par Antoinette Delafin
Article publié le 28/06/2008 Dernière mise à jour le 30/06/2008 à 11:45 TU
« Jamais la Méditerranée n’a été autant au centre des préoccupations de l’Europe », disait Nicolas Sarkozy à Tunis le 30 avril 2008. Le nouveau partenariat euro-méditerranéen, placé dans la continuité du Processus de Barcelone lancé en 1995, parviendra-t-il pour autant à surmonter les obstacles que celui-ci n’a pu franchir ? Il serait temps car la fracture entre les deux rives méditerranéennes fragilise l’Union européenne (UE), confrontée à un défi qui pourrait conditionner son avenir. « Il y a quatorze kilomètres de distance au Détroit de Gibraltar mais il y a le plus fort écart de revenus au monde entre la rive Nord et la rive Sud. C’est un fossé qui se creuse et qui porte en lui les drames de demain », poursuivait le président français.
Pour Jean-François Jamet1, consultant auprès de la Banque mondiale, la tâche est immense. Il faudra « rapprocher les niveaux de vie, répondre au défi démographique, promouvoir les échanges commerciaux, améliorer la compétitivité des pays riverains et lever les obstacles institutionnels et politiques au développement économique ».
470 millions d’habitants aujourd’hui, 615 millions en 2050
Pression démographique et écarts de développement alimentent les flux migratoires des pays du Maghreb vers le nord, eux-mêmes pays de destination ou de transit d’autres migrants aux conditions de vie encore plus difficiles. Avec 470 millions d’habitants, les pays méditerranéens (PM) hors UE ont une population presque équivalente à celle de l’UE, où les Etats méditerranéens comptent pour 40 %. Et à l’horizon 2050, ils seront 615 millions. Le point est crucial : pour simplement maintenir en l’état leur nombre de chômeurs, la croissance démographique obligera à créer plus de 22 millions d’emplois d’ici 2020 dans les PM hors UE2. La progression du taux d’activité des femmes – 31,9 % en Tunisie contre 63,4 % dans l’UE – est aussi à prendre en compte. Selon le PNUD, le niveau de vie varie de 1 à 8 entre les PM (et à 14 pour la Mauritanie). La pauvreté reste importante, notamment au Maroc où 14,3 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et 19 % n’a pas accès à l’eau potable.
« D’autres pays ont pris la mesure des opportunités économiques de la zone »
« Les deux rives de la Méditerranée n’ont pas entamé de processus de convergence », explique Denis Bauchard3, de l’IFRI, qui estime que les écarts entre les deux régions se seraient même accrus entre 1990 et 2006 (PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat), assurant que « seul un taux de croissance annuel de 7 à 8 % pourrait réduire cet écart ». La croissance des PM hors UE est pourtant dynamique (5,3% en moyenne en 2007) mais demeure insuffisante pour réduire les déséquilibres structurels. Leur part dans les exportations mondiales est faible (3,2% en 2006). C’est, commercialement, une des régions les moins intégrées du monde, en raison notamment du maintien des barrières douanières. L’UE est de loin son premier partenaire commercial – à l’exception du Liban, d’Israël et de la Jordanie –, et la destination de plus de la moitié de ses exportations.
« Dans le même temps, l’Europe, ensemble, ne réalise que 2 % de ses investissements en Méditerranée, remarquait Nicolas Sarkozy. Je ne veux pas remettre en cause les investissements à l’Est (…). Mais il ne faut pas oublier le Sud ». D’autant que « d’autres pays, comme la Chine et les Etats-Unis, ont déjà pris la mesure des opportunités économiques de la zone », rappelle Alain Le Roy4, ambassadeur en charge du projet de l’UPM, citant le Japon et les Etats-Unis qui multiplient les partenariats avec leurs voisins via l’ASEAN et l’Alena.
Un champ de bataille industriel
Avec un tiers des flux mondiaux de marchandises transitant entre Suez et Gibraltar, la Méditerranée est le « centre névralgique de la nouvelle logistique globale, (…) un champ de bataille industriel où s’affrontent champions du nord et du sud, estime le réseau Anima5. Plateforme dynamique de production et de services aux portes de l’Europe, elle peut bénéficier d’un accès privilégié aux financements venus du Golfe. » En 2007, les investissement directs étrangers (IDE) des Emirats, d’Arabie saoudite et du Koweït ont totalisé 20 milliards d’euros, tandis que ceux de l’Europe avoisinaient 24 milliards, les Etats-Unis 6 milliards et les Britanniques 5,6 milliards. Tous les pays émergents dynamiques – dont la Chine et l’Inde – sont présents dans cette région au potentiel grandissant, et appréciée comme base de production pour le futur grand marché Euromed. « Le processus de Barcelone a joué un rôle positif dans l’accroissement de l’IDE, en rendant la rive sud plus attractive », affirme Anima, mais ce « regain d’intérêt » ne suffit pas.
Les pays du Sud attendaient beaucoup du Processus de Barcelone mais ses objectifs n’ont pas tous été atteints. L’agriculture, notamment, était « exclue du processus de libéralisation des échanges alors que l’industrie naissante devait affronter la concurrence des produits européens », souligne Denis Bauchard. Entre 1995 et 2006, les financements du programme MEDA ont totalisé 8,8 milliards d’euros et ceux de la Banque européenne d’investissement (BEI, à travers sa Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, FEMIP) 7,2 milliards. « L’Europe, par ses fonds multilatéraux comme par les aides bilatérales, est de loin le premier pourvoyeur d’aide en Méditerranée », poursuit-il. Et si les conditions d’entrée sur le territoire européen des ressortissants du sud se sont durcies, la coopération en matière de sécurité et de contrôle des filières clandestines, « qui affectent aussi les pays du sud – s’est renforcée dans un climat de confiance ».
Thème central : l’environnement
L’UPM arriverait-elle à point nommé pour relancer le partenariat euro-méditerranéen ? La révision du fonctionnement du Processus de Barcelone sur une base paritaire, ainsi que le lancement de projets de coopération concrets à dimension régionale sont supposés faire naître des solidarités entre les Etats participants. « L’Union pour la Méditerranée (…), je la vois comme une union de projets, une union à géométrie variable où chacun participera comme il le souhaite », disait le président français. De nombreuses rencontres, au nord comme au sud, notamment lors du Congrès de Fès, début juin, ont largement débattu en amont de ces projets.
Selon Alain Le Roy, le thème central sera l’environnement – déjà présent depuis 2005. Cet objectif porté par la Commission européenne et la BEI n’avait pu être mené à terme faute d’instruments adaptés. Cette fois, un partenariat avec les gouvernements, les entreprises et les collectivités devrait permettre « de financer une cinquantaine d’actions à hauteur de 2 milliards d’euros ». De son côté, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, affirme que les IFE sont « prêtes à investir comme elles l’ont fait pour les PECO après la chute du Mur de Berlin ». Dont acte.
1. Fondation Robert Schuman. Questions d’Europe n° 93, mars 2008.
2. Rapport Femise, 2007, Institut de la Méditerranée.
3. Politique étrangère, 1/2008.
4. Les cahiers de la compétitivité, mai 2008.
5. Investir en Méditerranée. Anima Investment network. Mai 2008. www.anima.coop
Un sommet sur le thème « L’entreprise, moteur de la Méditerranée ». |
Souplesse, pragmatisme, efficacité, tels sont les maîtres-mots de l’UPM. Les entreprises, le monde du business et la société civile sont conviés pour soutenir cet engagement de l’UE sur la voie du co-développement. Dans ce contexte « favorable au climat des affaires », le Medef organise les 3 et 4 juillet à Marseille, avec le soutien de la CCI de Marseille-Provence, de l’Union méditerranéenne des Confédérations d’entreprises et du patronat européen, un sommet sur le thème « L’entreprise, moteur de la Méditerranée ». |