par Sophie Malibeaux
Article publié le 11/06/2008 Dernière mise à jour le 12/06/2008 à 12:23 TU
Depuis l’attentat contre les tours du World Trade Center de New York en 2001 et la chute du régime taliban précipitée par l’intervention américaine en Afghanistan, le pays est resté dans le collimateur de la communauté internationale. Celle-ci, à travers le processus de Bonn, a veillé à la mise en place d’institutions démocratiques. Le processus s’est achevé en septembre 2005 avec l’élection d’un Parlement. Mais la reconstruction de l’Afghanistan, sur le plan économique n’en est qu’à ses débuts. Sur les dizaines de milliards de dollars promis, 15 ont été effectivement déboursés, de façon très peu satisfaisante à en croire les principaux acteurs du développement afghan.
En 2006, la conférence des donateurs de Londres accouchait d’un document négocié entre le gouvernement afghan et les bailleurs de fond, « l’Afghan Compact », une feuille de route sur 5 ans, visant à assurer le redressement du pays et garantir le retour à la paix et la stabilité, à long terme.
Les deux années qui viennent de s’écouler ont cependant connu un retournement de situation sur le plan sécuritaire. L’insurrection menée par les islamistes radicaux, notamment dans le sud du pays, a repris de plus belle. Cette résurgence du mouvement taliban sous une forme nouvelle, n’avait pas été pressentie et les acteurs du développement se sont trouvés pris de court.
Tandis que les efforts se concentraient sur le volet militaire, les humanitaires ont lutté tant bien que mal pour se maintenir sur le terrain mais, au bout du compte, l’aide a eu tendance à se concentrer sur Kaboul au détriment des zones rurales difficiles d’accès. Les régions à risque bénéficiant de la présence militaire ont également attiré les fonds, ce qui a contribué à entretenir un système pervers : les zones à risques attirant les fonds et la corruption alimentant au passage les auteurs des violences, extrémistes religieux, barons de la drogue et autres chefs de guerre.
C’est pour briser ce cercle vicieux que les acteurs de la reconstruction afghane se penchent aujourd’hui sur un nouveau document : l’ANDS, la « Stratégie nationale de développement » de l’Afghanistan, mise au point par le gouvernement afghan pour relancer la dynamique.
Les ratés de l’aide
Bien sûr, les Afghans attendent de la communauté internationale de nouvelles contributions, afin de financer un plan ambitieux de 50 milliards de dollars sur cinq ans. Mais la partie afghane, aussi bien que ses partenaires, se pencheront également sur les voies et moyens de rendre l’aide plus efficace qu’elle ne l’a été jusqu’à présent.
ACBAR, l’organe de coordination de l’aide à l’Afghanistan qui regroupe une centaine d’ONG afghanes et étrangères a épinglé, dans un rapport, non seulement la faible proportion des fonds réellement versés aux bénéficiaires, mais aussi les obstacles à une bonne utilisation de ces fonds. ACBAR estime par exemple, qu’en raison du manque de coordination et de communication, le gouvernement afghan n’a aucune connaissance de ce qu’il est advenu de quelques 5 milliards de dollars, soit le tiers des sommes versées. Par ailleurs, toujours selon cette organisation, 40 % des financements, soit environ 6 milliards de dollars, sont ressortis du pays sous forme de profits engrangés par des sociétés étrangères, de salaires versés à des consultants et intervenants divers. La moitié de l’aide est « liée », c'est-à-dire que les contrats sont passés avec des entreprises étrangères.
La solution ne sera pas militaire
Dans ces conditions, d’importants efforts restent à faire. Les priorités affichées par le gouvernement afghan portent sur les secteurs de l’énergie – à peine 20% de la population est raccordée au réseau électrique – de l’agriculture et des transports pour faciliter l’émergence d’un marché et l’écoulement des marchandises. Faute d’amélioration sur le plan économique, les efforts consentis sur le plan militaire pourraient s’avérer vains, et même contre-productifs.
Ce que déplorent bon nombre d’ONG, c’est la confusion entretenue, depuis le début des opérations en Afghanistan sous commandement militaire américain dès 2002, entre l’intervention armée et l’aide à la reconstruction. Des équipes de reconstruction provinciales, les PRT (Provincial reconstruction teams) ont été mises en place en divers endroits du pays, incluant des acteurs du développement civil aux côtés de personnel militaire. Leurs interventions conjointes – parfois utiles – ont néanmoins contribué à brouiller les frontières. Les insurgés ont tiré parti de cet état de fait en présentant les humanitaires et les militaires comme des « occupants ». Depuis deux ans, on a d’ailleurs assisté à la recrudescence des enlèvements de personnel civil et autres ingénieurs, acteurs du développement, parallèlement aux actes de violences commis à l’encontre des forces gouvernementales afghanes et des soldats de l’ISAF (la Force internationale d’assistance à la sécurité) sous mandat de l’OTAN. Enfin, les dommages collatéraux résultants des opérations menées dans le cadre de l’opération Enduring Freedom (Liberté Immuable) sous commandement américain, n’ont fait qu’aggraver cette perception de l’ « étranger-agresseur ».
Les critères du succès
La conférence internationale de Paris devrait donc permettre à tous les acteurs d’exposer leurs vues sur cette situation critique. La diplomatie française qui organise la réunion conjointement avec l’Afghanistan et les Nations unies estiment qu’un certain nombre de principes doivent être réaffirmés et que des réajustements sont nécessaires. Paris attend notamment une remise en question des modalités de l’aide, passant par un transfert accru de l’aide au gouvernement afghan, tout en exigeant des contreparties, en termes de bonne gouvernance. Un gros effort de coordination de l’aide doit être consenti, autour du projet afghan.
Ces critères là ne pourront être vérifiés qu’à postériori, au vu de la mise en œuvre des projets. En revanche, ce qui sera immédiatement parlant, ce sera la somme des contributions annoncées par les donateurs. Il n’est pas sûr, à ce titre, que la France puisse s’ériger en donneuse de leçon. Pour l’heure, elle figure en 21ème position, dernière des pays comme le Danemark, l’Inde, l’Australie, tandis que les Etats-Unis ont effectué jusque-là – à eux seuls – le tiers des versements. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a annoncé mercredi que la contribution des Etats-Unis au plan de développement du président afghan Hamid Karzaï s'élèverait à 10 milliards de dollars pour 2008 et 2009.
Sur le plan quantitatif, l’on attend peu d’évolution significative de la part des Français. Le ministère des affaires étrangères s’est évertué à rappeler – tout le temps de la préparation de la conférence – qu’il ne s’agissait pas d’une « réunion des donateurs » sur le mode des conférences qui se sont tenues précédemment sur le Liban et la Palestine.
A lire
A écouter
« Une grande partie de l’Afghanistan souffre des combats (…) alors l’aide n’arrive pas à destination et quand on demande aux Afghans ce qu’ils pensent de l’aide internationale les langues se délient : un gouvernement corrompu, une mauvaise répartition de l’aide et une inégalité croissante, on se demande à quoi servent toutes ces organisations internationales ».
12/06/2008 par Constance de Bonnaventure
«Le coût de la vie a fortement augmenté cette année et l’Afghanistan vient d’être classé 5ème pays le plus pauvre du monde par les Nations unies».
12/06/2008
Fondateur et directeur général de l’ONG Solidarités
Le gouvernement afghan demande 50 milliards de dollars mais, à mon avis, il n'y aura pas ce montant, et on en sera très très loin.
12/06/2008 par Nathalie Amar
J'aurai voulu voir les Nations unies présentes dans les provinces, dans les bureaux avec les représentants, autour de l'Afghanistan.
12/06/2008 par Constance de Bonnaventure