par Marie-Eve Detoeuf
Article publié le 27/06/2008 Dernière mise à jour le 27/06/2008 à 20:50 TU
Le président colombien Alvaro Uribe pendant la conférence de presse du 27 juin 2008 à Bogota.
(Photo : Reuters)
La décision d'Alvaro Uribe a provoqué un tollé dans les rangs de l’opposition colombienne. Les constitutionnalistes sont perplexes. Tous les sondages créditent le chef de l’Etat de plus de 80% d’opinions favorables.
Les détracteurs du président voient dans la convocation d’un referendum une manœuvre politique, « dangereuse pour les institutions et la démocratie ». Ils le soupçonnent de jouer de sa popularité pour se maintenir au pouvoir au-delà de 2010. « En convoquant un referendum, Alvaro Uribe met la politique avant le droit », a déclaré Antanas Mockus, ex-maire de Bogota qui juge que le président de la République devrait démissionner. Carlos Gaviria, du Pôle démocratique (gauche) a dénoncé le risque de « dictature populiste ».
Il faut dire que le chef de l’Etat n’y est pas allé de main morte contre les juges. Au cours de sa très brève allocution télévisée nocturne, il les a accusés « d’abus de pouvoir » et « d’usurpation de compétences ».
« Le piège du pouvoir terroriste agonisant, auquel se sont prêtés les magistrats de la Chambre pénale de la Cour suprême de justice, ne semble pas avoir de solution judiciaire. Par conséquent, le chemin correct est la règle démocratique », a déclaré Uribe.
« Il est très grave que le chef de l’Etat doute des institutions et associe la Cour suprême au terrorisme pour légitimer sa réaction », juge l’analyste Pedro Medellin.
Un peu d’histoire est nécessaire pour comprendre les dessous de la crise. La Constitution adoptée en 1991 interdisait à un président en exercice de se représenter. En 2004, le gouvernement faisait modifier la constitution par le Congrès pour permettre la réélection d'Alvaro Uribe. Le projet était adopté à une voix de majorité par la première commission de la Chambre des députés.
Cette voix était celle de la parlementaire Yidis Medina qui, il y a deux mois, révélait avoir vendu son vote contre la promesse de postes importants pour ses amis politiques et de faveurs pour sa circonscription. Saisie de l’affaire, la Cour suprême a rendu son arrêt mardi, condamnant Mme Medina a 47 mois de prison pour forfaiture.
Pour vendre son vote, il faut qu’il y ait acheteur. Le gouvernement se retrouve donc sur la sellette. La justice ordinaire a ouvert une enquête préliminaire pour déterminer les responsabilités de plusieurs proches du président. Le ministre de l’Intérieur à l’époque des faits et actuel ambassadeur en Italie, Sabas Pretelt de la Vega, a été mis en examen cette semaine. Le 3 juin, la commission d’accusation de la Chambre des représentants ouvrait une enquête contre le président de la République.
La Cour suprême, jeudi, a demandé à la Cour constitutionnelle de réexaminer la légalité de la réforme constitutionnelle qui a permis la réélection présidentielle, provoquant la virulente réaction du chef de l’Etat.
En annonçant sa décision de convoquer un referendum, le chef de l’Etat a accusé le Haut Tribunal d’avoir rendu son verdict « sans tenir compte de preuves présentées par le gouvernement » contre Yidis Medina. « La Cour suprême applique une justice sélective », a affirmé Uribe.
La réforme constitutionnelle aujourd’hui incriminée a été approuvée par la majorité du Congrès. Et M. Uribe a été réélu avec 62% des voix. Selon les constitutionnalistes, l’illégalité de la réforme n’entache pas nécessairement la légitimité de l’élection présidentielle. « C’est la réaction disproportionnée de M. Uribe et son appel au peuple contre les juges qui font craindre le pire », pointe l’analyste Claudia Lopez.
Le conseiller présidentiel, Jose Obdulio Gaviria, a démenti que le président cherche à faire approuver une nouvelle modification de la constitution pour pouvoir se présenter à un troisième mandat. « Il s’agit de légitimer l’actuel mandat du président Alvaro Uribe », a-t-il affirmé.
Les frictions entre M. Uribe et la Cour suprême ne sont pas nouvelles. Dans le cadre du scandale dit de la « para-politique », le Haut Tribunal a ouvert une enquête contre une soixantaine de parlementaires soupçonnés de complicités passées avec les sanglantes milices paramilitaires. La plupart d’entre eux appartient à la majorité présidentielle, trente-deux sont en prison. Mais le président Alvaro Uribe reste immensément populaire.