Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Serbie

Le baroud d'honneur des courants nationalistes serbes

A la veille du transfert de Radovan Karadzic à La Haye, 15 000 partisans de l’inculpé se sont rassemblés dans le centre de Belgrade. La manifestation a dégénéré en violents incidents. Cela ressemblait beaucoup à un baroud d’honneur des courants nationalistes serbes. Mardi soir, ils n’étaient en effet que 15 000 à manifester contre la « trahison » que représenteraient l’arrestation de Radovan Karadzic et son transfert à La Haye. A simple titre de comparaison, en février dernier, près de 300 000 personnes avaient manifesté dans la capitale serbe contre l’indépendance du Kosovo.


Lors de la manifestation du mardi 29 juillet 2008. Les manifestants ultra-nationalistes brandissent des portraits de Radovan Karadzic, Vojislav Seselj et Ratko Mladic.(Photo : AFP)

Lors de la manifestation du mardi 29 juillet 2008. Les manifestants ultra-nationalistes brandissent des portraits de Radovan Karadzic, Vojislav Seselj et Ratko Mladic.
(Photo : AFP)


De notre correspondant à Belgrade, Jean-Arnault Dérens

Dès l’arrestation de l’ancien dirigeant des Serbes de Bosnie, plusieurs petits groupes ultranationalistes avaient manifesté tous les jours à Belgrade. Il s’agissait principalement du groupe semi-clandestin Obraz, qui s’était fait connaître pour la première fois du grand public en attaquant très violemment la Gay Pride de 2001, organisée pour la première fois à Belgrade. Ce mouvement, dont le nom désigne le visage et, de manière symbolique, l’honneur, est très lié à l’Église orthodoxe serbe. Il se serait formé à la Faculté de Lettres de Belgrade.

Obraz entretient des liens avec un autre groupe, la Garde du Prince Lazare, qui se propose de défendre (par les armes) le Kosovo serbe, mais qui n’a jamais réussi à organiser la moindre mobilisation conséquente au Kosovo lui-même. En fait, ces mouvements s’emploient surtout à dénoncer les « traîtres » et les « déviants » de Serbie elle-même.

Par le biais de différents cercles proches de l’Église, ces groupes sont également en contact avec le Parti démocratique de Serbie (DSS), la formation très conservatrice de l’ancien Premier ministre Kostunica, dont certains militants étaient présents à la manifestation de mardi soir 29 juillet à Belgrade, à laquelle le parti n’avait toutefois pas officiellement appelé. Un proche allié de Vojislav Kostunica a néanmoins paradé à la tribune : l’ancien ministre des Infrastructures, Velimir Ilic, président du petit parti Nouvelle Serbie.

Le 5 octobre 2000, Velimir Ilic, alors maire de la ville de Cacak, en Serbie centrale, était à la tête du premier groupe qui a réussi à pénétrer dans le Parlement fédéral, lors de la « révolution démocratique » qui a provoqué la chute du régime de Milosevic. Toute cette mouvance s’inscrit en effet dans une tradition nationaliste violemment anticommuniste, qui s’était rangée dans l’opposition à Milosevic, après avoir parfois pactisé avec lui au début des années 1990. Milosevic était en effet issu du sérail de la Ligue des communistes, transformée en Parti socialiste de Serbie. Pour ces milieux « authentiquement » nationalistes, le ralliement de Milosevic au nationalisme n’était qu’une stratégie opportuniste…

Ces groupes sont en lien avec les cercles intellectuels que l’on retrouvait dans le Comité « Vérité pour Radovan Karadzic », issu lui aussi de cette intelligentsia nationaliste, orthodoxe et anticommuniste qui s’était développée à la fin des années 1980. Ce Comité était animé par des figures comme l’écrivain Momo Kapor ou le juriste Kosta Cavoski, qui avait d’ailleurs écrit un livre, il y a plus de vingt ans, avec Vojislav Kostunica…

Cette « filiation » idéologique est importante car, par contraste, l’autre accusé en cavale du TPI, le général Ratko Mladic, lui, est un pur produit du système communiste et de l’armée yougoslave : les réseaux de soutien aux deux fugitifs n’étaient assurément pas les mêmes.

Lors de la manifestation de ce mardi soir, le gros des troupes venait cependant des rangs du Parti radical serbe (SRS), dont le dirigeant, Vojislav Seselj, est lui lui-même toujours en cours de procès à La Haye.

Nationaliste, anticommuniste, lié à l’extrême droite européenne – Vojislav Seselj est un grand ami du Français Jean-Marie Le Pen ou du Russe Vladimir Jirinosvki, le parti entretient toujours des relations avec MSI-Fiamma tricolore d’Italie ou le FPO autrichien – le SRS a des relations plus distantes avec l’Église orthodoxe. Il est vrai que, dans les années 1990, ce parti a souvent « collaboré » avec le régime de Milosevic, participant à plusieurs cabinets ministériels.

Depuis la chute de Milosevic, le SRS enregistre régulièrement des scores électoraux impressionnants, de l’ordre de 30% des voix. À plusieurs reprises, et encore en février dernier, son candidat a failli emporter l’élection présidentielle. Il a cependant été nettement devancé par le Parti démocratique (DS) du président de la République Boris Tadic, lors des élections parlementaires du 11 mai dernier, avec 28% des suffrages contre 39%.

Le succès électoral du SRS ne s’explique pas que par son discours nationaliste : le parti a su capitaliser le mécontentement social et dénonce avant tout la corruption des nouvelles élites politiques serbes.

À la veille des élections du 11 mai, les sondages plaçaient le SRS en tête des intentions de vote et l’on spéculait beaucoup sur la possibilité de voir se former un gouvernement réunissant les Radicaux et les partisans de Vojislav Kostunica.

Les électeurs ont changé la donne et se sont clairement prononcés en faveur de l’option pro-européenne que représentait le DS. La grande majorité des Serbes approuvent d’ailleurs l’arrestation de Karadzic et son transfert à La Haye, même si les citoyens continuent, majoritairement, à considérer le TPI comme une juridiction « partiale et politique ». En fait, les Serbes ne font toujours pas confiance au TPI, mais ils estiment que la coopération avec la juridiction internationale est indispensable pour tourner définitivement la page des années 1990 et se concentrer désormais sur l’objectif qui mobilise la société : l’intégration européenne, perçue comme la promesse d’une vie meilleure.



Article publié le 02/08/2008 Dernière mise à jour le 03/08/2008 à 03:05 TU