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Etats-Unis / Pakistan

Signes de défiance

par Georges Abou

Article publié le 16/07/2008 Dernière mise à jour le 16/07/2008 à 22:09 TU

Washington examinera les accusations d'implication pakistanaise dans les violences en Afghanistan, a affirmé George W. Bush lors de la conférence de presse du 15 juillet à la Maison Blanche.(Photo : Reuters)

Washington examinera les accusations d'implication pakistanaise dans les violences en Afghanistan, a affirmé George W. Bush lors de la conférence de presse du 15 juillet à la Maison Blanche.
(Photo : Reuters)

Le Congrès américain propose de tripler l'aide civile au Pakistan et de soumettre l'aide militaire de Washington à une obligation de résultat dans la lutte anti-terroriste. Depuis l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe à Islamabad, les relations entre les deux pays se sont sensiblement dégradées en raison de la volonté affichée par la nouvelle administration d'engager des négociations avec ses islamistes radicaux. Washington attend du nouveau pouvoir pakistanais la même attitude que son prédécesseur : qu’il confirme sans ambiguïté sa volonté de combattre les ennemis de l’Amérique. Concrètement, le projet de loi américain prévoit de débloquer 7,5 milliards de dollars d'aide non-militaire au Pakistan sur cinq ans. A ce stade, le législateur américain maintient sa coopération militaire, actuellement à hauteur d'un milliard de dollars par an. Mais sous réserve d’efficacité.

« C'est un changement de cap », s'est félicité le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, dominé par les démocrates. Selon Joseph Biden, il y avait urgence à clarifier les rapports entre les deux alliés. « Notre politique envers le Pakistan avait un besoin désespéré d’une sérieuse révision », a-t-il ajouté. D’autres déclarations de même nature, insistant sur la nécessité du renforcement des critères démocratiques et de bonne gouvernance, sont venues renforcer l’argumentaire développé à l’occasion du dépôt de ce projet de loi, marquant ainsi le malaise persistant entre les deux capitales depuis l’effacement du général Musharraf de l’avant-scène politique et l’arrivée aux affaires du gouvernement de coalition.

Si il aboutit en l'état, le projet du législateur américain marquera une évolution sensible dans les rapports entre les deux pays. Washington et Islamabad sont, de longue date, des amis fidèles. Entre les deux pays, la relation est volontiers qualifiée de « stratégique ». Et il n'est donc pas habituel, ni anodin, que les Américains manifestent à l'égard de leur allié régional préféré une telle distance. Autant dire : un tel signe de défiance. Officiellement, ce n'est évidemment pas de « défiance » dont il s'agit mais plutôt de « réajustement » puisqu’il s’agit de mettre l’accent sur les projets civils de développement. La proposition de loi américaine, soutenue à la fois par les démocrates et les républicains, prévoit d’accorder 1,5 milliard de dollars par an, pendant cinq ans, pour construire des écoles, des hôpitaux et des routes. Il envisage également de poursuivre l’effort sur les cinq années suivantes.

Le doute s’installe

La coopération militaire n'est pas menacée pour autant. Actuellement, cette assistance est évaluée à un milliard de dollars par an. Et elle n’est pas remise en cause. Pas question de lâcher cette pièce maîtresse que constitue l'ami pakistanais sur l'échiquier régional et dans la guerre contre le terrorisme. A ce stade, le législateur américain demande des comptes, et il est dans son rôle. De son côté, l’exécutif américain est dans le sien lorsque le ministère de la Défense (le Pentagone) déclare son opposition à la mise sous condition de la coopération militaire et lance un avertissement selon lequel tout changement de stratégie dans l’aide militaire ne devrait se faire au dépens des besoins légitimes de défense du Pakistan.

Le projet américain survient au moment où le doute s’est installé au sein du couple. L’administration pakistanaise a provoqué l’incompréhension des Américains en annonçant l’ouverture de discussions avec ses radicaux, talibans et autres, au lendemain de son investiture, au mois d’avril. Simultanément, sur le terrain afghan, la sécurité s’est dégradée. Des attentats terroristes sont perpétrés jusqu’au cœur de la capitale. L’ambassade d’Inde à Kaboul est la cible d’un attentat suicide. C’est un véritable carnage : 58 morts la semaine dernière. Sans le recours aux moyens aériens (avions et missiles), les forces internationales déployées dans les provinces limitrophes se trouveraient en mauvaises postures. Le territoire pakistanais n’est plus épargné par les représailles. Les victimes civiles sont nombreuses. Depuis quelques semaines circulent sur Islamabad un discours de défiance dans lequel on évoque volontiers son indulgence à l’égard des islamistes, la complaisance de ses services secrets et la perméabilité de sa frontière, propice à l’établissement de sanctuaires terroristes, pakistanais et afghans, sur son territoire. L’Afghanistan invoque son droit légitime à poursuivre les assaillants hors de ses frontières.

Bush-Gilani : entre quatre z’yeux

A Islamabad, le Premier ministre Youssouf Gilani proteste de sa bonne foi et dénonce les accusations : « Le Pakistan a apporté tout son soutien à l’établissement d’un gouvernement stable en Afghanistan », dit-il à l’issue d’une réunion du gouvernement, mercredi à Lahore. Il faut également rappeler que les relations entre islamistes et gouvernement se sont à nouveau tendues à la fin du mois de juin lorsque les discussions ont été suspendues et que le gouvernement pakistanais a ordonné une offensive dans la région de Khyber, où sa souveraineté est soumise à rude épreuve.

Mais les critiques à l’encontre du Pakistan viennent à présent du plus haut niveau des Etats. Après la protestation du chef de l’Etat afghan, le président des Etats-Unis lui-même a fait part des doutes qu’il partage désormais, lui aussi, sur la solidité des convictions de l’administration pakistanaise. Washington examinera les accusations d’implication pakistanaise dans les violences en Afghanistan, annonce George W. Bush. « C’est perturbant », dit-il, et « j’espère évidemment que le gouvernement comprend les dangers » d’une telle situation, ajoute le président américain. M. Bush recevra M. Gilani le 28 juillet.