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Népal

La dynastie des Shah perd ses griffes

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 27/05/2008 Dernière mise à jour le 28/05/2008 à 16:19 TU

Les 601 parlementaires ont prêté serment, ce mardi, à la veille de la première réunion de l’Assemblée constituante qui doit abolir définitivement la monarchie. «C’est un jour historique», a expliqué Prachanda, le leader maoïste qui a mené son parti à la victoire, le 10 avril 2008. Ce jour-là, les maoïstes avaient remporté une victoire électorale sans précédent, en arrachant plus d’un tiers des sièges de l’Assemblée constituante.

Les maoïstes l’ont promis : après 240 ans d’existence, la monarchie népalaise, unique royaume hindou de la planète va disparaître, et sera remplacée par un régime républicain. Le roi Gyanendra, héritier de la longue dynastie des Shah perdra son trône, sous les coups de butoir d’un mouvement maoïste. C’est un fait sans précédent dans l’histoire contemporaine. Pour les maoïstes, c’est une victoire totale.

Un militant maoïste.(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Un militant maoïste.
(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

« Ce que les communistes n’ont pas réussi à faire ces quatre-vingt dernières années, Prachanda va le réaliser ! ». Perdue au milieu de la foule maoïste, une communiste chilienne, mise en prison par Pinochet dans les années 1970 savoure la victoire de son nouveau maître et promet la révolution. Celle du peuple !

Ce jour-là, Prachanda venait tout juste de recevoir son certificat de constituant attestant de sa victoire personnelle à l’élection. Tout le gratin maoïste, cadres et ministres du gouvernement intérimaire, assistaient à la cérémonie improvisée sur les marches du centre international de conférence de Katmandou. Un raz de marée était en train de se dessiner dans les urnes mais aucun commentateur, aucun diplomate ne voulait vraiment y croire. Les maoïstes eux-mêmes étaient surpris par cette vague rouge de faucilles et de marteaux. Et pourtant, avec 220 sièges à l’Assemblée, les anciens guérilleros sont devenus la première force politique du Népal. Après 10 ans d’une guerre civile qui a fait plus de 13 000 morts, c’est la victoire du réalisme sur l’idéologie et les ambitions militaires ; la victoire d’un homme, Prachanda, un ancien instituteur de 54 ans qui a réussi à imposer son calendrier politique.

Prachanda, chef de file du mouvement maoïste.(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Prachanda, chef de file du mouvement maoïste.
(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Entre 2006 et 2008, les maoïstes ont en effet réussi à signer un accord de paix avec les partis traditionnels népalais, comme le parti du Congrès. Ils ont ensuite intégré un gouvernement intérimaire, menaçant à chaque instant de reprendre les armes si la monarchie n’était pas abolie.

Les anti-Prachanda ont tout tenté pour faire dérailler ce processus de paix. Ils ont attaqué les militants maoïstes, comme ce 21 mars 2007 à Gaur dans le sud du Népal, où 29 partisans de Prachanda ont été massacrés. Ils ont enlevé ou assassiné des candidats du parti. Les maoïstes ont évidemment rendu coup pour coup, utilisant la violence et l’intimidation comme des armes de campagne. Toutefois, les anciens rebelles n’ont jamais cédé à la pression. Hantés par leurs vieux démons, ils n’ont jamais repris les armes. La logique de pouvoir l’a toujours emporté sur la logique de guerre. L’avenir politique des maoïstes dépendait étroitement du scrutin du 10 avril 2008. Les caciques du parti avaient conscience de l’enjeu. Ils savaient parfaitement que l’élection de l’Assemblée constituante allait légitimer leur entrée officielle en politique. L’objectif a été atteint.

Un mois et demi après l’élection, les maoïstes devraient proclamer, ce mercredi 28 mai 2008, la fin de la monarchie népalaise. En langage maoïste, cela revient à dire : « les masses populaires vont abolir un système féodal et réactionnaire qui a exploité le peuple népalais pendant 240 ans ».

Prachanda, en campagne.(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Prachanda, en campagne.
(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Pendant toute la campagne électorale, ce discours radical a séduit les Népalais les plus défavorisés qui ont voté massivement pour les maoïstes. Ces populations pauvres ou marginalisées ont surtout voté pour le changement.

L’engouement pour les anciens rebelles aurait pu faire croire à un rejet de la monarchie. Le Népal de Prachanda s’est construit sur un mouvement anti-Gyanendra qui est né dès le mois de juin 2001, alors que ce roi homme d’affaires montait sur le trône après l’assassinat mystérieux d’une grande partie de la famille royale. L’impopularité de Gyanendra a atteint des sommets en février 2005, lorsque celui-ci renvoya le gouvernement et confisqua tous les pouvoirs. Des pouvoirs rendus au peuple un an plus tard après une révolte populaire. Au fil des mois, ce ressentiment fut si marqué qu’il a solidifié l’alliance contre nature entre les maoïstes et les partis traditionnels.

Face à ce front anti-Gyanendra, incarnation du dieu Vishnou, il n’y a que les extrémistes hindous pour faire un peu de bruit. Il faut dire que lorsque la monarchie népalaise sera abolie, l’unique royaume hindou de la planète disparaîtra. Ce qui ne laisse pas indifférents certains groupes ultra minoritaires. En début de semaine, le GFP, un mouvement jusque-là inconnu, a ainsi revendiqué deux attaques à la bombe qui n’ont fait aucun blessé.

Pour éviter tout débordement, le gouvernement a renforcé le dispositif de sécurité à Katmandou. Mercredi 28 mai 2008, les manifestations et les rassemblements ont été interdits dans certains endroits sensibles de la capitale népalaise. Quelque cinq mille policiers seront déployés autour du palais royal et du bâtiment où se réuniront les constituants.

Malgré ces dispositions, les maoïstes comptent bien fêter leur victoire. Le parti a l’intention de mobiliser les membres de YCL, (Youth Communist League), la principale organisation qui regroupe les jeunesses maoïstes pour célébrer la proclamation de la République.

Militants de YCL, la jeunesse maoïste.(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

Militants de YCL, la jeunesse maoïste.
(Photo : Nicolas Vescovacci / RFI)

C’est un moment que les maoïstes attendent depuis près de quinze ans. Pour Prachanda, c’est l’aboutissement de toute une vie. Mais au Népal, la fête sera quoi qu’il arrive de courte durée. Avec 280 dollars de revenus par an et par habitant, ce petit pays est le plus pauvre d’Asie du Sud. Entre la lutte contre la pauvreté et la création de nouvelles institutions, les défis du nouveau régime, emmené par un Prachanda, Premier ministre ou président, sont énormes.

Nepal: vers une Répubique

« Je suis heureux. A partir de maintenant, tout le pouvoir, tout le pays, sera entre les mains du peuple. Le roi va devoir quitter son palais, et je pense que nous allons en faire un musée. »

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28/05/2008 par Pierre Prakash