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Mexique

Lutte contre la drogue : la voie colombienne

par Jean-Pierre Boris

Article publié le 04/06/2008 Dernière mise à jour le 04/06/2008 à 16:41 TU

La police fédérale mexicaine a lancé une opération d'envergure contre les trafiquants de drogue.(Photo : Reuters)

La police fédérale mexicaine a lancé une opération d'envergure contre les trafiquants de drogue.
(Photo : Reuters)

L’offensive militaire engagée par le président Felipe Calderon contre les cartels mexicains de la drogue est insuffisante pour éliminer ces mafias du paysage. Le nord du pays connaît un véritable bain de sang. On peut compter jusqu'à plusieurs dizaines de morts par week-end. Et la stabilité du gouvernement est menacée.

Au cours de la journée du mardi 3 juin 2008, la vague de violence qui secoue le Mexique a fait neuf morts. Huit civils dont l’identité n’a pas été révélée ont été abattus dans l’Etat de Chihuahua, frontalier du Texas. Trois hommes circulant dans une camionnette ont été exécutés. Plus tôt dans la journée, ce sont deux frères d’une trentaine d’années qui ont perdu la vie après avoir reçu une rafale de fusil d’assaut AK-47. Il faut ajouter un homme de 44 ans tué lui aussi par balles, un ancien policier trucidé à la sortie d’un commerce alors qu’il montait dans sa voiture et un jeune homme de 20 ans dont on a retrouvé le cadavre près de l’aéroport de la ville de Ciudad Juarez. La liste ne serait pas complète si l’on n’ajoutait pas le cas de Felipe de la Pena Ramos, commandant du Groupe spécial de la police contre le vol de bétail. Ce haut gradé de la police a été suivi lundi soir par un commando de tueurs qui ont déchargé leurs fusils d’assaut sur lui quand il s’est arrêté pour faire le plein à une station service. Il y a quatre mois, le commandant Felipe de la Pena Ramos avait été transféré de Ciudad Juarez jusqu’à la ville de Chihuahua en raison des menaces de mort proférées à son encontre par des trafiquants de drogue. Son transfert n’a donc pas suffi. Les tueurs l’ont suivi.

Folie meurtrière au Nord

Le simple film de la journée du 3 juin 2008 donne une petite idée de la folie meurtrière qui s’est emparée du nord du Mexique. Il peut y avoir jusqu’à plusieurs dizaines de morts par week-end. Selon le quotidien mexicain El Universal cité dans Le Monde du 23 mai dernier, « 980 des 1356 victimes de la guerre que se livrent les cartels » ont trouvé la mort dans le nord du pays, et 395 d’entre elles dans le seul Etat de Chihuahua. Au total, depuis janvier 2007, le bilan s’élève à 4 000 morts environ dont 450 étaient des militaires ou des policiers.

Si l’Etat de Chihuahua est au cœur de la tourmente, il n’est pas pour autant le seul. Les Etats de Sinaloa, de Durango sont également frappés. Tous ont pour point commun d’être proches des Etats-Unis, principal marché des producteurs mexicains de drogue. Pour pouvoir écouler tranquillement leur marchandise, les narcotrafiquants ont besoin de contrôler les points et les routes d’accès. Le combat entre les différents groupes est féroce. Il l’est d’autant plus que depuis un an et demi, les narcotrafiquants doivent faire face à une vigoureuse offensive des forces de sécurité.

Dès son arrivée au pouvoir, le premier décembre 2006, le président Felipe Calderon a en effet déclaré la guerre aux cartels de la drogue et à leur emprise, parfois politique, sur les Etats du nord du Mexique. Par vagues successives, des milliers d’hommes ont été envoyés sur place. Très vite, l’armée a prêté main forte à la police. Aujourd’hui, on chiffre à près de 40 000 les effectifs militaires engagés dans cette nouvelle guerre civile. On assiste donc à une militarisation totale de ce conflit.

En un an et demi, les militaires ont procédé à 5 800 arrestations, détruit 2 900 tonnes de marijuana et 24 tonnes de cocaïne.  Selon l’édition du 3 juin du Los Angeles Times, les narcotrafiquants auraient ainsi perdu environ 20 milliards de dollars.

Vers un durcissement du conflit                                

Pourtant, malgré ces arrestations nombreuses, malgré les prises de drogue, les narcotrafiquants restent très puissants. Grâce aux ressources financières sans limite dont ils disposent, les chefs des cartels sont en mesure d’équiper leurs hommes de main d’armements dernier cri. Des offres d’emplois ont même été récemment faites aux policiers ou soldats par les trafiquants. On leur promet publiquement une bonne rémunération et des avantages pour leurs familles. Les interventions de l’armée ramènent provisoire le calme dans les localités où les tueries se sont produites. Mais, globalement, les analystes sont très pessimistes quant à l’issue de la stratégie du président Felipe Calderon. La simple militarisation de la lutte contre les trafiquants leur semble insuffisante. Il faut aussi lutter contre le blanchiment de l’argent de la drogue et contre la corruption, combats qui ne sont pas menés avec assez de détermination, affirment ces spécialistes.

En conséquence, le conflit ne peut que se durcir. De nombreux observateurs estiment que le Mexique est sur une voie colombienne, menacé par l’apparition d’un « narco-terrorisme » dont on a déjà eu quelques prémices avec l’assassinat en plein Mexico, la capitale, d’un des chefs de la police fédérale mexicaine. Certains, comme l’éditorialiste du New York Times jugent même que la stabilité du régime démocratique mexicain est en péril et que l’aide américaine sera cruciale. Aide qui passe par des lignes de crédit, par du matériel, mais aussi par la lutte contre la consommation de drogue aux Etats-Unis même.