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Présidence française de l’UE

La réforme de la PAC en débat

par  RFI

Article publié le 18/06/2008 Dernière mise à jour le 26/06/2008 à 15:59 TU

Bruxelles souhaite accélérer la réduction des aides directes aux agriculteurs.(Photo : AFP)

Bruxelles souhaite accélérer la réduction des aides directes aux agriculteurs.
(Photo : AFP)

Paris fait de la réforme de la Politique agricole commune une des priorités de sa présidence. Avec une tendance certaine au protectionnisme. A contrario, le Royaume-Uni et la Commission européenne elle-même sont favorables à davantage de libéralisme dans l’agriculture. Un débat sur fond de crise alimentaire mondiale et de réchauffement climatique.

« Je veux une nouvelle Politique agricole commune ». C’est ce qu’a déclaré le président Nicolas Sarkozy, en inaugurant le salon de l’élevage de Rennes, en octobre dernier. La réforme de la PAC est en effet l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne.

L’exemple de l’intégration européenne

Entrée en vigueur en 1962, la Politique agricole commune visait à relancer une agriculture européenne moribonde après les années de guerre. Un objectif atteint au-delà des espérances ; on se souvient de la surproduction des années 1980, et des hangars de ce qu’on appelait alors la CEE croulant sous des tonnes de céréales invendues. Depuis, la PAC a connu plusieurs réformes pour l’adapter aux transformations des exploitations, aux évolutions des marchés mondiaux et aux nouvelles exigences des consommateurs.

La dernière réforme date de 2003 et prévoit de ne plus lier les subventions aux agriculteurs au volume de leurs récoltes, afin d’éviter la surproduction. Elle impose aussi le respect de normes relatives à l’environnement, à la protection animale et à la sécurité alimentaire. « La priorité est désormais le développement rural, non des chiffres de production », commente un fonctionnaire à Bruxelles. S’il peut paraître technique, le débat est néanmoins sensible. Non seulement parce qu’il touche à la terre, donc à l’âme des pays, mais aussi parce que l’agriculture est le secteur où l’intégration communautaire a été le plus poussée. D’un montant de 55 milliards d’euros, la PAC représente 42 % du budget de l’UE.

Vers une nouvelle préférence communautaire

Lorsqu’il évoque la « refondation » de la Politique agricole commune, Nicolas Sarkozy veut séduire les paysans français. « Je ne laisserai pas tomber les agriculteurs. Ceux-ci ne seront pas des assistés qui vivent de subventions et non de leur activité », a-t-il lancé lors du congrès de la FNSEA, le premier syndicat agricole français, en avril dernier.

Un discours apparemment libéral. Et pourtant, Paris affirme poursuivre quatre objectifs en réformant la PAC : assurer l’indépendance et la sécurité alimentaire de l’Europe ; contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux ; préserver les équilibres des territoires ruraux ; protéger l’environnement. Pour les atteindre, la France défend une « nouvelle préférence communautaire », à savoir privilégier la production agricole au sein des 27 avant toute ouverture sur le monde.

Dans ce cadre, Michel Barnier, le ministre de l’Agriculture, suggère trois pistes : le maintien de protections tarifaires élevées aux frontières de l’Europe, un budget important pour la PAC donc le maintien des subventions, et le renforcement des contrôles sanitaires aux frontières. « On ne peut pas imposer des règles à nos producteurs et en même temps faire entrer en Europe des produits qui viennent de pays où il n’y a pas un respect minimum de sécurité alimentaire », a déclaré Michel Barnier, qui réclame également une harmonisation des normes sanitaires et environnementales au sein de l’UE.

Scepticisme face aux propositions françaises

Ce projet français est approuvé par les principaux pays agricoles : Allemagne, Espagne, Italie, Portugal, mais aussi Roumanie et Pologne. Il suscite par contre la méfiance de l’Autriche, des pays scandinaves et du Royaume-Uni. « Le protectionnisme a vécu. L’agriculture ne doit pas être traitée différemment des autres secteurs économiques. Les règles du libéralisme – qui fondent l’UE  lui sont applicables. Une agriculture performante passe par des exploitations performantes », estime Alistair Darling, le ministre britannique des Finances.

Les instances communautaires sont sceptiques aussi. « On ne peut pas recréer une Europe forteresse. La préférence communautaire existe déjà puisque nous aidons les agriculteurs. Il ne s’agit pas de la renforcer avec de nouvelles barrières aux frontières. L’ouverture des frontières est dans l’intérêt des agriculteurs et des consommateurs européens », plaide Mariann Fischer Boel, la commissaire européenne à l’Agriculture.

Peter Mandelson, son collègue en charge du Commerce, redoute une multiplication des conflits avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), déjà hostile aux subventions européennes. Mais les agriculteurs européens s’inquiètent d’une dérégulation des marchés. Celle-ci sonnerait le triomphe des grandes exploitations contre les fermes familiales, l’appauvrissement des éleveurs de montagne face aux industries laitières, une volatilité accrue des cours déjà instables à cause du réchauffement climatique.

Dans ce débat, chacun prend à témoin l’actuelle envolée des prix mondiaux. « Les subventions agricoles en Europe alimentent la hausse des prix des denrées alimentaires, dont les pays en développement sont les premières victimes », soutient Alistair Darling. « L’actuelle crise alimentaire mondiale prouve que les marchés ne peuvent pas tout réguler. En la matière, il faut de la gouvernance mondiale ; trop de libéralisme n’est pas bon », lui répond Michel Barnier.

Au-delà du sort des pays du Sud, chacun défend les intérêts de son pays. Le Royaume-Uni – à l’agriculture modeste – estime trop payer pour la PAC. A contrario, la France est la première puissance agricole européenne, avec un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros. Elle est aussi la première bénéficiaire de la PAC puisqu’elle reçoit 11 milliards de subventions.

Un bilan de santé très libéral

Ironie du sort : la France prend la présidence de l’Union européenne au moment où la Commission de Bruxelles vient de présenter le « bilan de santé de la PAC », à savoir un rapport d’étape, cinq ans après les réformes de 2003 et cinq ans avant celles qui, en 2013, accompagneront le nouveau budget européen. Un « bilan de santé » qui prévoit des réformes libérales, au grand dam de Paris.

Parmi ces réformes : la fin des quotas laitiers en 2015 ; la suppression de la jachère (ce qui permettra notamment de consacrer des terres à la production d’agrocarburants) ; une nouvelle baisse des subventions aux agriculteurs pour réaffecter l’argent économisé au développement rural ; la suppression – ou au moins l’allègement – du mécanisme qui garantit un prix minimum à plusieurs produits, dont le beurre, le riz et la viande de porc.

« Nous voulons simplifier, rationaliser, moderniser la PAC. Les mécanismes de régulation doivent être limités, et les agriculteurs davantage tenir compte des signaux du marché. Certains Etats nous trouvent trop libéraux, d’autres pas assez ambitieux ; nous devons donc avoir trouvé le bon équilibre », soutient Mariann Fischer Boel. « A trop tenir compte du marché, les agriculteurs vont tous cultiver des céréales, et abandonner les fruits et légumes, et la production animale. Les propositions de la Commission annoncent le démantèlement de la PAC », dénonce la Confédération paysanne, le second syndicat agricole français.

De la France au Royaume-Uni en passant par l’Allemagne ou la Commission européenne, chacun affirme avoir les mêmes objectifs : nourrir les 500 millions d’Européens, moderniser l’agriculture, assurer des revenus dignes aux exploitants, améliorer la qualité des produits, défendre l’environnement et le développement durable, considérer les besoins des pays du Sud.

Reste à se mettre d’accord sur les moyens. Selon Michael Mann, un porte-parole de la Commission : « Nous sommes au début des discussions. Chacun défend donc des positions tranchées. Des compromis sont possibles, notamment sur la réorientation de l’aide à l’agriculture ».

La certitude est que, fidèle à son habitude, Nicolas Sarkozy veut aller vite. Il entend profiter de cette présidence française de l’UE pour orienter les réformes de la PAC dans un sens favorable aux agriculteurs français. Il serait pourtant possible d’attendre 2013 et le nouveau budget européen pour entreprendre cette réforme de la PAC. Il n’est pas d’ailleurs certain que les autres pays européens partagent cette volonté d’accélérer le calendrier de la Politique agricole commune.