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Pakistan

Enlèvements : une activité de plus en plus lucrative

par Nadia Blétry

Article publié le 26/06/2008 Dernière mise à jour le 28/06/2008 à 16:46 TU

Le kidnapping est devenu une activité commerciale à part entière dans certaines régions du Pakistan. Comme beaucoup, Baba Abdul Ghaffar, habitant de Peshawar en a fait l’expérience. Mais il a décidé de ne pas se décourager et de se battre pour retrouver son fils disparu. Enquête dans la province frontalière du Nord-Ouest du Pakistan où la vie humaine est devenue une valeur marchande.

Les enlèvements touchent également les plus pauvres. Baba Abdul Ghaffar n'a pas pu payer la rançon pour la libération de son fils.(Photo : N. Blétry/RFI)

Les enlèvements touchent également les plus pauvres. Baba Abdul Ghaffar n'a pas pu payer la rançon pour la libération de son fils.
(Photo : N. Blétry/RFI)

Devant la Haute Cour de Peshawar, dans le Nord-Ouest du Pakistan, Baba Abdul Ghaffar invective les passants sans se soucier du dispositif de sécurité et du regard réprobateur des policiers en faction devant la cour de justice. Sous un soleil de plomb,  le vieil homme à la barbe blanche hurle sa colère: « Je suis ici parce que je suis à la recherche d’un véritable être humain, d’un juge qui sera enfin un bon musulman et pourra m’aider à retrouver mon fils enlevé il y a plus de sept ans ».

Depuis le 27 février 2001, Baba qui n’a pas pu payer la rançon exigée par les ravisseurs, parcourt tout le pays à vélo, une peinture géante de son fils accroché sur le porte-bagages de sa bicyclette. Partout, il harangue la foule, force la porte des puissants pour tenter de sensibiliser la justice à son sort. En vain. Pourtant, le vieil homme n’a pas d’autre recours et son cas n’est pas une exception.

Les enlèvements se multiplient au Pakistan, en particulier dans la province frontalière du Nord-Ouest qui jouxte l’Afghanistan. La pratique du kidnapping n’est plus seulement le fait de militants islamistes, elle se généralise. C’est ce qu’explique Ashraf Ali qui vient de finir une thèse sur les talibans : « Aujourd’hui, les enlèvements sont devenus une activité commerciale à part entière. On ne sait pas vraiment qui commet ces actes. Bien sûr les talibans revendiquent un certain nombre de rapts. Cela a été le cas avec l’enlèvement de l’ambassadeur du Pakistan en Afghanistan au mois de février dernier, relâché contre une importante somme d’argent et la libération de prisonniers talibans. Depuis août 2007, les talibans ont d’ailleurs mis en place une charte qui « légalise » les enlèvements pour obtenir des rançons et continuer le jihad contre les forces étrangères en Afghanistan. Mais ils ne sont pas les seuls responsables des kidnappings. Aujourd'hui, des groupes de bandits font la même chose ».

Un phénomène grandissant

Le phénomène est grandissant et touche également les familles les plus pauvres. C’est le cas de la famille de Baba dont le fils a été enlevé parce qu’il était au volant d’une voiture, jugée à tort comme un signe extérieur de richesse. Le chômage, la hausse de la nourriture et la pauvreté croissante se sont accompagnés d’une recrudescence des enlèvements. Si l’identité des ravisseurs varie, le motif des rapts en revanche est toujours le même : obtenir de l‘argent facilement en faisant de la vie humaine une véritable valeur marchande.

Les journaux pakistanais ne cessent de relater des histoires de prises d’otages, aux issues plus ou moins heureuses. Baba recense tous ces récits dans un classeur plein à craquer, soigneusement rangé sur son vélo. Il part régulièrement à la rencontre des anciens otages libérés, demandant à chacun s’il n’a pas été incarcéré avec son fils.

Les hommes sont devenus une marchandise

Pour Musarrat Hillali, vice-présidente des droits de l’homme dans la province frontalière du Nord-Ouest, la situation est alarmante : « Dans les zones tribales, vous ne trouverez pas une seule famille qui a été épargnée par les enlèvements. C’est très préoccupant parce qu’il y a un risque vital. Les hommes sont devenus des marchandises. Les familles payent parce qu’elles craignent pour les leurs. Mais le plus inquiétant dans tout cela c’est l’absence de l’Etat. Ces familles sont livrées à elles-mêmes. Et pour couronner le tout, le juge Chaudhry, l’ancien président de la Cour suprême qui avait ouvert les dossiers des disparus au Pakistan a été limogé. Cela donne une impunité aux ravisseurs ».

Abandonné par les autorités, Baba a justement choisi de mener sa propre enquête qui l’a conduit dans toutes les provinces du pays. Ses périples sont parfois dangereux mais le vieil homme ne se soucie pas de sa propre vie. Au cours de ses pérégrinations, il lui est même arrivé d’être pris en otage par des talibans dans la zone tribale de Mohmand, mais comme il le raconte, sa captivité a été de courte durée. « Je ne savais pas où chercher, explique Baba, j’ai entendu le président Musharraf à la télévision dire que quand quelqu’un avait disparu c’est qu’il avait été enlevé par les talibans, alors j’ai décidé d’aller les trouver. Dans l’agence de Mohmand quand ils m’ont vu arriver en vélo, ils m’ont arrêté, ils m’ont dit que j’étais un espion. Et finalement au bout de deux jours j’ai été relâché mais je n’ai pas retrouvé mon fils ». Aujourd’hui, la défiance de Baba pour le gouvernement de son pays est à son comble. Et, pour éviter de trop penser à ce qui est arrivé à son fils, il préfère faire le pari qu’il est toujours en vie et repartir à vélo dans son inlassable quête de justice.