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Présidence française de l'Union européenne

APE : un rejet de plus en plus nuancé au Sénégal

par Coumba Sylla

Article publié le 24/06/2008 Dernière mise à jour le 29/06/2008 à 07:43 TU

Manifestation à Bruxelles contre les APE, en janvier 2008.( Photo : AFP )

Manifestation à Bruxelles contre les APE, en janvier 2008.
( Photo : AFP )

Après une mobilisation qui a pris de l'ampleur contre la signature des Accords de partenariat économique (APE) proposés par l'Union européenne (UE) aux Etats du bloc Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), la fièvre « anti-APE » semble retombée au Sénégal. Certes, on y exprime toujours des craintes, notamment de pertes financières attendues de l'application de ces accords commerciaux basés sur le libre-échange. Mais des voix s'élèvent aussi pour nuancer les risques encourus, y compris chez les producteurs agricoles.

« Stop aux APE! », est-il écrit dans un cercle barré d'un trait, sur une affiche montrant l'Afrique en train d'exploser. Un vestige de la campagne contre la signature des APE, encore visible dans une salle du Conseil national de concertation des ruraux (CNCR) qui regroupe des associations paysannes, coopératives et autres organisations agricoles du Sénégal. « C'est d'une ONG partenaire. Notre position est plus nuancée », précise un hôte des lieux.

Au plus fort de la campagne, les conséquences dépeintes semblaient apocalyptiques. « Accords de la mort », « la mort des paysans, du commerce, de l'industrie qui balbutie... », fustigeait notamment le rappeur sénégalais Didier Awadi dans un single anti-APE, suivi dans son exemple par un collectif d'artistes africains scandant en français et dans plusieurs langues nationales: « On ne signe pas! », « Dara la gnou signéwoul! » (wolof), « An ta signé! » (bambara).

Pertes de recettes fiscales

La Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) du Sénégal a étudié « les enjeux économiques et commerciaux » de ces accords pour le pays. « Sur 96 lignes de produits importés (...), il en existe huit qui devraient être les principales responsables des pertes de recettes fiscales » et de manque à gagner pour la collectivité (coût collectif) en cas de signature des APE, indique cette étude publiée le 16 juin. Et selon différents scénarios  de libéralisation sur 25 ans (2009-2033), il est prévu des moyennes annuelles de 12 à 18,8 milliards de francs CFA de pertes pour les recettes fiscales (autour de 1,8 milliard de francs CFA pour le coût collectif).

Egalement remarqué sur le front du refus aux côtés de responsables du patronat, de syndicats, d'ONG nationales et internationales et de responsables politiques, le président sénégalais Abdoulaye Wade avait évoqué des « pertes de recettes fiscales (...) de 38 à 115 milliards de francs CFA » de 2008 à 2015 pour son pays, dans une tribune publiée en novembre 2007 par le quotidien français Le Monde. Or, avait-il souligné, moins de recettes douanières (« entre 35% et 70% des budgets des Etats africains »), c'est moins d'argent pour l'éducation, la santé, les infrastructures, les salaires.

Saliou Sarr, membre du CNCR et coordonnateur au Sénégal du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) dit « comprendre » ces craintes. « Le niveau de productivité tellement faible » du Sénégal empêcherait les produits agricoles locaux de « concurrencer valablement ceux qui vont venir d'Europe » avec zéro droit de douane. « La compétition serait déloyale, nos produits nous resteraient sur les bras », déclare M. Sarr, soulignant que ces conséquences étaient cependant adoucies par le programme de préférences commerciales « Tout sauf les armes » (TSA), décidé par l'UE pour les pays les moins avancés (PMA). Le Sénégal et d'autres Etats non-signataires des APE exportent vers l'Europe sous ce système depuis le 1er janvier 2008, d'après la délégation de l'UE à Dakar.

En revanche, précise Saliou Sarr, les APE provoquent des inquiétudes fondées « pour le niveau d'intégration. Aujourd'hui, l'Europe est un espace régional intégré où entre eux, ils commercent au moins autour de 75%, alors que chez nous, par exemple en Afrique de l'Ouest, notre commerce intra-régional est autour de 5%. Quand deux espaces régionaux n'ont pas le même niveau d'intégration communautaire, le niveau le plus intégré a plus d'avantages », ajoute-t-il, défendant pour le ROPPA une révision des APE pour arriver dans un délai de 25 ans à des « APE allégés ».

Paradoxe sénégalais

« Certes, il y a des défis terribles. D'abord les pertes de recettes », affirme l'économiste Moubarack Lô. Mais il refuse de croire « que les APE possèdent les vices qu'on voudrait bien leur donner », estime que ces « pertes de recettes peuvent être distribuées sur le temps » et qu' « on peut avoir une libéralisation progressive, étalée sur 20 ans » par exemple.

Pourquoi, alors, cette mobilisation d'ampleur anti-APE ? Un « paradoxe », répond M. Lô. Le niveau de développement du pays « le rend plus proche du Ghana et de la Côte d'Ivoire (ayant signé avec l'UE des accords intérimaires parce que plus exposés, NDLR) que du Mali ou de la Mauritanie », moins nantis, alors que grâce à son statut de PMA, « il bénéficie de la facilité Tout sauf les armes », explique l'économiste, qui y voit une stratégie politique. « C'est une tactique souvent utilisée par les hommes d'Etat pour détourner l'attention. (...) Depuis trois mois, il n’y a plus rien. Ça confirme l'hypothèse qu'il s'agit d'un combat politique, pas économique ».