mais sans collectes différenciées entre déchets hospitaliers, industriels et ménager, les rares décharges non saturées encore en activité ne peuvent accueillir légalement les déchets.

D’autre part, la Camorra, mais aussi des associations de citoyens appuyées elles-mêmes par les militants écologistes, refusent la construction de l’incinérateur prévu à Naples depuis deux ans. Trop de rumeurs et d’articles circulent sur les échappées de dioxydes, poison pour l’environnement et la santé humaine. 

Retard pour retard, l’Union européenne qui a versé près de 2 millions d’euros dans un plan global s’étalant sur cinq ans, a décidé de poursuivre l’Italie devant la Cour européenne de justice. Sans solution immédiate, le gouvernement Berlusconi risque de devoir payer la facture d’une lourde amende.

Pas de miracle en vue

« Personne n’a de baguette magique, le problème est sérieux. La population a de grandes attentes, je tenterai de ne pas la décevoir ». Parole de Silvio Berlusconi enregistrée à Rome mardi matin, soit 24 heures avant l’ouverture du premier conseil de ministres à Naples. Celui qui s’est souvent présenté comme le « sauveur d’un pays en crise » a entamé son nouveau mandat en faisant profil bas, ne promettant pas de solutions toutes faites mais invitant plutôt le peuple à se serrer les coudes ou la ceinture… 

Partagé entre fatalisme et colère face à un gouvernement central à Rome qui s’est montré depuis tant d’années si indifférents à leur sort, les Napolitains ne se font guère d’illusions. Chacun sait qu’on ne se débarrassera pas de la mafia du jour au lendemain. Pas un secteur de l’économie n’échappe à l’emprise de la Camorra. Mais dans son chapeau, Silvio Berlusconi pourrait employer la manière forte. Calquant son idée sur ce qu’avait déjà tenté son prédécesseur, le nouveau président du Conseil pourrait déployer l’armée de façon plus massive et sur la durée. Des troupes chargées d’ouvrir de force de nouvelles décharges, voire de tenir au secret les lieux d’éventuels stockage.

Le milieu des affaires à Naples, prête à Il Cavaliere l’intention de modifier la loi pour accélérer les procédures et construire d’urgence plusieurs autres incinérateurs. Le gouvernement pourrait aussi réquisitionner certains terrains militaires. En parallèle, Silvio Berlusconi pourrait même nommer un nouveau ministre, ou plus précisément un nouveau secrétaire d’Etat délégué, chargé spécifiquement de la crise napolitaine.    

Comment réagira la mafia face aux annonces de ce mercredi ? Personne n’est en mesure de le deviner, et surtout pas Domenico Noviello, un chauffeur de bus scolaire qui dénonçait les extorsions de la Camorra. La semaine dernière, cet homme de 65 ans a été abattu dans sa commune de Castelvolturno dans la banlieue de Naples. C’est la deuxième victime en deux semaines d’une organisation qui compterait aujourd’hui, jour de Conseil des ministres, 5 000 membres dans ses rangs.