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Présidence française de l'UE

La PAC, responsable de la crise alimentaire mondiale ?

par  RFI

Article publié le 18/06/2008 Dernière mise à jour le 26/06/2008 à 16:00 TU

Les prix des denrées alimentaires ne cessent d'augementer dans le monde.(Photo : UE)

Les prix des denrées alimentaires ne cessent d'augementer dans le monde.
(Photo : UE)

Des pays en développement mais aussi des membres de l’Union européenne accusent la Politique agricole commune de contribuer à l’actuelle flambée des prix de l’alimentation. Une accusation que dément la Commission de Bruxelles, tout comme la France qui prend pour six mois la présidence de l’UE à compter du 1er juillet.

Haïti, Sénégal, Bangladesh, Egypte... Ce sont quelques-uns des pays qui ont connu des émeutes de la faim ces derniers mois, suite à la hausse des prix des denrées alimentaires. A en croire Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, 33 pays sont particulièrement vulnérables à la flambée des prix. Ces trois dernières années, le prix du blé a augmenté de 181 %, celui des biens alimentaires courants (huile, riz, lait…) de 83 % en moyenne. « Cette crise alimentaire pourrait nous faire perdre sept années dans l’éradication de la faim dans le monde », estime Robert Zoellick. Lors du récent sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a mis en cause la responsabilité des pays occidentaux dans cette crise.

Des subventions qui pénalisent les pays du Sud

La Politique agricole commune est au banc des accusés, sans surprise, de la part d’ONG de développement. « L’agriculture paysanne des pays du Sud est soumise à la concurrence des importations à bas prix en provenance des pays d’agro-business, minant ses capacités à se développer et à nourrir la population. L’impact social et environnemental est également très négatif car cette concurrence favorise les monocultures d’exportations destinées à répondre à la dépendance européenne en protéines, sans souci des besoins locaux », dénonce ainsi l’ONG britannique Stop the Hunger.

« Les Etats africains montrent du doigt depuis des années les subventions européennes et américaines à l’agriculture, car elles créent une surproduction, une distorsion des prix et favorisent le “dumping” sur les marchés africains. Or, de nombreux pays en Afrique dépendent exclusivement de l’agriculture pour leurs exportations », écrit le quotidien sénégalais Le Soleil.

Mais les critiques viennent aussi de l’Union européenne elle-même. Le Royaume-Uni et les pays scandinaves accusent la PAC d’être directement responsable de la hausse des prix de l’alimentation dans le monde. « Le mécanisme de garantie des prix agricoles était à l’origine destiné à assurer un revenu décent aux exploitants. Aujourd’hui, il a pour effet de tirer les prix européens au-dessus des niveaux du marché mondial. De leur côté, les subventions à l’exportation créent une concurrence déloyale pour les pays du Sud, menaçant la paysannerie locale. Enfin, les droits de douane à l’importation ont un effet inflationniste évident », regrette le ministre britannique de l’Agriculture, Hilary Benn. Mais cette sollicitude pour les pays du Sud pourrait bien n’être que de circonstance de la part de capitales européennes hostiles à la PAC, et qui souhaitent sa réforme dans un sens plus libéral.

Des causes à chercher ailleurs

D’autres dirigeants européens refusent de faire de la Politique agricole commune le responsable de tous les maux. « La flambée des prix des denrées alimentaires dans le monde a de nombreuses causes. On peut citer la pression démographique, de moins bonnes récoltes ces dernières années et la demande croissante des pays émergents comme l’Inde ou la Chine. C’est aussi une question d’offre et de demande. Je ne ferai pas de lien direct avec la PAC », défend Iztok Jarc, le ministre slovène de l’Agriculture.

Son homologue français, Michel Barnier, abonde dans son sens : « L’actuelle crise alimentaire mondiale prouve que les marchés ne peuvent pas tout réguler. En la matière, il faut de la gouvernance mondiale ; trop de libéralisme n’est pas bon ».

Les agriculteurs européens eux-mêmes craignent une trop forte dérégulation au moment où les cours des produits agricoles sont volatiles, du fait notamment du réchauffement climatique. Car l’envolée des prix alimentaires – si elle est dramatique pour de nombreux pays du Sud – frappe aussi l’UE. Les céréaliers, qui ont vu leurs revenus doubler ces douze derniers mois, se frottent les mains. Mais les éleveurs – qui nourrissent leur bétail avec des céréales – et les petits exploitants sont gravement pénalisés.

Les tenants du libéralisme comme ceux favorables à la régulation des marchés voient en tout cas dans l’actuelle crise alimentaire mondiale un exemple à l’appui de leur argumentation. Au moment où la France prend la présidence tournante de l’UE, elle ne pourra pas ignorer cette crise si, comme elle l’affirme, elle entend rénover en profondeur la PAC.

Exporter la PAC

Pour Michel Barnier, non seulement la PAC n’est pas responsable de la hausse des prix des denrées alimentaires, mais au contraire elle constitue un modèle pour les pays du Sud. Comme il l’a déclaré au Financial Times : « Le modèle européen devrait pouvoir être exporté vers d’autres régions du monde, comme l’Afrique ou l’Amérique latine, pour promouvoir la sécurité alimentaire. Des pays voisins pourraient s’entraider de la même manière que les pays européens le font ».

Une idée absurde pour Jorge Nunez Ferrer, un expert agronome du Centre d’études des politiques européennes, cité par le magazine Forbes : « La PAC est une politique qui s’adresse à un groupe de pays riches, comptant peu d’exploitants qui, chacun, produisent beaucoup et exportent massivement. La PAC n’est pas du tout un modèle approprié pour les pays en développement ».

La Commission européenne rappelle que l’UE est le premier contributeur mondial d’aide publique au développement, avec une enveloppe d’environ 45 milliards d’euros, qui passera à 66 milliards en 2010. Elle souligne aussi que, suite à des accords bilatéraux, les exportations de plusieurs pays du Sud sont exemptées de droits de douane à leur entrée dans l’Union.

Enfin, les récentes propositions de Bruxelles pour réformer la PAC pourraient contribuer à soulager les pays qui souffrent le plus de l’inflation des biens alimentaires. C’est ce qu’estime Mariann Fischer-Boel, la commissaire européenne à l’Agriculture : « La fin de la jachère et des quotas laitiers va autoriser une hausse de la production, donc possiblement une baisse des prix. Les droits de douane à l’importation de céréales vont être supprimés. Enfin, l’objectif de consacrer 10 % des cultures aux biocarburants d’ici à 2020 pourrait être abandonné ». Des réformes à la tonalité libérale qui ne séduisent guère Paris.