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Ukraine / Russie

L'«affaire Sébastopol» fâche Kiev et Moscou

Article publié le 14/08/2008 Dernière mise à jour le 16/08/2008 à 16:33 TU

En marge du conflit ossète, l'Ukraine, frère de révolution de la Géorgie et deuxième bête noire de la diplomatie russe, s'oppose de plus en plus clairement à Moscou. Ces derniers jours, les tensions se concentrent autour du statut de la base navale russe de Sébastopol, située sur la péninsule ukrainienne de Crimée.
Manoeuvres militaires de la flotte russe lors des 225 ans de la base militaire russe de Sébastopol(Photo : C. Magnard/RFI)

Manoeuvres militaires de la flotte russe lors des 225 ans de la base militaire russe de Sébastopol
(Photo : C. Magnard/RFI)


De notre correspondant à Kiev, Camille Magnard

Sébastopol : c'est là, il y a 225 ans, que la flotte russe de la mer Noire a élu domicile. Successivement située en territoire russe, soviétique puis ukrainien, cette présence militaire russe, qu'on estime à près de 10 000 hommes, ne dérangeait jusque-là pas grand monde. Jusqu'à la « révolution orange ». Depuis 2004 et le virage pro-occidental de l'Ukraine, Sébastopol est revenue au centre de tensions entre Kiev et Moscou. Le pouvoir orange laisse entendre depuis des mois que l'Ukraine ne renouvellera pas le bail, en 2017. La flotte russe ne veut rien entendre et n'imagine pour rien au monde quitter cette position hautement stratégique qui lui ouvre les portes de la Méditerranée et de l'Atlantique.

Mais le conflit d'Ossétie du Sud est passé par là. L'Ukraine a dû choisir son camp, et pour la première fois depuis son indépendance elle s'est retrouvé dans celui des adversaires de Moscou. Les navires russes basés à Sébastopol, hébergés par l'Ukraine, ont pris part aux opérations militaires contre la Géorgie, un pays que Kiev n'a cessé de défendre ces derniers jours. Fragilisée par ces liens devenus gênants avec le « grand frère russe », l'Ukraine a répliqué, en menaçant dimanche d'empêcher les navires impliqués dans le conflit géorgien de rentrer au port. Une déclaration d'hostilités qui marquait, selon les Russes, l'arrivée d'une « troisième partie impliquée dans le conflit », l'Ukraine.

Depuis, l'on a appris que l'Ukraine n'avait pas les moyens de ses menaces. Selon les accords avec la Russie datant de la chute de l'URSS et renouvelés en 1997, Kiev n'avait jusque-là aucun droit de regard sur les allers et venues de la flotte russe dans et en dehors de son port. Une lacune que s'est empressé de réparer le président Viktor Iouchtchenko. Mardi, il prenait un décret obligeant désormais le moindre avion, le moindre navire russe basé à Sébastopol à demander 72 heures à l'avance l'autorisation des autorités ukrainiennes pour entrer ou sortir du territoire national.

Assumer les conséquences

La nouvelle disposition devrait s'appliquer au retour des navires russes qui avaient brièvement installé un blocus des côtes géorgiennes dimanche. L'état-major russe l'a fait savoir, « la flotte de la mer Noire n'obéit pas à Viktor Iouchtchenko », mais au président Medvedev. De là à imaginer une opposition en baie de Sébastopol au retour des navires de Géorgie dans quelques jours, il y a tout de même un pas. Et l'Ukraine devrait hésiter à deux fois avant de le franchir, selon Petro Gourkovsky, politologue de l'Institut national d'études stratégiques de Kiev. « L'Ukraine a fait le choix d'une politique très risquée et je ne crois pas qu'elle ait les moyens d'en assumer les conséquences », analyse-t-il. Les leaders politiques ukrainiens eux aussi en semblent conscients, à commencer par le Premier ministre Ioulia Timochenko. Grande rivale de Viktor Iouchtchenko, elle a gardé un silence assourdissant depuis le début du conflit. Sans doute est-elle plus prudente que son ancien allié orange, elle qui négociait ces derniers jours encore avec Moscou le prix que payera l'Ukraine cet hiver. Des milliers de mètres cubes de gaz qui la rendent cruellement dépendante de ses relations avec Moscou.

Main tendue

L'image de Viktor Iouchtchenko posant aux côtés de ses homologues baltes et polonais, mardi à Tbilissi, est lourde de sens : la simple présence du président ukrainien à cette visite, clairement destinée à montrer la fronde des ex-pays du bloc soviétique contre Moscou, est apparue comme un acte de rébellion fort. Mais Iouchtchenko ne doit pas oublier qu'à l'inverse de ses voisins, il ne bénéficie ni de la protection de l'Union européenne ni de celle de l'OTAN. Et les derniers événements caucasiens ne devraient pas favoriser la candidature ukrainienne à l'Organisation atlantiste, tant Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev semblent avoir clairement fait comprendre que son rejet, comme celui du dossier géorgien, n'étaient pas négociables. Une fois l'attention internationale retombée sur la région, l'Ukraine devrait se retrouver une nouvelle fois du mauvais côté du mur, condamnée, faute de main tendue par l'Ouest, à faire face seule aux foudres russes.