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Malaisie

Anouar Ibrahim, l'opposant à abattre ?

par Alain Renon

Article publié le 30/06/2008 Dernière mise à jour le 30/06/2008 à 16:26 TU

Anouar Ibrahim a quitté l'ambassade de Turquie, ce qui a permis d’éviter un incident diplomatique entre Putrajaya et Ankara.(Photo : Reuters)

Anouar Ibrahim a quitté l'ambassade de Turquie, ce qui a permis d’éviter un incident diplomatique entre Putrajaya et Ankara.
(Photo : Reuters)

Anouar Ibrahim a quitté dans la soirée du lundi 30 juin l’ambassade de Turquie à Kuala Lumpur, où il s’était réfugié la veille. L’opposant malaisien avait dit craindre pour sa vie, après une nouvelle accusation de crime de sodomie, portée contre lui au début du week-end. L’ancien dauphin de Mahatir Mohammad dénonce une manipulation du pouvoir, qui chercherait à éviter à tout prix son élection au Parlement, à la faveur d’une législative partielle.

Anouar Ibrahim était accompagné de son épouse, de sa fille et de son avocat, quand il a quitté la résidence de l’ambassadeur de Turquie. Ami personnel du Premier ministre turc, l’opposant malaisien y avait été accueilli dimanche 29 juin, après avoir évoqué des menaces de mort à son encontre. Anouar avait même explicitement accusé le gouvernement de chercher à l’assassiner, dans la foulée d’une nouvelle accusation d’ « actes de sodomie » portée contre lui. C’est surtout la crainte d’une arrestation qui l’avait poussé à chercher refuge à la mission diplomatique de Turquie. Interpellation, qui « n’est pas à l’ordre du jour », a déclaré lundi soir son avocat. Selon lui, « le ministre de l’Intérieur et le vice-Premier ministre ont donné des garanties pour [la] sécurité » de son client.

La sortie d’Anouar Ibrahim a permis d’éviter un incident diplomatique entre Putrajaya et Ankara. Le ministre malaisien des Affaires étrangères avait en effet annoncé son intention de convoquer l’ambassadeur de Turquie pour protester contre ce qu’il avait publiquement qualifié d’ingérence, dans un entretien accordé au quotidien The Star.

Plainte pour sodomie

Selon le numéro deux de la police malaisienne, c’est un secrétaire du Keadilan, le parti d’Anouar Ibrahim, qui est à l’origine de cette affaire. Le jeune homme de 23 ans affirme avoir été victime d’un abus sexuel. Il a porté plainte, dimanche, contre l’opposant. L’entourage d’Anouar a aussitôt dénoncé une nouvelle campagne de dénigrement, en laissant entendre que le plaignant avait subi des pressions. Son épouse, élue du Parlement, a de son côté accusé le jeune homme de collusion avec le gouvernement, en brandissant des photos où il apparaît aux côtés de ministres et de personnalités de l’UMNO, principal parti du Barisan Nasional, la coalition au pouvoir. Pour l’opposant, il s’agit d’une « fabrication totale », destinée à l’abattre politiquement.

Vraie ou fausse, l’accusation est en tout cas très grave. Car si l’homosexualité est tolérée en Malaisie, l’acte sexuel de sodomie est, lui, considéré comme un crime, passible de vingt ans de réclusion, aux termes du code pénal.

Un mauvais remake ?

Anouar Ibrahim en sait d’ailleurs quelque chose. En 1998, alors qu’il était le dauphin désigné du patron de l’UMNO et homme fort de l’époque, Mahatir Mohammad, il avait été brutalement évincé. Déchu de ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre des Finances pour avoir osé contester la politique de Mahatir, en pleine tourmente financière asiatique, aussitôt poursuivi et rapidement condamné à neuf ans de prison, pour corruption et… sodomie.

Cette dernière partie du jugement avait finalement été annulée en appel, par la Haute Cour de Kuala Lumpur, en 2004. Anouar avait donc été libéré après avoir purgé les six ans de prison infligés pour corruption.

Depuis, celui qu’Amnesty International avait adopté comme prisonnier politique, a lentement mais sûrement relancé sa carrière. Au point de revenir sur le devant de la scène nationale, mais cette fois comme leader charismatique de l’opposition. Une position confortée par une stratégie d’union, qui a permis à l’Alliance de l’opposition malaisienne de conquérir 82 des 222 sièges du Parlement et de prendre le contrôle de 5 des 12 Etats de la fédération, aux élections du 8 mars 2008.

Majorité en crise

Depuis ce revers électoral historique, le Barisan Nasional est en difficulté. Confronté à des défections parlementaires  - en partie encouragées par Mahatir, lui-même démissionnaire de l’UMNO-, à la chute vertigineuse de popularité du Premier ministre, Abdullah Ahmad Badawi. Sans oublier la grogne sociale, engendrée par les hausses de prix mais aussi par les déceptions économiques et les inquiétudes ethniques et religieuses des minorités indienne et chinoise de Malaisie.

Elu triomphalement en 2004, le chef du gouvernement est aujourd’hui au bord de la démission. Alors que les patrons de l’UMNO s’attèlent à maintenir leur suprématie sur la vie politique malaisienne. Une mainmise que menace de plus en plus sérieusement Anouar Ibrahim. A 60 ans, il caresse à nouveau l’espoir de prendre les rênes du pays. En devenant député, à la faveur d’une élection partielle, après avoir été privé de scrutin, l’hiver dernier. Les législatives anticipées du 8 mars avaient effectivement précédé d’un mois son retour légal en politique. Et de ce strict point de vue, la nouvelle « affaire » Anouar ressemble furieusement à un coup monté.