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Irak

A la recherche d’un équilibre politique et sécuritaire

par Monique Mas

Article publié le 29/07/2008 Dernière mise à jour le 29/07/2008 à 16:40 TU

Baptisée «Heureux présage», l’opération américano-irakienne lancée mardi dans la province de Diyala, au nord-est de Bagdad, vise officiellement des partisans du réseau al-Qaïda, combattants étrangers ou locaux. Cette offensive succède à «la charge des chevaliers» conduite fin mars par le gouvernement al-Maliki contre les miliciens chiites de Moktada Sadr, dans le port pétrolier du Sud, Bassorah, puis dans le quartier de Sadr-City, à Bagdad, la capitale. «Heureux présage» intervient au lendemain d’une vague d’attentats qui a frappé la province de Diyala, mais aussi très sévèrement Bagdad et Kirkouk, la cité pétrolière du nord que revendique le Kurdistan autonome. Un bain de sang qui témoigne de l’instabilité politique au moment où se négocie le statut des troupes américaines au-delà du 31 décembre, terme de leur mandat onusien.

Dans la province de Diyala, la plus dangereuse du pays, l'armée irakienne soutenue par l'armée américaine, a annoncé avoir lancé une vaste opération contre al-Qaida.(Photo: AFP/ archives)

Dans la province de Diyala, la plus dangereuse du pays, l'armée irakienne soutenue par l'armée américaine, a annoncé avoir lancé une vaste opération contre al-Qaida.
(Photo: AFP/ archives)

Pour souligner l’importance qu’elles attachent à l’opération «Heureux présage, les autorités militaires irakiennes indiquent que 30 000 soldats irakiens ont été mobilisés pour «découvrir et détruire les éléments criminels et les menaces terroristes dans la province de Diyala», à commencer par sa capitale Baqouba, ratissée par «la police et l'armée irakiennes de concert avec l'armée américaine». Une opération à valeur de test pour Ali al-Karkhi, un colonel irakien du cru cité par l’Agence France Presse. «Considérez Diyala comme un mini-Irak», dit-il, en faisant valoir un mélange provincial inédit de sunnites, chiites, Kurdes et chrétiens. Un mélange explosif d’après lui, ce qui expliquerait «qu'il est si difficile de rétablir la paix ici». «C'est aussi pour cela que les gens étaient si extrémistes», conclut-il.

Depuis l’intervention militaire américaine de 2003 et le démantèlement des structures liées au parti Baas de Saddam Hussein, l’Irak n’est pas parvenu à se redonner une colonne vertébrale capable de structurer son champ politique et administratif. Insécurité générale et exactions ciblées aidant, chacune des communautés ethniques ou confessionnelles s’est repliée sur ses intérêts supposés, à l’enseigne des Kurdes dans leur région autonome ou des sunnites mieux lotis sous Saddam Hussein. Certaines se sont subdivisées en maisons adverses comme les chiites. D’autres, comme les chrétiens, ont fui massivement Bagdad pour le Kurdistan autonome ou l’étranger.

Dans la province de Diyala, la présence de combattants étrangers se réclamant d’al-Qaïda a encore un peu plus compliqué la situation sécuritaire. Moyennant finances, l’armée américaine est finalement parvenue à retourner à son profit des milices sunnites, les Sahwa. Ces ex-insurgés transformés en supplétifs aussi bien contre les suppôts sunnites d’al-Qaïda que contre les chiites récalcitrants ont réduit la pression sur les troupes américano-irakiennes sans pour autant restaurer la sécurité dans l’ancien grenier à grains de Diyala. La province est en effet restée un «triangle de la mort» en attente d’un «Heureux présage», sinon d’une normalisation politico-sécuritaire durable.

L'Iran fauteur de désordre selon Washington

Pour les Américains et leurs alliés de Bagdad, l’Iran chiite fait figure de fauteur de désordre dans le Diyala irakien qui, lui, est frontalier. Washington dénonce aussi, régulièrement, la main de Téhéran derrière la rébellion des chiites sadristes, à couteaux tirés avec l’autre obédience chiite, celle de Nouri al-Maliki et de son parti Dawa poussé au pouvoir par l’administration Bush qui a voulu ainsi effacer l’emprise sunnite de Saddam Hussein.

Ironie de l’histoire, sous Saddam Hussein, Téhéran assurait la logistique et l’équipement des miliciens de Nouri al-Maliki d’un nationalisme moins sourcilleux que celui de Moktada Sadr. Aujourd’hui, tout donne à penser que l’Iran souhaite à ses frontières un Irak stable et de préférence gouverné par des chiites. Pour sa part, en attendant une assez improbable conciliation avec Nouri al-Maliki, Moktada Sadr s’est replié en Iran. Il a annoncé une réorganisation de son Armée du Mahdi après les offensives du printemps 2008 lancées contre lui par un Premier ministre Maliki visiblement soucieux d'en finir avec la concurrence sadriste.

Jusqu’à l’année dernière, peu d’observateurs pariaient sur la survie politique de Nouri al-Maliki, en place depuis avril 2006. Le gouvernement Maliki s’était en effet fortement décoloré en avril 2007, avec la démission de ses quatre ministres chiites sadristes, puis celle, en août 2007, des six représentants du principal bloc sunnite du pays, le Front de la concorde nationale, fort de 44 sièges de députés sur 275. Le Front avait claqué la porte en dénonçant la prédominance kurde et chiite dans les allées du pouvoir. Il se plaignait aussi d’arrestations, injustifiées selon lui, dans les rangs sunnites. Enfin, il critiquait les purges visant les anciens fonctionnaires du parti Baas qui avaient mis nombre de ses militants au chômage. Le 19 juillet dernier, plusieurs sessions parlementaires et quelques lois plus tard – l'une d'entre elles prévoyant la réintégration des anciens membres du Baas dans la fonction publique notamment – Nouri-al-Maliki a pu ramener les sunnites du Front de la concorde au gouvernement et attribuer à des chiites «indépendants» les portefeuilles dévolus aux sadristes. Il n’est pas sûr que Maliki soit débarrassé de ses concurrents sadristes pour autant.

L'épine sadriste de Nouri al-Maliki

En réclamant le départ des troupes américaines, les partisans de Moktada Sadr s’inscrivent dans une posture nationaliste dont Nouri al-Maliki ne peut pas complètement ignorer la validité politique. Souveraineté et occupation étrangère font en effet plutôt mauvais ménage. Reste à savoir si Nouri al-Maliki a vraiment les moyens de sa volonté affichée d’émanciper l’Irak des Etats-Unis. En tout cas, il a eu grandement besoin des troupes américaines pendant l’offensive dont il avait pris le commandement et revendiqué l’exclusivité irakienne, à Bassorah en mars 2008. Mais, l'opération de nettoyage annoncée s’était muée en affrontements à l’arme lourde jusqu’à ce que Moktada Sadr ordonne à ses militants de cessez-le-feu, après des négociations par-dessus la frontière iranienne.

Depuis les offensives du printemps, un mur de confinement a été érigé autour de Sadr City, à Bagdad. C’est dire sans doute que le bilan n’est pas totalement concluant. Toutefois, de l’avis de tous les observateurs, la sécurité s’est «globalement» améliorée. Mais, des attentats aux quatre coins du pays viennent régulièrement rappeler que la stabilité politique n’est toujours pas au rendez-vous. Cela explique pourquoi la Maison Blanche se refuse à fixer une date précise pour un retrait des troupes américaines. Selon la formule consacrée par l'administration Bush, les soldats américains finiront quand même par quitter l'Irak, dans un «horizon temporel» envisageable «si les récents progrès dans le domaine de la sécurité continuent». Ce sera sans doute au commandant des forces armées américaines en Irak, le général David Petraeus - promu avant le départ de l’administration Bush fin 2008 - d’en juger le moment venu.

Un Irak unitaire incertain

Pour sa part, le candidat démocrate à la magistrature suprême américaine, Barack Obama, a promis de rapatrier les soldats américains dans un délai de 16 mois, le temps nécessaire et suffisant pour retirer quelque 140 000 hommes du bourbier irakien. La promesse sied, bien sûr, au Premier ministre irakien qui évoque pour sa part un départ sous deux ans maximum. En attendant, il négocie avec l’actuel locataire de la Maison Blanche le statut des troupes américaines après l’échéance onusienne du 31 décembre. Les discussions traînent en longueur sur certains points comme l’immunité juridique des soldats américains ou la souveraineté des espaces aérien et maritime. Bagdad souhaite la recouvrer entièrement. Nouri al-Maliki veut aussi revoir le nombre et les emplacements des bases américaines en Irak. 

Dans l’immédiat, force est de constater que l’Irak unitaire d’hier est rien moins qu’assuré, sauf comme le vœu affiché des non-Kurdes face aux ambitions foncières et pétrolières du Kurdistan autonome. Sur ce sujet, l’un des rares à faire consensus entre chiites et sunnites, ces derniers se retrouvent sur la même ligne pour dénoncer l’accaparement de richesses nationales. Du coup, le référendum promis à Kirkouk après le renversement de Saddam Hussein a dû être reporté aux calendes grecques. Il s’agissait, en effet, de trancher la question de son rattachement éventuel au Kurdistan, un véritable casus belli. Par ailleurs, les élections provinciales qui devaient apporter une nouvelle répartition des pouvoirs politiques en octobre sont, elles aussi, compromises par le rejet d’une loi électorale. Dans l’Irak balkanisé, l’Etat disparu peine à renaître et l’esprit de Nation paraît s’être dilué à jamais dans des affrontements ethniques et confessionnels.