par Marie Joannidis
Article publié le 25/06/2008 Dernière mise à jour le 01/07/2008 à 08:08 TU
Confrontée à l’afflux constant de clandestins venus majoritairement d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, l’Union européenne cherche à l’endiguer en utilisant à la fois la manière forte et le dialogue avec les pays d’origine. La France a présenté à ses partenaires un « Pacte européen pour l’immigration et l’asile » qui prévoit également un volet consacré au développement solidaire et au co-développement.
Brice Hortefeux, ministre français de l’Immigration, l’intégration, l’identité nationale et du développement solidaire a brossé, devant le Parlement le 29 mai dernier, les grandes lignes du Pacte européen pour l’immigration et l’asile proposé par la France. Il présentera officiellement le projet les 7 et 8 juillet à Cannes lors d’une réunion des 27 ministres européens chargés de l’immigration. Une conférence ministérielle sur le régime commun d’asile européen se tiendra en septembre 2008 à Paris, suivie de la deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui se déroulera les 20 et 21 octobre, également dans la capitale française, pour tenter de trouver une approche commune entre pays du Nord et du Sud.
Dans une conférence de presse organisée le 19 juin en présence du ministre sénégalais de l’Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, du secrétaire d’Etat allemand aux Affaires européennes, Peter Altmaier, et d’un parterre d’ambassadeurs, Brice Hortefeux a plaidé en faveur du Pacte européen qui doit répondre à cinq priorités : organiser l’immigration légale, lutter contre l’immigration irrégulière en interdisant les régularisations massives (comme l’avaient fait l’Espagne et l’Italie), améliorer l’efficacité des contrôles aux frontières, poser les fondements d’une Europe de l’asile et enfin, favoriser le développement solidaire.
La directive « retour » dénoncée par les ONG
En Europe, cinq pays – la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne – concentrent 80 % des flux migratoires, les 20 % restants étant répartis entre le Portugal, la Pologne et l’Autriche, puis des États moins concernés. Les 27 adoptent peu à peu des mesures convergentes mais il n’existe pas encore de véritable politique commune, même si le ton s’est durci un peu partout et que de nombreuses ONG humanitaires parlent d’Europe « sécuritaire ». Ainsi, les 27 ministres de l’Intérieur sont tombés d’accord début juin sur la directive « retour » qui prévoit « l’unification des normes et des procédures relatives au retour des ressortissants des pays tiers résidant illégalement sur le territoire des Etats membres ».
Le texte, issu d’une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, fixe à dix-huit mois la durée maximale de détention des immigrés illégaux avant leur expulsion : un maximum de six mois, dans un premier temps, pouvant être prolongé de douze mois dans certaines circonstances, par exemple le manque de coopération du pays d’origine du migrant qui refuserait d’accepter son retour. Le texte fixe à cinq ans l’interdiction de pénétrer à nouveau sur le territoire de l’UE pour les immigrants illégaux. Il rend toutefois obligatoire l’assistance juridique aux personnes expulsées qui ont un droit de recours contre la décision d’expulsion. Si les mesures restrictives recueillent l’adhésion de beaucoup d’Européens, les notions de co-développement et de développement solidaire dans ce cadre n’ont pas encore beaucoup progressé à l’exception notable de l’Espagne.
Concertation avec les pays source d’immigration
Brice Hortefeux souligne que le développement solidaire implique des actions d’aide au développement qui participent à une meilleure gestion des flux migratoires. « Cela inclut, bien entendu, le co-développement qui vise à soutenir les initiatives des diasporas au bénéfice de leur pays d’origine », précise-t-il. Il admet que le co-développement est un concept qui existe depuis une dizaine d’années mais qui avait, jusqu’ici, du mal à émerger puisqu’il reposait sur les initiatives de particuliers. Il souligne qu’il a obtenu que le budget du co-développement, qui existait avant la présidence de Nicolas Sarkozy, passe de 3 à 60 millions d’euros, ce qui permet de multiplier par 20 les engagements dans ce domaine.
Il a aussi indiqué qu’il avait décidé de soutenir les actions de coopération décentralisée dans le cadre du développement solidaire: douze projets de collectivités locales françaises avec leurs partenaires dans 8 pays comme la Tunisie, le Burkina Faso ou Haïti. « Nous nous concertons avec les pays source d’immigration », a-t-il dit, précisant qu’il avait effectué depuis juin 2007 onze voyages officiels en Afrique subsaharienne et au Maghreb et conclu cinq accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire : Gabon, Congo, Bénin, Sénégal et Tunisie. D’autres pourraient suivre prochainement, a-t-il laissé entendre, notamment avec le Mali, le Cameroun, le Cap-Vert, l’Égypte, les Philippines et Haïti.
Une triple approche : dissuasion, répression et prévention
Ces accords comprennent chaque fois trois volets : l’organisation de la migration légale, la lutte contre l’immigration irrégulière et la promotion de projets de développement solidaire. « Il s’agit, pas à pas, de construire un partenariat avec les pays d’origine et de transit, au service de leur développement. Nous voulons favoriser la dimension économique de la migration en améliorant les possibilités pour les migrants d’investir dans leur pays d’origine. Cela signifie mettre en place des incitations fiscales ou des produits bancaires spécifiques, appuyer des actions dans des secteurs clés pour la maîtrise de l’immigration comme l’éducation, la santé et la gouvernance », explique Brice Hortefeux qui réfute les « mauvais procès » qui sont fait à l’encontre de la politique d’immigration de la France.
De nombreux experts se demandent toutefois si la triple approche de dissuasion, de répression et de prévention sera suffisante pour décourager les candidats à l’exil attirés par l’eldorado que représentent les pays riches en Europe et qui sont prêts à tout risquer y compris leur vie pour ce qu’ils croient être un monde meilleur. « Ce sera un travail de longue haleine qui nécessitera des fonds importants pour le développement », estime l’un d’eux.
Brice Hortefeux dans le texte |
Le temps où une politique migratoire pouvait se concevoir dans le seul cadre d’un État membre est révolu. Dans un espace de libre circulation comme l’est l’Union européenne, toute décision prise par un État membre a des répercussions chez ses voisins. (…) Face au défi collectif que représente l’immigration, le Président de la République a souhaité présenter à ses partenaires européens des règles communes. (…) J’ai annoncé ici même, lors du premier rapport d’étape, que ce ministère serait à la fois celui de l’équilibre, celui de la fermeté et celui de la justice. Les premières victimes de l’immigration clandestine sont, avant tout, les immigrés clandestins eux-mêmes. Notre politique de grande fermeté face à ceux qui les exploitent constitue, ainsi, une politique de justice et d’humanité. (…) Première priorité : organiser l’immigration légale en tenant compte des besoins et des capacités d’accueil déterminés par chaque État membre, afin de favoriser l’intégration. Nous voulons promouvoir une immigration choisie et concertée à caractère professionnel. Nous voulons maîtriser l’immigration familiale au regard des capacités d’accueil. (…) Deuxième priorité : lutter contre l’immigration irrégulière. Concrètement, cela signifie que les Etats membres prendront l’engagement de ne pas procéder, pour l’avenir, à des régularisations générales. (…) Nous sommes, par conséquent, favorables à la conclusion d’accords de réadmission des clandestins avec les pays d’origine. Nous organiserons des rapatriements communs des étrangers en situation irrégulière, volontaires dans la mesure du possible et forcés si cela est nécessaire. Nous accroîtrons la lutte contre les employeurs et les logeurs de clandestins et le combat contre les filières criminelles de passeurs. Troisième priorité : mieux protéger l’Europe en améliorant l’efficacité des contrôles aux frontières. Cela passe par trois choses : un recours volontariste aux technologies modernes comme la biométrie ; des objectifs plus ambitieux pour l’agence Frontex, qui reste embryonnaire ; et une plus grande coopération entre les États membres et les États limitrophes. Quatrième ambition : poser les fondements d’une Europe de l’asile, qui reste à bâtir. J’appelle donc de mes voeux la création dès 2009 d’un bureau d'appui. Ce bureau ne sera pas une « Agence » dotée d’un pouvoir de décision. Mais il sera chargé de faciliter les échanges d’information et d’expérience entre les administrations nationales responsables de l’examen des demandes d’asile. Notre dernière priorité a trait au développement solidaire : il s’agit, pas à pas, de construire un partenariat avec les pays d’origine et de transit, au service de leur développement. (…) Cela inclut, bien entendu, le co-développement qui vise à soutenir les initiatives des diasporas au bénéfice de leur pays d’origine. (…) Ma conviction est que c’est au plus près des gens que nous devons agir et nos politiques doivent donc s’adapter aux réalités. C’est pourquoi nous avons aussi décidé de soutenir les actions de coopération décentralisée dans le cadre du développement solidaire. (…) Extraits de la Conférence de presse donnée à Paris le 19 juin 2008 |