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Présidence française de l'UE

L' Union pour la Méditerranée: une bonne idée?

par Antoinette Delafin

Article publié le 28/06/2008 Dernière mise à jour le 28/06/2008 à 01:24 TU

A la veille du sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée, à Paris, le 13 juillet, le projet phare de la présidence française de l’UE suscite bien des controverses. Et réveille les antagonismes qui avaient abouti au blocage du précédent partenariat euro-méditerranéen lancé à Barcelone en 1995. Car au Nord comme au Sud de la « Mare nostrum », chacun voit midi à sa porte. Et les appétits s’aiguisent quant il s’agit de choisir les futurs co-présidents.

L'Union européenne et les pays « intéressés » par une Union méditerranéenne.(Graphisme : Marion Urban/ RFI)

L'Union européenne et les pays « intéressés » par une Union méditerranéenne.
(Graphisme : Marion Urban/ RFI)

 

Présentée comme un des temps forts de la présidence française de l’Union européenne (UE) qui démarre le 1er juillet, l’initiative française était censée relancer le rapprochement entre l’UE et les pays du sud de la Méditerranée. Mais les premières salves sont parties du Nord – quand la chancelière allemande Angela Merkel, voyant là un ferment de division entre les pays de l’UE, s’est opposée au concept initial lancé par le président français : son Appel de Rome, le 20 décembre 2007, faisait participer les seuls pays européens riverains à une « Union méditerranéenne ». Un projet qui aurait, selon la chancelière, abouti « à créer une nouvelle frontière (…) entre l’Allemagne et la France », départageant « les pays tournés vers l’Est et ceux tournés vers le Sud ».

La participation d’Israël fait débat

Finalement, un compromis a été adopté par le Conseil européen le 14 mars 2008. Il s’appuie sur les acquis de la coopération Euromed engagée en 1995, le processus de Barcelone, mais il promet de lui insuffler une dynamique nouvelle pour pallier ses insuffisances. Le projet, rebaptisé « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée », engloberait, selon la proposition de la Commission au Conseil, 43 Etats-membres – les 27 de l’UE, les 12 de Barcelone (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Jordanie, Territoires palestiniens, Israël, Liban, Syrie, Turquie et Albanie - la Libye avait rang d’observateur dans Barcelone), plus la Croatie, la Bosnie, le Monténégro et Monaco.
Cette tempête à peine apaisée, rencontres et mini-sommets se sont multipliés début juin au sud de la Méditerranée, laissant apparaître de nouvelles pommes de discorde. Les pays arabes ont profité d’un Forum à Alger pour réclamer des « clarifications » quant à la participation d’Israël – un point qui avait abouti au blocage du processus précédent. Or, le principal enjeu politique de l’UPM est de créer un espace de paix et de stabilité dans cette zone stratégique où des crises multiformes provoquent des tensions dangereuses. De son côté, la Libye jugeait que le projet, qualifié « d’humiliant », portait atteinte à l’unité arabe et africaine. Et le président sénégalais Abdoulaye Wade annonçait qu’il poserait la question lors du prochain sommet de l’Union africaine.

La Turquie se fait désirer

Depuis, une autre question défraie la chronique. Qui assistera ou non au sommet du 13 juillet ? La présence de Mouammar Kadhafi est compromise après ses déclarations fracassantes contre l’UPM, chère à son ami Nicolas Sarkozy. En revanche, celle du président syrien Bachar Al-Assad semble se confirmer. Il devrait y assister « à la même table que les Israéliens », a assuré le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner le 17 juin à l’Assemblée nationale. Quant à la Turquie, peu enthousiaste pour un projet qui a pu apparaître comme un ersatz face au refus de certains pays, dont la France, d’accepter son entrée dans l’UE, elle se fait désirer.
De plus, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika envisagerait de boycotter la rencontre si son pays ne figure pas dans la future architecture de l’UPM qui fait encore l’objet d’intenses tractations. Bien qu’édulcorée, l’UPM nouvelle mouture jette les bases d’un partenariat paritaire. Les Vingt-Sept ont avalisé son pilotage par deux coprésidents, l’un au Sud, l’autre au Nord. Pour le Sud, la France soutient la candidature de l’Egyptien Hosni Moubarak. En revanche, les interrogations sur l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne début 2009 laissent planer le doute sur la présidence du Nord, le traité prévoyant que les relations extérieures de l’UE seront assumées par les présidents du Conseil et de la Commission. Quant au secrétariat, il pourrait revenir au Maroc tandis que la Tunisie accueillerait le siège de la future Union. En attendant, les préparatifs mouvementés de ce premier sommet de l’UPM ont eu d’ores et déjà le mérite de replacer les relations euro-méditerranéennes au cœur des préoccupations de ses nombreux protagonistes.

L’Union pour la Méditerranée : une bonne idée ?

Interviewes croisées de Frédéric Charillon, professeur des Universités en science politique, et Benjamin Stora, professeur des Universités, enseigne l’histoire du Maghreb contemporain à l’Inalco (Paris)

 RFI : Pensez-vous que l’Union pour la Méditerranée peut réellement favoriser l’émergence d’un pôle de stabilité dans la région ?

Frédéric Charillon : La difficulté pour la France consiste à expliquer la philosophie de cette initiative, qui n’est ni une tentative européenne d’imposer un modèle à ses voisins méditerranéens du Sud et de l’Est, ni une volonté de substituer un agenda politique occidental « aseptisé » à ceux, plus dramatiques, de la résolution du conflit israélo-arabe ou de la question libanaise, présents dans tous les esprits méditerranéens. L’émergence d’un pôle de stabilité régional est primordiale mais on ne peut poser cette question qu’en abordant les points les plus sensibles et non pas en donnant l’impression de vouloir les éviter. Si l’UPM permet à tous, Européens, Arabes comme Israéliens, et à toutes les bonnes volontés, de dialoguer dans un forum nouveau, libre, traitant de tous les déséquilibres, de toutes les frustrations, alors oui, l’émergence d’une dynamique positive est possible. Dans le cas inverse, l’initiative sera perçue, à l’image de ce que fut le projet américain de « Grand Moyen-Orient », comme une tentative de substituer les préoccupations du sud par un agenda politique des pays riches.

Benjamin Stora : L’objectif des initiateurs est d’assurer un pôle de stabilité en tentant de régler l’ensemble des conflits qui traversent la région. Au centre, bien sûr, le conflit israélo-palestinien, mais aussi les tensions entre la Syrie et le Liban ou entre l’Algérie et le Maroc dont les frontières sont fermées depuis 1994. Mais l’ambition est-elle d’ouvrir un cadre politique pour le règlement de tous ces conflits ? Ou doit-on attendre de régler chacun de ces dossiers pour avancer ? L’UPM se veut un espace politique et économique nouveau pour toute la Méditerranée. Et c’est la première hypothèse - un cadre pour la gestion de tous les problèmes - qui doit retenir l’attention. Mais la France, l’Europe ont-elles les moyens d’une action si ambitieuse, celle de régler tous les problèmes en même temps et de se substituer aux acteurs eux-mêmes ?

RFI : Quelles seront les limites géographiques de ce nouveau partenariat que le président Sarkozy qualifie de « pôle gagnant-gagnant qui concurrencera l’Asie » ?

F.C. : Au départ, il s’agissait de réunir les pays riverains de la Méditerranée. Néanmoins, on voit mal comment les Etats-membres de l’Union européenne plus éloignés de la zone auraient pu en être écartés. Plus encore, on imagine mal comment on pourrait éviter d’impliquer les Etats du Golfe dans les discussions. Leur dynamique économique, leur poids dans la géopolitique énergétique régionale, leur capacité évidente à dynamiser voire à financer des processus nouveaux et d’éventuels cercles vertueux, en font des partenaires incontournables. Reste à poser la question de l’Iran, que l’on ne peut pas non plus faire semblant d’ignorer dans cette dynamique : penser pouvoir l’isoler serait illusoire.

B.S. : C’est l’autre grande question. Où s’arrêtent les frontières de l’UPM ? Impossible de le savoir pour l’instant. La question a fait l’objet d’âpres discussions avec l’Allemagne qui ne voulait pas d’une « Union » des seuls pays ayant une frontière méditerranéenne. Mais alors, jusqu’où aller ? On parle de 40, 50 pays… Et dans ce cas, le projet risque de se diluer dans un ensemble très vaste et de perdre de sa cohérence politique, y compris par rapport au processus de Barcelone tant décrié aujourd’hui. La Turquie est réticente car elle sent que l’UPM se présente comme un substitut à son entrée dans l’Union européenne. Le Quotidien d’Oran se demandait le 12 juin ce qu’il reste « de méditerranéen dans le projet UPM » ? Pour ce journal algérien, « Kadhafi n’a pas tout faux en renvoyant aux Européens leurs propres arguments qui leur ont servi à s’inviter tous à cette UPM ». Dans cette logique, l’Union concerne les Etats-membres de la Ligue arabe et de l’Union africaine « au même titre que l’Europe ». Pourquoi les pays riverains de la Baltique seraient-ils plus concernés que les pays subsahariens ou que ceux du bord de la mer Rouge ?

RFI : Comment l’UPM pourra-t-elle concilier d’un côté la libre circulation des marchandises et des capitaux à travers les frontières euro-méditerranéennes et de l’autre un contrôle accru des flux migratoires ?

F.C. : C’est l’un des dilemmes les plus complexes à résoudre. Il faudra donner un signal politique clair : si l’on engage les partenaires méditerranéens dans une logique de liberté d’échange, il faudra aller jusqu’au bout. On ne pourra pas se permettre, si l’on veut rester crédible, de prôner l’ouverture sur certains dossiers, et justifier la fermeture sur d’autres. Ce serait, là encore, donner l’image d’un agenda politique tronqué qui ne sert que des intérêts unilatéraux.

B.S. : C’est un autre défi posé par ce projet : comment disposer d’un espace politique ouvert, et des frontières presque fermées d’une rive à l’autre de la Méditerranée ? Les pays du Maghreb, en particulier l’Algérie, insistent de plus en plus sur la dimension humaine de ce problème. Si cette question n’est pas traitée, le risque est alors grand de ne concevoir l’UPM que comme un ensemble de gestion strictement économique des marchandises, au détriment d’une circulation humaine plus grande. Dans ce cas, la gestion serait celle, seulement, de grands projets, comme la dépollution des eaux marines ou les facilités d’investissements économiques, sans vision stratégique d’ensemble. On en reste à une démarche pragmatique, bien loin du concept d’émergence d’une « nouvelle civilisation méditerranéenne ». Ce qui est dommage, car l’aventure vaut d’être tentée…

Propos recueillis par Antoinette Delafin

Derniers ouvrages parus de Benjamin Stora : Appelés en guerre d’Algérie, Ed Gallimard, 2008 ; Les mots de la colonisation, (dir, avec Sophie Dulucq et J.F Klein), Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2008.