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Présidence française de l'UE

L’européanisation de l’aide au maintien de la paix

par Marie Joannidis

Article publié le 25/06/2008 Dernière mise à jour le 28/06/2008 à 08:07 TU

Même si l’ONU reste le principal pourvoyeur de casques bleus dans les zones de conflit, l’aide au maintien de la paix, notamment en Afrique, est devenue une préoccupation de l’Union européenne, malgré les lenteurs dans la mise en place d’actions coordonnées.

L'Union européenne veut jouer un rôle crucial dans la promotion de la paix, la démocratie, la solidarité et la défense des droits de l'homme.(Photo : UE)

L'Union européenne veut jouer un rôle crucial dans la promotion de la paix, la démocratie, la solidarité et la défense des droits de l'homme.
(Photo : UE)


Depuis plusieurs années, les grandes puissances occidentales, Etats-Unis, Grande Bretagne et France, ont chacune mené leur propre programme mais ont souvent dû coopérer sur le terrain, devant la multiplication des conflits locaux et régionaux, auxquels s’ajoutent les nouvelles menaces terroristes et le grand banditisme. Face à l’échec de leurs bons offices diplomatiques en Yougoslavie, où ils avaient tenté de séparer les factions belligérantes, face aussi aux grands conflits qui embrasaient le continent africain, les dirigeants européens ont donné, en 1999, leur feu vert à l’élaboration de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), les premières missions militaires ayant été menées dans les Balkans et en République démocratique du Congo. L’UE s’est aussi dotée d’une force de réaction rapide, distincte de celle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) mais qui peut avoir accès aux moyens de celle-ci.

Force africaine en attente à l’horizon 2010

Parallèlement la France, qui n’avait plus les moyens ni la volonté d’agir seule en Afrique, a décidé d’européaniser son dispositif de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (Recamp), en concertation avec l’Union africaine, étendant d’ailleurs ce partenariat à des pays comme le Canada. Lancé en 1997, ce programme a pour objectif de former, d’entraîner et de soutenir les pays africains à assumer la responsabilité de la sécurité de leur continent. Paris a conclu des accords avec l’UE et l’Union africaine (UA), qui sont devenues des partenaires à part entière.

L’UA a officiellement inauguré, en mai 2004, son Conseil de paix et de sécurité et s’est fixé comme objectif de constituer à l’horizon 2010 une Force africaine en attente (Standby Force). Cette force d’intervention doit s’appuyer sur des brigades régionales, à mettre en place dans chacune des cinq régions du continent – Afrique du Nord, de l’Ouest, de l’Est, centrale et australe. Ces brigades seront en principe liées aux organisations régionales, là où elles existent et sont opérationnelles, comme la CEDEAO, la SADC, la CEEAC ou l’IGAD.

Les Etats-Unis ont, de leur côté, décidé en 2007 de rassembler leurs activités en la matière dans un Centre de commandement pour l’Afrique (Africom), chargé d’entretenir des relations avec 33 pays africains et dont le siège est en Allemagne. Africom réunit aussi bien des militaires que des civils, en vue de la réalisation de missions humanitaires telles que le secours aux sinistrés et le déminage, ainsi que de missions plus classiques comme la lutte contre la piraterie, la réforme du secteur de la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Ses activités comprennent notamment la formation de soldats au maintien de la paix dans le cadre du programme African Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA).

Conserver une capacité d’action sur les façades occidentale et orientale de l’Afrique

Les ambitions européennes de la France ont été réaffirmées dans le Livre Blanc sur la Défense présenté le 17 juin par le président Nicolas Sarkozy. « Faire de l’Union européenne un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale est une composante centrale de notre politique de sécurité », affirme le texte français. Il propose plusieurs objectifs concrets pour l’Europe de la défense dont une capacité d’intervention globale effective de 60 000 hommes. Il n’y a pas concurrence entre l’Otan et l’Union européenne, mais complémentarité, souligne le texte qui estime que l’Union européenne doit se doter, à terme, d’un Livre blanc européen en matière de défense et de sécurité.

S’agissant des capacités de prévention des conflits et d’intervention, le Livre blanc préconise leur concentration sur un axe géographique prioritaire, allant de l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée, au golfe Arabo-persique et à l’océan Indien. Cet axe correspond aux zones où les risques impliquant les intérêts stratégiques de la France et de l’Europe sont les plus élevés. Il permet aussi de prendre en compte l’importance croissante de l’Asie pour la sécurité internationale, et favorise des actions de présence et de coopération dans cette direction à partir de l’océan Indien.

Le Livre blanc précise aussi que la France conservera une capacité de prévention et d’action sur les façades occidentale et orientale du continent africain, ainsi que dans la bande sahélienne, notamment pour lutter contre les trafics ou les actes de terrorisme. Il rappelle enfin que Paris a décidé de convertir radicalement le système actuel des accords de défense et la coopération militaire pour évoluer vers un partenariat entre l’Europe et l’Afrique, favorisant la montée en puissance des capacités africaines de maintien de la paix.

La réforme du dispositif militaire français en Afrique

La présence militaire française en Afrique, souvent décriée et jugée obsolète, est en train d’évoluer pour s’adapter aux transformations géopolitiques et aux réformes décidées par le président Nicolas Sarkozy.

Le président avait annoncé cette transformation du dispositif français dès sa campagne présidentielle mais l’a fait de façon formelle lors d’une visite officielle en Afrique du Sud, précisant que Paris avait l’intention de « renégocier tous les accords militaires en Afrique ». « Je propose que la présence militaire française en Afrique serve en priorité à aider l’Afrique à bâtir, comme elle en a l’ambition, son propre dispositif de sécurité collective… Il ne s’agit pas d’un désengagement de la France en Afrique. Je souhaite au contraire que la France s’engage davantage aux côtés de l’Union africaine (…) car la sécurité de l’Afrique, c’est d’abord naturellement l’affaire des Africains », avait-il déclaré. Il avait en outre préconisé que l’Europe devienne un partenaire majeur de l’Afrique en matière de paix et de sécurité.

Adapter des accords de défense vieux de près de 50 ans

Soulignant que la présence militaire française en Afrique repose toujours sur des accords conclus au lendemain de la décolonisation, il y a près de cinquante ans, il a annoncé l’ouverture de discussions avec tous les Etats africains concernés pour adapter les accords existants, en tenant le plus grand compte de leur propre volonté, mettant l’accent sur la transparence et la participation du Parlement français à l’orientation de la politique de la France en Afrique.

Le chef de l’Etat français a déjà dépêché plusieurs émissaires sur place, dont l’ancien ministre délégué à la Coopération, Pierre-André Wiltzer, actuel président du conseil d’administration de l’Agence française de développement (AFD) auparavant chargé de la sécurité et de la prévention des conflits.

Un dispositif militaire regroupé

Le mouvement était toutefois déjà amorcé avant lui, la France ne pouvant plus, ou ne voulant plus, jouer seule le rôle de « gendarme de l’Afrique », après le génocide au Rwanda en 1994 et sa mise en cause pour son soutien au régime d’où sont issus les génocidaires. Elle avait pour cela tenté d’avoir l’aval de l’ONU (Côte d’Ivoire) ou de ses partenaires européens (RDC et forces de l’Eufor, opérations liées au Darfour au Tchad et en RCA).

Mais de l’aveu de plusieurs observateurs, Nicolas Sarkozy a eu le mérite de lever le « tabou » concernant les clauses secrètes des accords de défense, qui n’avaient jamais été rendus publiques. En fait, celles-ci portent essentiellement sur la possibilité de faire appel aux forces françaises en cas de menace intérieure sur l’ordre et la sécurité, l’Etat français restant libre d’y répondre ou non. « Ces clauses sont devenues obsolètes au fur et à mesure de la consolidation des Etats et il s’agit aujourd’hui, pour les forces françaises, d’aider, de former et d’équiper les forces africaines y compris celles qui seront un jour chargées du maintien de la paix en cas de conflit », souligne un des responsables de la nouvelle stratégie. Déjà, précise-t-il, Paris a choisi de regrouper son dispositif militaire à Dakar, Djibouti, Libreville et La Réunion pour appuyer les brigades africaines en devenir. La France souhaite là aussi européaniser les effectifs de commandement.

L’Afrique, clé de la sécurité internationale dans les années à venir

Des accords de défense lient la France à 8 Etats africains : Cameroun, République centrafricaine, Comores, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal et Togo. Au Tchad, il n’y a pas d’accord de défense en tant que tel, mais le dispositif Epervier, datant de 1986. Les forces françaises au Tchad assurent un ensemble de missions conformes à l’accord de coopération bilatérale signé entre la France et le Tchad. Paris dispose pour le moment de quelque 9 000 militaires à travers l’Afrique et n’exclut pas une diminution à terme de ce chiffre, ni la fermeture de bases comme celle de Côte d’Ivoire où Paris agit en liaison avec l’Onu.

Mais on souligne de source informée qu’il ne s’agit pas « de plier bagage ». La France compte également 340 coopérants militaires dans le monde, dont 280 sont en poste en Afrique ; chaque année, près de 2 500 cadres militaires sont formés, dont les deux tiers sont des Africains, accueillis dans l’une des 14 écoles nationales à vocation régionale fonctionnant sur des financements multilatéraux. « Nous voulons coopérer avec tous les pays, européens et africains, qui partagent avec nous l’idée que l’Afrique est une clé du développement et de la sécurité internationale dans les années à venir », a souligné le président français.