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Présidence française de l'UE

Les portes de l'Europe se ferment sous le nez des Marocains

Article publié le 22/06/2008 Dernière mise à jour le 01/07/2008 à 08:24 TU

Devant le consulat d'Espagne à Casablanca, les conseillers juridiques aident les demandeurs de visa Schengen à remplir leur demande.(Photo : C. Maréchaud / RFI)

Devant le consulat d'Espagne à Casablanca, les conseillers juridiques aident les demandeurs de visa Schengen à remplir leur demande.
(Photo : C. Maréchaud / RFI)

Regroupement familial, expulsions, contrôle des frontières, migration professionnelle circulaire... Premiers visés d’une politique française opposant immigration « subie » et « choisie », les Marocains s’inquiètent du projet de Pacte sur les migrations, l'une des priorités de la présidence française de l’Union européenne.

De notre correspondante au Maroc, Cerise Maréchaud

Dès l’aube, surveillée de près par des policiers, la file s’allonge derrière les barrières du consulat espagnol à Casablanca. Attablé le long du mur devant un tas de paperasses, Mustapha, la cinquantaine, est l’un des nombreux « conseillers juridiques » qui, pour 50 dirhams (4,50 euros), remplissent le formulaire pour les demandeurs de visa Schengen. « C’est plus facile d’aller dans l’Espace que d’aller en Espagne ! », ironise-t-il.

Avec plus de 511 000 ressortissants (chiffre de 2006), les Marocains sont la première communauté étrangère du royaume ibérique - lui-même passé en tête des pays européens d’immigration en 1997. Mais les portes se referment. En 2005, ils ne représentaient plus que 11% - contre 28% en 2000 - des bénéficiaires des régularisations massives en Espagne. Le genre de mesures auxquelles le Pacte européen sur les migrations et l’asile, l’une des priorités de la présidence française de l’UE, veulent mettre un terme.

File d'attente des visas devant le consulat d'Espagne à CasablancaPhoto: Cerise Maréchaud

File d'attente des visas devant le consulat d'Espagne à Casablanca
Photo: Cerise Maréchaud

2,2 millions de Marocains dans les pays de l’Union  

Renforcement du contrôle des frontières, relance des accords de réadmission, développement des aides au retour, limitation du regroupement familial, immigration professionnelle favorisée mais choisie et si possible circulaire…la liste des mesures anti-immigration est longue. 

« L’Europe ne veut plus des Maghrébins », tranche Mustapha. Directement concernés par le durcissement de la politique migratoire française, les Marocains ont du mal à voir d’un œil positif ce prolongement du  « modèle Sarkozy » à l’ensemble de l’UE où vivent 2,2 millions d’entre eux (chiffre de 2004), les deux tiers entre France, Belgique et Pays-Bas.

Dans l’Hexagone, les Marocains sont les premiers touchés par le serrage de vis autour du regroupement familial : 10 500 Marocains étaient entrés en France à ce titre en 2001; 4800 seulement en 2007 (selon l'Anaem, l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations ). Apparue en 1976, cette procédure nourrit aujourd’hui de vives inquiétudes sur les forums du site MRE (Marocains résidant à l’étranger), tels Bladi ou Yabiladi. Hanane, Casablancaise de 28 ans, n’y a pas trouvé de réponse : voilà deux ans qu’elle attend des nouvelles de son dossier pour rejoindre son mari, installé en France depuis 30 ans et patron d’une PME près de Nîmes. Sur Internet, on s’émeut aussi des tests de langue et de culture françaises qu'au Maroc les demandeurs d’un visa long séjour devront passer dès 2009 - trois ans après l’initiative des Pays-Bas- et que le Pacte européen tendrait à généraliser.

« Normalisation par le bas »

Scandalisée par la directive européenne dite « du retour » votée le 18 juin 2008 à Strasbourg, Lucille Daumas, de Réseau éducation sans frontières (RESF) Maroc, craint une multiplication des mesures de raccompagnement à la frontière et une « normalisation par le bas des conditions de rétention » – alors qu’un jeune Marocain, malade, vient de mourir dans un centre à Turin. « On voit de plus en plus de jeunes qui, installés et scolarisés en France depuis longtemps, souligne-t-elle, sont expulsés dès leur majorité et lâchés au Maroc sans repères ni attaches ». C'est le cas de Jihad Erraïs, reconduit à la frontière en mai 2007, alors qu’il suivait une formation en hôtellerie-restauration., C'est pourtant « un des secteurs qui a le plus gros manque de main d’œuvre », se défend-il, perplexe.

De son bureau de fortune à côté du consulat espagnol, Mustapha doute, pour sa part, que le choix de l’UE de privilégier l’immigration professionnelle profite aux Marocains : « les Européens ont les Roumains et les Polonais pour remplir leur marché du travail » assure-t-il.

Que dire du concept français de « Carte compétences et talents », décliné chez les autres membres de l’UE ? « Ca ne concerne que quelques hyper diplômés », relativise Mehdi Lahlou, professeur de sciences économiques à l’Institut national des statistiques et d’économie appliquée (INSEA) de Rabat. Il est par ailleurs satisfait de voir, « depuis trois-quatre ans, de plus en plus de jeunes formés à l’étranger rentrer spontanément au pays ».

Pour les Marocains, « immigration professionnelle » rime surtout avec « migration saisonnière circulaire ». L’emploi à la cueillette des fraises, ce printemps en Espagne, de 12 000 mères de famille marocaines ayant promis de retourner au Maroc, dans le cadre d’un programme subventionné à 80% par l’UE, en est devenu un symbole âprement discuté. A l’Anapec, (agence pour l’emploi marocaine), on y voit un moyen salutaire contre le hrig (émigration clandestine) et susceptible d'assurer des conditions de travail décentes. Mais de nombreuses voix dénoncent au contraire un « esclavage moderne validé par le gouvernement, comme le qualifie Mehdi Lahlou, ce n’est pas avec ce genre de contrat qu’on va permettre à l’Afrique de sortir de la quadrature du cercle ».

La sous-traitance des frontières

Cet économiste se dit « échaudé », depuis la conférence euro-africaine tenue à Rabat en 2006, par « les grands discours sur le co-développement et la coopération décentralisée… La seule politique réellement mise en place est celle du contrôle des frontières et des accords de réadmission, tandis que l’aide publique au développement continue de baisser au niveau mondial ».

Le dispositif militaire Frontex*, que le Pacte européen entend renforcer, « étend les frontières européennes jusqu’au Sénégal, remarque pour sa part Lucille Daumas de RESF Maroc. C’est du néo-colonialisme ! ». 
 

Rafles et refoulements de migrants subsahariens à la frontière maroco-algérienne.Photo: Cerise Maréchaud

Rafles et refoulements de migrants subsahariens à la frontière maroco-algérienne.
Photo: Cerise Maréchaud

Nombreux sont ceux qui tiennent d’ailleurs l’UE pour responsable du sort des milliers de migrants subsahariens dans le royaume, qui sont régulièrement raflés et refoulés à la frontière algérienne (fermée depuis 1994) par les forces de sécurité marocaines. « Le Maroc sous-traite le contrôle des frontières de l’UE pour s’assurer ses faveurs dans la politique de voisinage (libéralisation des échanges, du trafic aérien, lutte anti-terroriste) », analyse Hicham Baraka. Il est le président de l’association ABCDS (Association Beni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité) à Oujda, et a effectué une tournée européenne en mars-avril derniers pour appeler l’Europe à plus d’ « humanisme ».

« Si l’émigration clandestine a baissé dans le Nord, c’est parce que de nouveaux fronts aussi meurtriers se sont ouverts au large de Laâyoune, Nouadhibou, Dakar… », remarque pour sa part l'économiste Mehdi Lahlou.

A l’entrée du consulat espagnol, Rabia S. demande à Mustapha de lui caler un rendez-vous pour sa demande de visa « vacances ». C'est une formalité pour cette fonctionnaire qui n'en est pas moins écœurée par la tournure des choses : « le temps n'est pas si lointain où l’Europe nous colonisait et pillait l’Afrique, souligne-t-elle, ce serait un juste retour des choses que de nous laisser aller librement, comme les étrangers le font au Maroc.! »


* Frontex; dispositif anti- immigration créé en septembre 2006 pour surveiller les côtes ouest-africaines et les routes de départ illégal vers l’Europe,