par Frédérique Misslin
Article publié le 12/06/2008 Dernière mise à jour le 13/06/2008 à 10:22 TU
«A l’étranger, les gens ne nous détestent pas pour les valeurs que nous incarnons mais parce qu’ils sont déçus que nous ne mettions pas toujours ces valeurs en pratique». C’est ce que souligne un rapport du Congrès américain sur l’anti-américanisme dans le monde. Ces quatre dernières années, l’image des Etats-Unis s’est considérablement détériorée : en Europe de l’Ouest mais aussi dans les pays musulmans et en Amérique latine.
«L'American Way of Life», un concept qui intéresse une grande partie de la planète. Partout dans le monde, le Fast Food s'est imposé.
(Source: Wikipedia)
La chute est vertigineuse. Depuis 2002, l’image des Etats-Unis dans le monde a connu une baisse à des niveaux record. C’est ce que révèle un rapport du Congrès américain. En Indonésie, par exemple, les opinions favorables aux Américains ont chuté de 45 points ; 41 points en moins au Maroc ; 40 en Turquie et 27 en Grande Bretagne.
Au Nigeria, il y a quatre ans, les musulmans étaient 71% à soutenir les Américains, ils sont aujourd’hui 33%. Plus globalement en 2002, 83% des pays du monde jugeaient favorablement les Etats-Unis, en 2006 seuls 23% estimaient l’influence américaine positive.
Aujourd’hui, un tiers seulement des Indonésiens, des Pakistanais, des Turcs, des Jordaniens et des Libanais considèrent favorablement les Etats-Unis. « Nous n’avons jamais vu de chiffres aussi bas », s’inquiète Steven Kull, directeur du PIPA (Programm on International Policy Attitudes) à l’université du Maryland.
Cette étude commandée par la Chambre des représentants est basée sur des témoignages d’experts et sur les chiffres des instituts de sondages. Le rejet est visible notamment dans le monde arabe et en Amérique latine, il ne concerne pas la culture ou les valeurs américaines. C’est la politique menée par Washington qui est mise en question et qui affecte l’image des Etats-Unis à l’étranger. Une information qui risque de déplaire puisqu’un sondage réalisé pour l'Institut Aspen et pour World Learning montre que près de neuf Américains sur dix (88%) « considèrent qu'il est très important que le reste du monde ait une opinion favorable des Etats-Unis ».
Le rapport souligne l’impact négatif sur l’opinion publique mondiale de la guerre en Irak, des emprisonnements à Guantanamo mais aussi la perception de parti pris pour Israël dans le conflit avec les Palestiniens. « Notre force n’est plus ressentie comme un recours mais comme une menace, non comme une garantie d’ordre et de stabilité, mais comme une source d’intimidation, de violences et de tortures », a déclaré Bill Delahunt, le président de la commission qui est à l’origine du rapport.
Des contradictions qui déplaisent aux opinions publiques mondiales
Ces dernières années, la combinaison d’une rhétorique arrogante et l’utilisation de la force militaire, sans toujours respecter les normes internationales, ont beaucoup terni la réputation des Américains. Les termes « croisades », « axe du mal », « choc des civilisation » ont heurté l’opinion publique mondiale qui estime, par ailleurs, que la politique américaine cache mal une certaine hypocrisie. Les Américains se proclament en effet champions de la démocratie, des droits de l’homme et du respect de la loi, mais ils soutiennent nombre de régimes autoritaires.
L’étude de la Chambre des représentants s’interroge clairement sur la responsabilité du président américain dans cette affaire. L’unilatéralisme pratiqué par Georges Bush, son attitude, sa personnalité, l’ont rendu très impopulaire en Amérique latine, dans les pays d’Europe de l’Ouest et dans le monde arabe. Au Proche-Orient, le président américain a même réussi un exploit, souligne le rapport : il est plus détesté que les dirigeants israéliens…
A Washington, dans le camp républicain, on serre les rangs. Dana Rohrabacher, membre de la commission, a même contesté les résultats des sondages : « Les récentes élections dans des pays européens ont amené au pouvoir des dirigeants pro-américains », affirme ce républicain qui précise « nous n’avons pas à nous excuser ». Pour Bill Delahunt, il n’est pas question de s’excuser mais de ménager la sécurité nationale puisque l’antiaméricanisme nourrit la propagande terroriste.
Yankee go home…
Juste après le 11 septembre 2001, Jean-Marie Colombani signait dans le quotidien Le Monde un éditorial intitulé : « Nous sommes tous des Américains ». En quelques années, les Etats-Unis ont perdu le capital-sympathie consécutif aux attentats de New York. Dès 2003, les instituts de sondages américains témoignaient de l’animosité croissante envers les Etats-Unis.
Et pourtant, l’Amérique est partout. De Karachi à Paris, de Berlin à Jakarta, dans les Fast Food, la mode, ou sur les écrans de cinéma, le fantasme de « l’American Way of Life » reste envié aux quatre coins de la planète. C’est ce message paradoxal que souligne aussi l’étude menée par la Chambre des représentants. Les professeurs Peter Katzenstein et Robert Keohane ont beaucoup travaillé sur la notion d’antiaméricanisme, sur ses racines. Ils ont souvent constaté cette contradiction chez ceux qui critiquent les Américains : « Yankee Go Home…But Take Me With You », rentrez chez vous mais emmenez moi dans vos bagages !
« L’Obamamania » pourrait inverser la tendance
Les Etats-Unis suscitent des haines et des passions mais ils fascinent toujours autant. Pour preuve, « l’Obamamania » qui sort des frontières américaines et gagne de nombreux pays. La campagne américaine et le candidat démocrate passionnent l’opinion publique mondiale.
Dans les rues de Damas, on entend : « Un homme de couleur comprendra davantage des arabes et des musulmans ». Au Caire, l’envoyé spécial du New York Times affirme que tous les Egyptiens rêvent de voir Barak Obama accéder à la Maison Blanche, notamment parce que le deuxième prénom du sénateur est Hussein…Les Egyptiens veulent y voir le signe d’un changement à venir dans les relations entre l’Amérique et le monde arabe : « L’Amérique ne doit pas imposer sa vision des choses au monde entier et ce changement d’attitude passe par Barack Obama », affirment certains diplomates.
A Berlin, le candidat démocrate est décrit comme le mélange réussi de John F. Kennedy et de Martin Luther King. L’excitation est donc internationale mais les Américains prennent rarement en compte l’opinion du reste du monde pour choisir leur dirigeant.