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Présidence française de l'UE

L’Afrique peut-elle compter sur l’Europe dans la mondialisation économique ?

par Antoinette Delafin

Article publié le 25/06/2008 Dernière mise à jour le 27/06/2008 à 08:14 TU

8 juin 2007 : Sommet du G8. Rencontre avec des chefs d'Etat et de gouvernement africain dans le cadre des discussions au sujet du développement en Afrique.(Photo : UE)

8 juin 2007 : Sommet du G8. Rencontre avec des chefs d'Etat et de gouvernement africain dans le cadre des discussions au sujet du développement en Afrique.
(Photo : UE)

Lors de sa présidence de l’Union européenne, la France pourrait plaider pour plus de flexibilité dans les négociations avec l’Afrique en vue de conclure de nouveaux Accords de partenariat économique (APE) avec les pays Afrique, Caraïbe, Pacifique (ACP). Le président Nicolas Sarkozy attend ces jours-ci le rapport sur les APE qu’il a demandé mi-avril à la députée guyanaise Christiane Taubira.

 « On ne peut être partenaire que si on a de quoi discuter d’égal à égal », affirmait Christiane Taubira à Porto Novo, au Bénin, le 12 juin 2008, ajoutant que les pays du nord doivent cesser de considérer ceux du sud comme des « petits poucets ». Elle s’exprimait ainsi aux côtés du professeur Albert Tévoédjrè, au siège de l’Organe présidentiel de médiation sur les APE, a rapporté L’Option Infos. En mission pour le président Sarkozy dans le cadre de la présidence française, cette économiste, membre de la délégation ACP-UE au Parlement européen de 1994 à 1999, devait rendre ces jours-ci un rapport très attendu, censé encourager les Etats Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP) à conclure avec l’UE des « accords complets et régionalisés » dans des conditions plus équitables.

La France pourrait ainsi amener l’Union européenne (UE) à accorder plus d’attention aux préoccupations de l’Afrique sur les questions commerciales liées à l’agriculture et à l’alimentation – alors qu’une crise alimentaire affecte de nombreux pays du continent sporadiquement secoués par des émeutes de la faim et que sociétés civiles et chefs d’Etat africains rejettent les APE dans leur mouture actuelle.

Les APE sont des « camisoles de force »

Comment sortir de l’impasse dans laquelle les parties se sont engouffrées ? Lors du sommet UE-Afrique de Lisbonne, fin 2007, les pays africains se sont opposés à la signature des APE, qui devaient conduire au 1er janvier 2008 au libre-échange entre les deux régions.

Le président Wade, qui a critiqué la FAO, a déclenché un programme d'autosuffisance alimentaire. Des fermiers travaillent dans le champ de melons d'une ferme expérimentale sénégalo-espagnole à Djilakh, à 80 km au sud de Dakar, le 28 avril 2008. (Photo : AFP)

Le président Wade, qui a critiqué la FAO, a déclenché un programme d'autosuffisance alimentaire. Des fermiers travaillent dans le champ de melons d'une ferme expérimentale sénégalo-espagnole à Djilakh, à 80 km au sud de Dakar, le 28 avril 2008.
(Photo : AFP)

Tête de file et symbole de la fronde, le président sénégalais Abdoulaye Wade a déploré « l’échec des accords de Cotonou » et, partant, des précédents accords de Yaoundé et de Lomé qui ont eu l’effet inverse à celui annoncé : au lieu d’augmenter les exportations de l’Afrique vers l’Europe, celles-ci se sont « sensiblement détériorées », déclarait-il au quotidien français Le Monde, tandis que celles de l’Europe vers l’Afrique ont « augmenté de 6,5 % depuis 2000 ».

De plus, le nouveau dispositif de « désarmement tarifaire entrainerait immédiatement d’énormes pertes de recettes douanières pour nos pays », que le « vieux lion » sénégalais évalue « entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains ». Proposant des « Accords de partenariat et de développement (APD) qui englobent et dépassent le cadre strictement commercial », il a qualifié les APE de « camisole de force », affirmant que les mécanismes de compensation proposés par l’UE ne suffiront pas à combler ces pertes de ressources.

De nouvelles régions « taillées à la serpe »

« Le dossier est sensible, tant du point de vue africain que du côté européen », reconnaît un expert français qui a requis l’anonymat. La Convention de Cotonou (2001) avait établi « un compromis entre les partisans d’une relance du développement par le commerce et ceux qui défendaient le maintien de l’aide publique au développement », rappelle-t-il. Au final, un équilibre était instauré entre les deux volets. Parallèlement, le système commercial préférentiel introduit par la Convention de Lomé (1975), qui ouvrait le marché européen aux Etats-ACP, « avait été toléré par le GATT », puis était prorogé par la Convention de Cotonou. Mais depuis sa création en 1994, l’OMC menaçait d’instaurer un système contraignant. Et la dernière prorogation arrivait à échéance le 31 décembre 2007. Il fallait donc faire évoluer le système.

La Commission européenne a alors entamé des négociations en vue d’un accord de libre-échange. Pour ce faire, les pays ACP ont été regroupés en nouvelles régions « taillées à la serpe », six au total : une Caraïbe, une Pacifique (qui n’existait pas) et quatre pour l’Afrique – qui ne tiennent pas compte des organisations régionales existantes. Chacune doit signer un accord de libre-échange avec l’UE et finaliser sa propre union douanière censée apporter une plus grande intégration économique.

Un processus progressif

Mais la Commission est elle-même contrainte par l’OMC de garantir la libéralisation de 90 % des échanges entre l’UE et les pays ACP : 100 % du marché européen devra être ouvert contre 80 % du marché des ACP, dont les Etats pourront protéger 20 % en dressant une liste des produits sensibles. Des règles que le Commissaire européen en charge du Commerce, Peter Mandelson, estime nécessaires.

A l’issue de sa session du 27 mai 2008, le Conseil de l’UE, qui se félicite d’avoir repris les négociations, déclare qu’il « maintient pleinement les conclusions sur les APE qu’il a adoptées en avril 2006 et en mai et novembre 2007 ». Et avec elles le blocage actuel, que notre expert français attribue surtout au fait que la négociation a été menée sous l’autorité des commerciaux. « La Direction générale du développement n’a pas beaucoup participé aux discussions ou de manière très tardive. Et l’accompagnement offert à l’ouverture commerciale par l’aide au développement n’a pas donné de résultats évidents. »

Des accords intérimaires « porteurs de division »

Le Conseil met en avant dans son document sa « stratégie en faveur de l’aide pour le commerce », adoptée en octobre 2007, qui vise « à porter à 2 milliards d’euros d’ici à 2010 l’assistance liée au commerce de l’ensemble de l’UE [dont] environ 50 % de l’augmentation pourront être utilisés pour répondre aux besoins jugés prioritaires par les pays ACP, y compris ceux liés aux APE ». Une aide inscrite dans le cadre général de l’augmentation de l’APD, souligne-t-il, et qui « n’est pas subordonnée à la signature d’une APE ou d’un accord intérimaire ».

En attendant, fin 2007, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a encouragé les Etats concernés à se doter d’accords intérimaires « pour éviter de perturber le commerce » tandis que le président de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), Mohamed Ibn Chambas, jugeait cesdits accords « porteurs de division ». Les ministres réunis fin février 2008 à Ouagadougou ont réaffirmé leur volonté de conclure un APE global mais « axé sur le développement et mutuellement bénéfique ».

Résultat : en mai, une seule région (Caraïbe) a signé un APE global. Mais une trentaine de pays (sur les 78 du groupe ACP) – pour la plupart des pays à revenu intermédiaire ou PRI – ont paraphé individuellement un accord intérimaire, au risque de provoquer « un effet de désintégration au sein des union existantes », déplore notre expert. Ce fut le cas notamment de la Côte d’Ivoire et du Ghana pour la Cédéao, ou du Cameroun pour la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac) – qui craignaient de perdre leurs préférences sur des produits comme le cacao ou la banane.

Une pétition pour l’agriculture familiale et contre la faim

Principale région ACP, l’Afrique de l’Ouest représente 40 % des échanges UE-ACP, d’où le « caractère stratégique » du changement de régime commercial pour l’avenir des économies ouest-africaines, estime Action solidaire, qui rappelle que 12 des 16 pays qui la composent sont des PMA, les autres réalisant plus de 80 % de leurs exportations vers l’UE. Il existe en outre une dérogation permanente de l’OMC pour les PMA qui bénéficient aussi du régime « Tout sauf les armes » (TSA) de l’UE qui ne les oblige pas à ouvrir leurs marchés.

Répétant inlassablement que ces accords « visent à favoriser l’intégration régionale et l’intégration progressive des pays ACP dans l’économie mondiale », tout en permettant, à terme, de « contribuer à l’ensemble des efforts accomplis pour éradiquer la pauvreté dans les pays ACP », le Conseil de l’UE a toutefois pris acte le 27 mai de l’existence « de questions problématiques demeurant en suspens ». Il croit nécessaire « d’adopter une approche flexible », invitant la Commission à procéder de manière « compatible avec les règles de l’OMC » en tenant compte des besoins et niveaux de développement. Tout un programme. Dans le doute, une ONG membre de Coordination SUD vient de remettre au secrétaire d’Etat chargé de la Coopération, Alain Joyandet, une « pétition pour l’agriculture familiale et contre la faim » – qui a recueilli quelque 20 000 signatures (campagne «Alimenterre»). Quant à la société civile des pays ACP, très mobilisée sur la question, et aux chefs d’Etats africains anti-APE, ils devraient bientôt reprendre leurs plaidoyers. Après tout, arguent-ils, un accord intérimaire, pour être valable, doit être ratifié par le Parlement ou signé par le Président de la république.