par David Baché
Article publié le 11/08/2008 Dernière mise à jour le 12/08/2008 à 04:40 TU
Mikheil Saakashvili, lors de l'inauguration du terminal pétrolier de Kulevi, sur le littoral de la mer Noire en Géorgie, le 16 mai 2008.
(Photo: AFP)
La Géorgie n'a pas de pétrole, mais elle en voit passer beaucoup.
Idéalement situé, entre l'Asie centrale et l'Europe, et entre la mer Noire et la mer Caspienne, ce petit Etat caucasien a fondé le renouveau de son économie sur le transit des hydrocarbures.
Sa principale richesse : l'oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), qui permet depuis deux ans d'acheminer le pétrole azéri, extrait à Bakou et sur les champs offshore de la mer Caspienne, jusqu'en Turquie et, de là, en Europe et aux Etats-Unis. Cela en évitant soigneusement la Russie.
« La Géorgie se présente aujourd'hui comme une voie de transit alternative à la Russie ».
Interview de Florence Mardirossian, membre de l'Observatoire géopolitique des espaces nationaux et internationaux de Paris-Sorbonne.
2% du commerce mondial de pétrole
Cet oléoduc, qui convoie l'équivalent de 2% du commerce mondial de pétrole, traverse la Géorgie sur 260 kilomètres. Il ne passe pas par l'Ossétie du Sud mais par la capitale Tbilissi, à quelques centaines de kilomètres de la zone de guerre. La Géorgie a déjà accusé Moscou d'avoir tenté, sans y parvenir, de toucher l'oléoduc au cours de ses bombardements ; des accusations démenties par Moscou, mais qui, laissant peser des craintes sur l'approvisionnement mondial de pétrole, ont suffi à faire remonter les cours du brut de près d'un dollar lundi matin.
Une menace que Georges Sokoloff, conseiller en géopolitique économique au Cepii (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et spécialiste de la Russie, tient à relativiser : selon lui, il est peu probable que la Russie s'attaque à l'oléoduc.
L'oléoduc n'est pas la seule voie d'acheminement du pétrole azéri. Les barils transitent aussi par les ports géorgiens, notamment ceux de Poti, de Batoumi et de Koulevi. Au mois d'avril, la rénovation du port de Poti a d'ailleurs fait l'objet d'un accord de rénovation avec les Emirats arabes unis, devant s'accompagner à terme de la création d'une zone économique spéciale censée favoriser les investissements.
Ce port, situé sur les rives de la mer Noire, en Ossétie du sud, aurait été « complétement dévasté », selon Tbilissi, par les bombardements russes.
Conséquence immédiate : l'Azerbaïdjan a décidé de suspendre ses exportations de pétrole via les ports géorgiens. Les pays voisins de la Géorgie suivent eux-mêmes d'un œil inquiet l'évolution du conflit, qui n'est pas sans incidence pour eux. Ainsi l'Arménie a vu ses livraisons de gaz russe, qui transitent par la Géorgie, réduites de 30 %. C'est la compagnie arméno-russe ArmRosgazprom qui l'a annoncé. Côté géorgien, on explique cette situation par des « tests sur le gazoduc nécessitant une hausse de la pression du gaz ».
Outre ces conséquences directes, le conflit pourrait avoir des conséquences à plus long terme sur l'économie géorgienne. Il pourrait notamment retarder l'utilisation du BTC pour transporter le pétrole kazakh, ou encore mettre en difficulté le projet de gazoduc Nabucco, devant relier l'Iran à l'Europe centrale, via la Géorgie.
S'il est encore trop tôt pour juger de l'impact de la guerre en elle-même, les tentatives de destabilisation économique de la Géorgie par la Russie ne sont pas nouvelles. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'anti-russe Mikhaïl Saakachvili en 2003, après la révolution des Roses, Moscou ne s'est pas privé d'infliger à son ancienne alliée des sanctions économiques, notamment sous la forme d'embargos qui ont frappé, deux ans de suite, les exportations géorgiennes.
« Cela a touché essentiellement le commerce extérieur de la Géorgie, en particulier ses exportations, explique l'économiste Georges Sokoloff. Cela a aussi touché les installations commerciales géorgiennes à Moscou. Pour l'instant, poursuit-il, les Géorgiens s'en sont très bien tirés parce qu'ils ont été aidés par les Américains ».
Des « progrès énormes »
Effectivement, la Géorgie a connu ces dernières années une formidable expansion économique.
Depuis 2003, le pays connaît une croissance moyenne de 9%, qui a même atteint les 12 % l'année dernière.
En quatre ans, la Géorgie a gagné 119 places au classement de la Banque mondiale sur la facilité de création et de développement des entreprises. Le pays est enfin passé de la 180ème, en 2003, à la 79ème place, en 2007, dans le classement de l'organisation Transparency International sur la corruption des institutions.
Car, si près de 30 % du produit intérieur brut de la Géorgie est toujours assuré par l'agriculture (vignes, agrumes et thé), le pays s'est lancé depuis quelques années dans une série de réformes qui lui ont permis d'attirer des investissements directs étrangers substantiels. Simplification des procédures administratives, instauration d'un taux unique d'imposition, relance des privatisations et consolidation du secteur bancaire ont ainsi contribué à l'essor spectaculaire de l'économie géorgienne.
Des « progrès énormes » salués ce lundi par la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd), qui appelle à une résolution rapide du conflit afin de préserver le dynamisme économique du pays. L'institution, qui affirme avoir investi 150 millions de dollars dans un système bancaire géorgien jugé « efficace, bien capitalisé et robuste », se veut rassurante et affirme qu'elle va « continuer à soutenir ses banques partenaires en cette période difficile ».