Article publié le 08/06/2008 Dernière mise à jour le 09/06/2008 à 08:32 TU
Devant plusieurs milliers de personnes rassemblées à Washington, Hillary Clinton a officiellement mis fin à sa campagne et apporté son plein soutien à Barack Obama, dont elle a mentionné treize fois le nom et fait un éloge appuyé. « Je me range derrière sa candidature, je mets toutes mes forces à sa disposition, et je vous demande de travailler pour lui comme vous avez travaillé pour moi », a-t-elle déclaré devant ses partisans, venus de tout le pays pour lui faire une énorme ovation. Hillary Clinton met ainsi fin aux spéculations sur la façon dont elle allait accepter sa défaite, et tourne la page des primaires les plus spectaculaires de l’histoire électorale américaine.
Hillary Clinton aura bataillé pendant 5 mois avant de rendre les armes. Son discours d'adieu a réuni plus de 2 000 supporteurs ce samedi, au National Building Museum de Washington.
( Photo : AFP )
Par notre correspondante permanente à Atlanta, Anne Toulouse
Revenir à la Maison Blanche…
« J’aurais préféré que nous soyons réunis pour une autre raison ! » C’est le seul mot de regret qu’a laissé échapper Hillary Clinton. Pendant près d’une demi-heure, elle a parlé avec force et enthousiasme à une foule qui ne cachait pas son émotion. « Cela ne sert à rien de remâcher le passé et de penser à ce que nous aurions pu faire, leur a-t-elle dit, cela empêche de se tourner vers l’avenir ». On imagine néanmoins ce qu’a pu éprouver Hillary Clinton, en laissant derrière ce qui a été son rêve depuis près de 10 ans. Ce rêve, elle ne semblait pas, il y quelques mois encore, douter de le réaliser. L’année dernière, lorsqu’une journaliste lui a demandé : « Avez-vous pensé à ce que vous ferez si vous n’êtes pas présidente ? », elle a simplement répondu « Non, parce que je serai présidente ! » ; depuis la question lui a été posée a deux reprises, sans qu’elle en démorde.
L’idée de retourner à la Maison Blanche semble être venue à Hillary Clinton vers la fin du deuxième mandat de son mari, lorsqu’elle est apparue humiliée par les frasques de son mari. Elle a alors annoncé son intention de briguer un siège de sénateur. Le Parti démocrate lui a offert un siège imperdable dans l’Etat de New York, où les Clinton avaient hâtivement acheté une résidence, pour justifier sa candidature. Hillary, qui ne s’était jamais présentée à une élection auparavant, a gagné d’autant plus facilement que son adversaire républicain potentiel, le maire de la ville de New York, Rudy Giuliani, est tombé malade et a abandonné la course. Bien qu’elle ait fait consciencieusement ses classes au Sénat, Hillary Clinton ne semblait pas avoir en tête une carrière parlementaire. Il est apparu très vite qu’elle avait des vues sur la présidence, et qu'elle s’y est méthodiquement préparée. Elle a laissé passer l’élection de 2004, qui semblait, comme cela s’est avéré, acquise à George Bush, et l’idée qu’elle serait la candidate démocrate de 2008 s’est installée dans les esprits.
Les Clinton avaient la réputation d’avoir mis au point une machine électorale invincible. Les journalistes et les politologues n’en finissent pas d’analyser la façon dont ils ont perdu la main. L’une des grandes erreurs de la campagne est sans doute d’avoir cru que les jeux étaient faits et que les concurrents - ils étaient neuf au départ- s’écrouleraient rapidement les uns après les autres.
Cela a été vrai pour huit d’entre eux, mais restait Barack Obama, que la campagne Clinton a gravement sous-estimé, considérant que sa carrière politique nationale était beaucoup trop courte pour qu’il puisse prétendre à la présidence. Elle aurait pourtant dû être alertée à la fin de l’année 2007 par les flots d’argent qui se sont mis à entrer dans les caisses de la campagne du jeune sénateur de l’Illinois. Cet argent a joué un rôle majeur dans la suite des opérations. L’entourage de Barack Obama a perfectionné un système inauguré en 2004 par le candidat démocrate Howard Dean. Au lieu de compter essentiellement sur les gros donateurs, il fait appel aux petites contributions sur internet. Cette méthode non seulement apporte du volume, mais permet aussi de « naviguer » avec la loi électorale qui interdit à chaque contributeur de donner plus de 2 500 dollars. En sollicitant des dons de 25 dollars, Barack Obama a pu revenir plusieurs fois à la charge, alors qu’au début de sa campagne, Hillary Clinton a rapidement fait le plein de ses contributeurs. Dans tous les domaines, elle a vu grand, se focalisant sur les Etats importants, alors que la campagne de Barack Obama ratissait le terrain dans des Etats plus discrets, notamment ceux où il y a des caucus, un cas de figure où il est beaucoup plus facile de diriger le vote des électeurs.
C’est ainsi que Hillary Clinton a été frappée de plein fouet, dès la première épreuve, les caucus de l’Iowa. Lorsqu’elle s’est ressaisie dans le New Hampshire, sa campagne avait déjà reçu un coup fatal : elle avait dépensé trop d’argent, pensant que la course serait brève et n’avait même pas planifié de stratégie au delà du Super Tuesday, une série d’élections qui s’est déroulée le 5 février. Les deux premiers mois des primaires ont été calamiteux pour Hillary Clinton, elle a dû remanier son personnel et puiser dans sa fortune personnelle pour renflouer sa campagne. Elle s’est remarquablement ressaisie dans la deuxième partie de la compétition, mais il était trop tard. Elle avait fait la fatale erreur de laisser à l’un de ses rivaux l’occasion de montrer qu’il était tout autant éligible qu’elle.
Un magicien qui a perdu la main…
Barack Obama possède un don qui fait défaut à Hillary Clinton : le charisme. Elle est une femme brillante, qui expose ses idées avec force, mais il lui a fallu longtemps pour insuffler de la passion dans ses rencontres avec les électeurs. Elle s’est plainte constamment du sexisme dont elle se sentait victime, et il y en a eu effectivement des exemples frappants. Son aspect physique, sa façon de s’habiller, son rire ont été cruellement brocardés. Des malotrus ont crié sur son passage « Va plutôt repasser mes chemises ! », mais au-delà de ces réactions primaires, il y a eu aussi la résurgence des vieilles inimitiés que les Clinton ont laissées derrière eux. Le panneau « Non aux dynasties » est souvent apparu dans la campagne. Il y avait en effet un certain malaise à voir deux Bush et deux Clinton se repasser la Maison Blanche pendant au moins 24 ans !
Le rôle de Bill Clinton a également été un grand sujet de perplexité. Il avait la réputation d’être un magicien des campagnes électorales. Mais, en fait, en dehors des siennes, on l’a rarement vu à l’œuvre, puisque son vice-président, Al Gore, avait pris ses distances avec lui en 2000. L’ancien président garde encore son pouvoir de séduction sur les foules, notamment dans les petites villes. Les années de sa présidence ont été des années prospères, dont beaucoup se souviennent avec nostalgie. Mais Bill Clinton a également pris en vieillissant un caractère chagrin et impulsif, qui lui a fait commettre des gaffes coûteuses. Il a fait des déclarations ambiguës sur le facteur racial dans la campagne, ce qui lui a valu la rancœur de la communauté afro-américaine… Un comble pour celui que l’écrivaine Tony Morrison avait appelé « Le premier président noir américain »
Même si l’investiture lui échappe, Hillary Clinton restera d’une certaine façon dans l’Histoire. Comme elle l’a dit elle-même, désormais il sera plus facile pour une femme de prétendre à la présidence des Etats-Unis. « Je n’ai pas crevé le fameux plafond de verre, a-t-elle expliqué, mais ce plafond a reçu 18 millions de petits éclats ». Ces 18 millions, c’est le nombre arrondi des votes recueillis par Hillary Clinton ; car si elle a perdu sur le front des délégués, elle a gagné le vote populaire qui, malheureusement pour elle, ne compte pas dans les élections présidentielles américaines. Ces 18 millions d’électeurs sont indispensables à Barack Obama, mais une partie d’entre eux sont pour l’instant réticents à passer dans son camp. Hillary Clinton a suscité des loyautés passionnées, notamment chez les femmes et dans la classe ouvrière, deux des piliers du Parti démocrate. L’idée qu’elle apporte ses voix en figurant sur le ticket démocrate comme vice-présidente agite beaucoup les esprits.
Quel rôle dans la campagne ?
Un sondage publié ce samedi montre que 54% des démocrates interrogés y sont favorables, contre 43% qui y sont hostiles. Il semble que Barack Obama figure plutôt parmi ceux-là : il ne montre aucun empressement à choisir un colistier et à répondre aux appels du pied des partisans d’Hillary Clinton. Il serait sans doute mauvais pour son image de dirigeant qu’il ait l’air de se laisser imposer son second. D’ailleurs, si ce ticket séduit majoritairement les démocrates, il risque d’être moins populaire auprès des électeurs indépendants, dont aucun candidat ne peut se passer pour être élu.
« Que va faire Hillary maintenant ? »… La question qu’elle a elle-même formulée le soir des primaires reste entière. Elle a rencontré Barack Obama discrètement, en tête-à-tête jeudi soir et, après avoir concédé la victoire à son rival, elle aura manifestement un rôle à jouer dans la campagne. Dans son discours de samedi, elle a insisté sur la nécessité d’assurer une couverture maladie universelle à la population américaine, c’était sa grande idée et non celle de Barak Obama qui préfère un système d’adhésion volontaire. Il semble donc qu’en échange de son soutien, elle entende pour le moins peser sur le programme du candidat.
A écouter
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