Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Présidence française de l’UE

L’Europe de la défense : entre espoirs de relance et réduction des ambitions

par Philippe Leymarie

Article publié le 25/06/2008 Dernière mise à jour le 26/06/2008 à 15:55 TU

L'Union européenne espère la mise en place d'une armée de défense commune.(Photo : UE)

L'Union européenne espère la mise en place d'une armée de défense commune.
(Photo : UE)

Le président Sarkozy souhaite profiter de la prochaine présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er juillet, pour relancer une « Europe de la Défense » qui n’est pas à la hauteur de ce qu’est le continent sur le plan économique, technologique et politique. Relance qui, a précisé à plusieurs reprises le numéro un français, serait la condition d’une pleine réintégration de la France au sein de l'Otan.

Lors de la présentation de son Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale, le 17 juin, le président français a paru consacrer le retour de Paris dans le commandement intégré, sans attendre d’éventuels progrès de l’Europe de la Défense. Pour les dirigeants français, les deux organisations étant liées, et les appartenances de fait communes, l’essentiel est de favoriser le renforcement, au sein de l’Otan, d’un « pilier européen » qui, si on comprend bien, sera précisément « l’Europe de la Défense ».

Ces derniers mois, Nicolas Sarkozy s’est s’assuré du soutien ou du moins de la bienveillance des Allemands, Italiens et Espagnols – traditionnels partenaires sur le plan militaire. Mais il  a également cajolé la « Nouvelle Europe », avec en avril une participation appuyée au sommet de l’Otan à Bucarest, en Roumanie ;  et en juin, à Prague, une visite auprès de dirigeants tchèques particulièrement « euro-sceptiques », ou encore à Varsovie ce vibrant « Mes chers amis polonais, l'Europe  compte sur vous ! » - message adressé à ceux à qui le président Jacques Chirac en 2003  avait reproché d'avoir « manqué une  bonne occasion de se taire » lorsqu’ils avaient soutenu l'intervention militaire américaine en Irak.

Vrai parapluie

Des Polonais qui se révèlent aujourd'hui d'excellents partenaires « stratégiques » - c'est le qualificatif officiel de l'accord signé à Varsovie -, et très demandeurs justement d'Europe de la défense : ils ont par exemple pris la responsabilité - avec les Français et les Irlandais - d'un des trois bataillons de la force Eufor-Tchad-Rca. Mais à Bruxelles, au sein de l'invraisemblable machinerie qui aspire à devenir peut-être un jour le gouvernement fédéral des 27 Européens, tout le monde n'est pas Polonais... Et la France, qui donc va exercer pour six mois la présidence de l'Union - et ne retrouvera pas pareille occasion avant 2022 ! - doit compter avec de puissants « amis » ... qui peuvent être aussi des freins, dans ce domaine précisément de l'Europe de la Défense : il s'agit notamment des Britanniques, mais également des Tchèques, des Néerlandais pour qui tout renforcement des capacités militaires de l'Union européenne - pourtant encore très limitées -  reviendrait à rogner sur celles de  la grande Otan euro-américaine, unique vrai et crédible « parapluie » stratégique du continent.

Livre blanc

Le nouveau Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale rendu public le 17 juin dernier, qui se projette sur les quinze ans à venir, propose de « donner la priorité aux capacités européennes de gestion des crises » :

- atteindre progressivement une capacité d’intervention de 60 000 hommes « déployables » pendant un an sur un théâtre éloigné, avec les composantes aériennes et maritimes indispensables, et pouvoir simultanément conduire deux à trois opérations de maintien ou rétablissement de la paix ;

- combler la faiblesse des moyens d’intervention à distance de l‘Europe par une mise en commun des moyens nationaux, avec création d’un commandement européen du transport aérien militaire et mutualisation des capacités en avions-ravitailleurs et hélicoptères, et aéronavales ;

- renforcer les capacités de planification et de conduite des opérations, en créant un centre de commandement permanent, en étendant les échanges de renseignements, en plaçant sous une direction stratégique commune les opérations militaires et civiles, et en instituant le principe de solidarité financière entre Etats membres pour leur financement.

Mais le « non » de l’Irlande au Traité de Lisbonne risque de retarder la mise en œuvre de dispositions qu’évoque ce même Livre blanc, et sur lesquelles comptait la présidence française :

- le renforcement du rôle du Haut représentant pour la politique étrangère, doté d’un service d’action extérieure ;

- l’introduction d’une clause d’assistance mutuelle en cas d’agression armée contre un des Etats membres, et d’une clause de solidarité militaire entre Etats membres, pour porter assistance sur son territoire à un Etat membre victime d’actes terroristes ou de catastrophes naturelles ;

- ou encore la mise en place d’une « coopération structurée permanente » entre Etats membres souhaitant s’engager davantage dans l’Europe de la Défense.

Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, a estimé que le « non » irlandais ne modifiait pas « à 90% » les projets européens, et laisse ouvert notamment de grands chantiers comme la stratégie européenne de sécurité, de l’augmentation des capacités opérationnelles de l’Union, ou du développement de l’Agence européenne de défense. 

Nain militaire

Le projet de maintenir ouvert en permanence un centre opérationnel à Bruxelles, même limité à une cinquantaine, voire à une trentaine de personnels, pour planifier et suivre les opérations militaires de l'Union, se heurte également à des résistances. L'actuelle installation, ouverte en janvier 2007, n'est que virtuelle, et doit être laborieusement « réactivée », chaque fois que le nécessité en apparaît - prouvant chaque jour que le géant économique et parfois politique européen, est resté un « nain militaire ».  La laborieuse constitution  de la force européenne pour la sécurisation des réfugiés et déplacés au Tchad et en République centrafricaine (Eufor-Tchad-Rca) - pourtant d’ampleur limitée - en a été une nouvelle illustration, contraignant la France à y jouer un rôle qu’elle aurait préféré moins « voyant ».

 Il en est de même du souhait de donner à l'Agence européenne de l'armement - chargée de la mise en œuvre de programmes européens d’armement - les moyens financiers et humains de déterminer et gérer tout ce qui pourrait être « mutualisé » dans ce secteur en Europe, pour éviter des dépenses inutiles, et avoir une chance de continuer à « fabriquer et acheter européen » , dans des domaines comme l’aéronautique, le spatial, les blindés, la construction navale, les missiles, la recherche, etc.

Lettre morte

Dans les milieux dirigeants européens, à Bruxelles, on attend avec intérêt et curiosité la présidence française - après celle des Slovènes et avant celle des Tchèques ! - mais on voudrait bien que les projets volontaristes exprimés par les Français soient  suffisamment négociés et étayés, pour ne pas risquer de rester lettre morte, voire de  déstabiliser  les progrès déjà faits. Certains Etats, qui n'ont pas de moyens de défense conséquents, supportent mal, par exemple, d'être mis à l'écart d'initiatives sécuritaires décidées de fait dans le cadre de « coopérations renforcées », par ceux-là même qui acceptent d’en endosser l'effort financier et humain.

Certains à Bruxelles se demandent également de quel poids seront, durant cette « petite » présidence de six mois, les initiatives d'un pays qui est en train de réduire de manière sensible sa propre « voilure » militaire, avec une réduction pratiquement à terme d'un tiers de ses capacités dans le terrestre, le naval, l'aérien, et la dissuasion nucléaire. Et qui donc risquera d'être mal placé pour faire la leçon, comme c'était le cas jusqu'ici, aux pays qui ne consacrent pas jusqu'à 2 % de leur produit intérieur à la défense et à la sécurité... et qui sont la majorité des 27 !