par Stéphanie Maupas
Article publié le 29/05/2008 Dernière mise à jour le 29/05/2008 à 17:48 TU
Yussuf Munyakazi, riche commerçant du sud du Rwanda, chef de milice pendant le génocide de 1994, ne sera pas jugé à Kigali. Accusé de génocide et crimes contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les juges ont décidé, le 28 mai, que cet homme serait jugé à Arusha. Sommé par le Conseil de sécurité des Nations unies de boucler ses procès fin 2010, le tribunal d’Arusha avait envisagé de renvoyer certains dossiers, les moins importants, à des juridictions nationales. Paris a ainsi hérité de deux dossiers. La Belgique et les Pays-Bas sont pressentis.
Mais les Etats européens restent réfractaires à l’idée de conduire ces procès sur leur sol, alors qu’en revanche, Kigali s’était immédiatement portée candidate. Au printemps 2007, le Rwanda votait une loi devant lui permettre de s’emparer de dossiers du TPIR. En juillet, le pays abolissait la peine de mort pour lever toute objection. Le procureur du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, déposait plusieurs requêtes visant au transfert de cinq dossiers vers le Rwanda. La première décision rendue par Arusha constitue pour lui un véritable revers.
Justice sous pression
Pour les trois juges - kényan, argentin et tchèque – la justice rwandaise n’est pas indépendante. « Les garanties suffisantes contre les pressions extérieures sont absentes », écrivent-ils. Ils évoquent, s’appuyant sur plusieurs témoignages, les risques de pressions sur les juges et sur les témoins, et estiment que la situation actuelle ne permet pas de transférer les dossiers judiciaires vers le Rwanda. Les arguments des juges sont une véritable réponse du berger à la bergère.
Depuis la création du tribunal en 1994, le Rwanda a régulièrement fait pression sur la juridiction, en empêchant par exemple les témoins de se rendre à la barre du tribunal. Le gouvernement rwandais a montré « une tendance à exercer des pressions judiciaires », notent-ils. A l’appui de leur démonstration, les juges utilisent les réactions officielles de Kigali lors de la mise en accusation de neuf personnes par le juge français Jean-Louis Bruguière, en novembre 2006, et lors de celle émise par un juge espagnol, Fernando Andreu Merelles, en février.
Une porte ouverte
Ils en concluent que ce serait « trop d’attendre d’un individu [un juge au Rwanda] qu’il soit en mesure de résister à la pression d’un Etat dont la pratique a montré des interférences avec les décisions judiciaires ». Les juges laissent néanmoins une porte ouverte à Kigali, donnant toute sa dimension au rôle de la justice internationale. « Si le Rwanda continue le long chemin parcouru [en améliorant son système judiciaire], le tribunal devrait être en mesure, à l’avenir, de renvoyer l’affaire devant les tribunaux rwandais », écrivent-ils. La décision rendue par les juges d’Arusha était très attendue.
Plusieurs Etats, dont la France, sont saisis par Kigali de demandes d’extradition concernant des Rwandais. Jusqu’ici, aucun d’entre eux n’avait accepté, malgré la tentation de vouloir se débarrasser de dossiers pesants. La décision des juges d’Arusha les place, eux aussi, devant leurs responsabilités face aux standards internationaux de protection des droits de l’homme. La décision d’Arusha aura aussi des conséquences sur sa fermeture. L’échéance 2010, telle que fixée par New York, est aujourd’hui impossible à tenir. Le 4 juin, le président du tribunal et le procureur seront devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Ce dernier, Hassan Bubacar Jallow, devrait aussi être attendu sur les enquêtes concernant des membres de l’Armée patriotique rwandaise. Le Conseil de sécurité lui avait demandé de s’en saisir, en août 2003. Or le procureur aurait eu l’intention, selon plusieurs sources, de remettre ces dossiers à Kigali.