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Russie / Chine

Poupées russes et ombres chinoises

par Piotr Moszynski

Article publié le 23/05/2008 Dernière mise à jour le 23/05/2008 à 23:43 TU

Dmitri Medvedev a entamé son premier voyage à l’étranger en tant que chef de l’Etat russe. Après le Kazakhstan, il s’est rendu en Chine. Avec deux objectifs principaux : les contrats énergétiques et les signaux politiques destinés en particulier à l’Occident.

Le président chinois Hu Jintao (g) et son homologue russe Dmitri Medvedev passent en revue la garde d'honneur à Pékin ce vendredi 23 mai.(Photo : Reuters)

Le président chinois Hu Jintao (g) et son homologue russe Dmitri Medvedev passent en revue la garde d'honneur à Pékin ce vendredi 23 mai.
(Photo : Reuters)

Ancien haut dirigeant du géant gazier russe Gazprom, Dmitri Medvedev doit se sentir fort bien dans le rôle d’un « VRP énergétique » de son pays. Il a déployé tous ses talents en la matière au Kazakhstan, mais avec des résultats mitigés. C’est pratiquement la seule ancienne république soviétique qui, grâce à ses richesses naturelles, est entièrement indépendante de la Russie sur le plan énergétique et a toutes les chances de devenir une puissance régionale. Tout en restant un allié proche de la Russie, le Kazakhstan peut se permettre de mener une politique tout à fait autonome. Ainsi, la visite de Medvedev n’a apporté aucune percée dans les négociations russo-kazakhes sur l’énergie, et notamment sur la construction d’un nouveau gazoduc allant de la mer Caspienne à la Russie. Le Kazakhstan s’est en revanche engagé en 2006 à participer à un projet soutenu par les Américains. Il s’agit de l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) qui permet de contourner la Russie. Celle-ci s’inquiète de l’annonce d’une prochaine approbation de cette participation par la Chambre haute du Parlement kazakh. Toutefois, Moscou peut seulement essayer d’influencer les autorités à Astana sur la quantité de pétrole que le Kazakhstan fournira au BTC – quantité qui n’a pas encore été fixée.

Intérêts communs

L’étape chinoise du premier voyage présidentiel s’annonce beaucoup plus efficace. A peine Medvedev arrivé à Pékin, un contrat nucléaire d’un montant d’un milliard de dollars a été signé. Il prévoit l’extension d’une usine chinoise d’enrichissement d’uranium et la fourniture de combustible. Le nouveau président russe n’a pas hésité à souligner d’emblée que les relations russo-chinoises « se trouvaient à un niveau excellent et montraient l'exemple d'une coopération stratégique de deux grands Etats qui atteignent leurs objectifs grâce à cette coopération ».

En effet, la Russie et la Chine ont beaucoup d’intérêts communs, aussi bien dans le domaine économique que dans celui de la politique internationale. Cela est particulièrement bien visible à l’époque où les relations de la Russie avec l’Occident connaissent un net refroidissement. Par exemple, Moscou et Pékin s'opposent tous les deux au projet de bouclier antimissile américain, ainsi qu'à l'indépendance du Kosovo soutenue par les Occidentaux. Membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, les deux pays ont une approche commune sur beaucoup de dossiers internationaux, notamment les dossiers nucléaires iranien et nord-coréen. Par ailleurs, la coopération économique russo-chinoise est au plus haut. Leurs échanges commerciaux ont atteint un chiffre record, 48,16 milliards de dollars en 2007 (+44,3% par rapport à l'année précédente !).

Dissonances

Cependant, les Russes et les Chinois ne sont pas mutuellement contents de tous les aspects de leur coopération. La croissance des exportations chinoises vers la Russie – multipliées par 15 entre 2002 et 2007 – dépasse considérablement celle des exportations russes vers la Chine, multipliées seulement par trois au cours de la même période. Un autre secteur des tensions : les ventes d’armements. Les généraux chinois ne cachent pas leur mécontentement devant le refus russe de leur vendre les modèles les plus récents du matériel militaire. Les Russes, eux, viennent de piquer une colère noire en se rendant compte que les Chinois ont purement et simplement copié leur chasseur Su-27.

Medvedev a peut-être plus de chances que d’autres de surmonter les difficultés et d’avancer sur la voie de l’entente. Contrairement à ce qui se passe à l’Occident, en Chine il est un des hommes politiques russes les mieux connus depuis longtemps. En effet, en tant que premier vice-Premier ministre, il était responsable de contacts avec la Chine. Il était aussi le premier dirigeant étranger à discuter, en février 2007, sur un « chat » avec les internautes chinois, suscitant environ 200 000 connexions.

Au-delà des relations bilatérales entre la Russie et la Chine, le voyage de Dmitri Medvedev attire beaucoup l’attention de commentateurs internationaux, avides de tout signal permettant de deviner si le nouveau président donne de nouvelles orientations à la politique russe et quelle est sa véritable position dans la hiérarchie du pouvoir à Moscou.

Messages subliminaux

Est-ce que l’actuel voyage permet de déceler quelques indices dans un sens ou dans un autre ? En tout cas, il permet d’essayer de le faire. On peut douter d’une volonté russe de remodeler, à cette occasion, la politique étrangère. En rencontrant Angela Merkel et George W. Bush peu après son élection et en recevant au Kremlin, juste après avoir prêté serment, le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier, Dmitri Medvedev a suffisamment souligné l’ampleur de son intérêt pour les orientations traditionnelles de la politique internationale russe pour que son voyage asiatique soit plutôt considéré comme un élément du jeu avec les Occidentaux au moment où les relations avec eux connaissent une période difficile. Il est vrai que Medvedev s’intéresse beaucoup aux pays émergents et veut sans doute renforcer la position de la Russie dans ces régions, mais son actuel voyage semble plutôt constituer un signal adressé à l’Occident ingrat : « Si vous voulez faire les difficiles, vous voyez bien que nous pouvons nous passer de vous. La Russie a d’autres amis. Elle a aussi de puissants alliés en Orient ».

Un autre message subliminal pourrait être adressé – surtout à l’occasion de la visite au Kazakhstan – aux anciennes républiques soviétiques : indépendamment de leurs ambitions, stratégies, possibilités et projets individuels, la Russie tient à les garder dans sa zone d’influence. Selon le directeur de la revue Russie dans la politique globale Fiodor Loukianov, « la Russie craint une expansion silencieuse de la Chine en Asie centrale. La Russie s’est habituée à percevoir l’Asie centrale comme la cour de son immeuble, mais il se trouve que la Chine ne partage pas cette approche ».

Et la position de Medvedev dans la hiérarchie du pouvoir en Russie ? Peut-on conclure quoi que ce soit de la direction de son premier voyage ? Il est peut-être significatif qu’il n’a pas commencé ses pérégrinations à l’international par les capitales traditionnellement considérées comme les plus prestigieuses : Washington, New York, Bruxelles, Berlin, Londres, Paris… Le fait de se borner très nettement, lors de ses premières visites à l’étranger, au rôle d’un « VRP énergétique » pourrait également en dire long sur la place qui lui est attribuée à Moscou. Elle rappelle plutôt celle d’un Premier ministre… Que va donc faire, dans cette situation, le Premier ministre en titre ? Sera-t-il, comme disent certains, tenté de continuer à exercer les fonctions présidentielles ? On sera sans doute fixé sur ce point au fil de quelques prochains voyages de Medvedev… et de Poutine.