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1990- … Les années Déby

par Laurent Correau

Article publié le 18/08/2008 Dernière mise à jour le 18/08/2008 à 15:33 TU

Le président tchadien Idriss Déby à l'issue de sa conférence de presse le 6 février à Ndjamena.(Photo : Reuters)

Le président tchadien Idriss Déby à l'issue de sa conférence de presse le 6 février à Ndjamena.
(Photo : Reuters)

Goukouni Weddeye était prêt (c’est ce qu’il dit) à reprendre la lutte armée contre Habré mais le départ d’Idriss Déby en rébellion (ce qui a été appelé l’action du 1er avril) vient changer la donne rebelle. Adoum Togoï tente de récupérer ce nouveau groupe, en vain. Les Libyens, eux, décident de soutenir le nouveau venu qui fait tomber le régime d’Hissène Habré le 1er décembre 1990.

Une Conférence Nationale Souveraine est organisée en 1993. Goukouni Weddeye revient à N’Djamena où il envisage même un moment de s’installer. Puis il repart en exil, alarmé par le sort des Ouaddaïens et la mort d’Abbas Koty « si je venais m’installer à N’Djamena, explique-t-il, je risquais de cautionner les bavures d’Idriss Déby. »

En dépit de contacts préliminaires avec Youssouf Togoïmi, le chef du MDJT (Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad), Goukouni Weddeye affirme qu’il n’a pas participé en 1998 à la mise en place de cette nouvelle rébellion dans le Tibesti. Et s’il a envoyé sur le terrain l’un de ses collaborateurs, Choua Dazi, c’était (explique-t-il) pour éviter un dangereux éclatement des groupes de combattants sur des bases locales.

Exilé en Algérie, Goukouni Weddeye continue à suivre de près les affaires de son pays. Il travaille à la mise en place d’une table-ronde de réconciliation sur le Tchad. 

Le 1er avril 1989, Hassan Djamouss et Idriss Déby entrent en rébellion contre Habré. Vous contactent-ils, à quel moment ? Quel genre de relation nouez-vous avec « l’Action du 1er avril » de Déby et Djamouss ? Avez-vous contribué aux contacts entre Déby et Kadhafi ? Participez-vous d’une manière ou d’une autre à la création du MPS ?

Hassan Djamouss et Idriss Deby n’ont pas cherché à entrer en contact direct avec moi. Ils avaient maintenu le contact avec Adoum Togoï longtemps avant leur sortie. Ce dernier m’informait de temps en temps de leurs intentions. Il informait également les Libyens.

Après leur sortie, j’ai chargé Adoum Togoï, depuis Cotonou, de leur envoyer des munitions et du carburant avec les combattants zaghawa qui se trouvaient dans un camp sous la responsabilité de Taher Babour.

Après la sortie d’Idriss Déby et Hassan Djamouss, Adoum a commencé à se présenter devant les Libyens comme un interlocuteur incontournable de l’action du 1er avril. D’ailleurs, il considérait Iriss Déby comme un gamin prêt à tout lui brader. C’était un petit proche de lui, c’était un parent, donc il devait être prêt à lui céder la direction pour qu’Adoum devienne président. C’est ce qu’Adoum Togoï disait aux Libyens. Ce comportement nous a conduits au déchirement des FAP, voire à l’éclatement du GUNT. Adoum Togoï, pour satisfaire ses ambitions, a crée son mouvement le BRPT. Comme au début de la naissance des FACP d’Acyl Ahmat et de Mahamat Abba, les Libyens ont choisi le nouveau mouvement aux dépens du GUNT et du FROLINAT FAP. 

… Parce que Adoum Togoï s’était présenté comme un interlocuteur incontournable pour discuter avec Idriss Déby…

Voilà, exactement… C’est à cause de cela que les Libyens croyaient que le futur président du Tchad qui allait remplacer Hissène Habré serait Adoum Togoï et non Idriss Déby.

Il y a eu des échanges des lettres et même des tentatives de mise en place de commissions pour chercher des solutions et unifier l’opposition avec Idriss Déby. Il y a eu une rencontre avec lui à Tripoli lors d’un de ses passages… mais Idriss Déby, soutenu à fond par la Libye, a joué à cache-cache avec nous. Il discutait de la mise en place de commissions mais il n’était pas prêt à s’entendre avec nous, puisque la Libye avait lâché Adoum Togoï pour le prendre lui. Déby a joué le jeu de l’union avec nous… mais pas au fin fond de son coeur.

Est-ce que vous avez contribué de près ou de loin à mettre en contact la Libye et Idriss Déby ?

A dire vrai, je n’ai contribué ni de près ni de loin à la création du MPS… je n’ai pas non plus offert un autre soutien que les munitions que j’avais ordonné à Adoum d’envoyer à Idriss Déby… là aussi ils croyaient que c’était Adoum qui les avait envoyées. Pourtant c’est moi qui avais donné des directives à partir de Cotonou pour qu’on leur leur envoie ça.

Quel souvenir conservez-vous de la conférence nationale souveraine du Tchad, de votre bref retour au pays ? Pourquoi avez-vous décidé de reprendre l’exil ?

La conférence nationale souveraine a été une chance perdue pour le Tchad. Si Idriss Deby avait suivi à la lettre le cahier des charges défini pendant cette conférence, je pense que notre pays n’aurait pas connu cette situation.

J’ai été invité à prendre part à la réunion, et je n’envisageais pas au début de m’installer. Pendant les cinq mois que j’ai passés à N’Djamena, j’ai pourtant commencé à envisager sérieusement de venir m’installer une fois pour toute. La mort d’Abbas Koty et les tueries de civils innocents ouaddaïens dans la capitale tchadienne et au Ouaddaï m’ont découragé de revenir là-bas puique j’ai compris que si je venais m’installer à N’Djamena je risquais de cautionner les bavures d’Idriss Déby. C’est pour éviter cela que je me suis dit qu’il vallait mieux que le FROLINAT reste à distance.

Quelles sont vos activités depuis que vous êtes revenu en Algérie ?

Vous savez comme la Libye a aidé Idriss Déby… qu’Idriss est venu au pouvoir, les Libyens m’ont clairement dit un beau jour : « Goukouni, tais-toi. Ou tu fermes ta gueule, tu es notre hôte, tu restes avec nous, ou tu regagnes la France ou ailleurs». Moi, je me suis dit que le monde était vaste, que je ne pouvais pas me taire… puisque je suis un opposant, je suis en dehors du Tchad pour une cause, je ne voulais pas me considérer comme hôte et me taire et finalement j’ai décidé de m’installer ici, juste après la conférence.

Que faîtes-vous ici en Algérie ?

Je reste en contact permanent avec les militants de mon organisation. Malgré les difficultés, je suis l’évolution de mon pays à travers la radio, la presse, les contacts téléphoniques etc...

Est-ce que vous avez l’intention de revenir un jour à N’Djamena ?

Le Tchad, c’est mon pays. Un jour je reviendrai au Tchad, mais pas dans les conditions actuelles. Dernièrement j’étais au Gabon, j’ai même discuté avec le président Bongo et je lui ai dit que j’étais prêt à aller à N’Djamena. Mais dans les circonstances actuelles, si je pars à N’Djamena je n’apporterai rien au pays, ce sera considéré comme un simple ralliement. Donc il vaut mieux que je contribue à la réconciliation au Tchad. C’est dans cet esprit que je suis même allé à N’Djamena, j’ai pris contacts avec plusieurs opposants et nous sommes en train de lutter autour de ça. C’est vrai qu’en ce moment précis Idriss Déby souhaite ma présence à N’Djamena puisqu’il veut me classer quelque part à N’Djamena comme Malloum s’y trouve. Mais personnellement je ne peux pas accepter cela, il faut que je sois utile pour le pays en contribuant à amener la paix. Ce qui se passe au Tchad, c’est vraiment désolant, regrettable. Il faut que le Tchad dépasse le problème des armes… Que ce soit l’opposition, que ce soit le gouvernement, qu’ils mettent un terme à tout cela pour parler de la paix d’une autre manière. C’est dans cet esprit que je suis en train de chercher une solution.

Quelle a été votre réaction à la décision de la Cour Internationale de Justice sur la bande d’Aozou, annoncée en février 94 ?

Je salue hautement le verdict annoncé en février 1994 par la Cour internationale de justice en faveur de mon pays. D’ailleurs, je n’ai jamais été convaincu qu’Aozou serait définitivement annexée par la Libye. Je savais pertinemment qu’Aozou se trouvait sous l’administration libyenne par un concours de circonstance.

Quelle est l’histoire du MDJT 1 ? Est-ce que vous avez contribué d’une manière ou d’une autre à la mise en place du MDJT ? Quels ont été vos contacts avec Youssouf Togoïmi qui entre en rébellion en octobre 1998 et prend le maquis dans le Tibesti ?

A la fin de ses études de magistrat, Youssouf Togoïmi a rejoint son pays sans même oser rendre visite à son père à Sebha, qui vivait avec l’opposition tchadienne. Il a pris parti en faveur de la légalité de l’Etat tchadien. Il a été nommé juge à Abéché par Hissène Habré. Il s’est montré devant les citoyens comme un juge intègre et légaliste. Dans le gouvernement d’Idriss Déby, il était en bonne position. Il a été Ministre de l’intérieur ou Ministre de la Défense. Il a quitté de lui-même le gouvernement car, semble-t-il, son amour-propre a été blessé. Il n’a pas accepté les humiliations d’Idriss Deby.

Un beau jour, j’ai appris qu’il était au Tibesti pour organiser la lutte armée contre le pouvoir. Ses premiers contacts avec moi ont été encourageants, mais au fil du temps des personnes malveillantes l’ont détourné.

Je n’ai pas contribué à la création du MDJT ni eu des contacts lors des préparatifs pour sa création. C’est vrai, avant son arrivée sur le terrain, certains combattants du Tibesti étaient en contact avec moi et m’ont encouragé à ouvrir un front au Tibesti mais je n’étais pas très chaud pour me lancer dans un hasard pareil.

Il y a eu des premiers contacts mais vous n’avez pas contribué à la création du MDJT ?

Non, pas du tout.

Jusqu’à quel point le MDJT est-il l’héritier du FROLINAT et des FAP ? Les combattants sont-ils les mêmes ?

On ne peut pas faire la différence entre les combattants sur le terrain. Si un combattant n’est pas du FROLINAT FAP, il sera forcement le fils ou le neveu d’un combattant du FROLINAT… ce qui fait qu’il y a un mélange, qu’on n’arrive pas à les différencier. 

Est-ce que la Libye (ou d’autres pays) ont aidé le MDJT des premières années ?

Au départ, selon ce que nous avons compris, la Libye ménageait le mouvement mais ne voulait pas l’aider.

Je vous pose la question : l’existence d’un mouvement au Tibesti n’arrange-t-elle pas la Libye pour avoir en face d’elle un Idriss Déby faible… facilement maniable ?

Donc vous pensez que la Libye a laissé faire parce que ça lui permettait de garder un levier de pression sur Idriss Déby ?

Voilà, c’est ce que j’ai compris. Le Tibesti c’est le voisin immédiat de la Libye, la Libye aurait pu réconcilier les opposants au Tibesti avec Idriss Déby en un clin d’œil mais aujourd’hui, cela fait 8 ans que le MDJT existe. Pourquoi ? Parce que si Idriss est fort, comme il est très têtu je crois qu’il ne va pas obéir à certains ordres de Kadhafi… donc pour les Libyens il faut qu’il soit faible. Quand ton voisin est faible, tu peux l’utiliser comme tu veux.

Vous n’avez pas joué de rôle dans la mise en place du MDJT, c’est ce que vous venez de nous dire, pourtant vous envoyez un moment donné un émissaire, Choua Dazi, pour aller rencontrer le MDJT.. Quelle est sa mission ?

Vous savez très bien que lorsque Choua Dazi est parti au Tibesti, le MDJT vivait une situation difficile, celui qui était à la tête du mouvement était comme un robot. Il n’avait aucune autorité sur les combattants. Le MDJT a commencé à s’effriter. Les combattants se regroupaient par zone, par village. Certains sont même partis se rallier au gouvernement. D’où j’ai envoyé Choua pour aller trouver celui qui était à la tête du mouvement et en accord avec lui, soit changer la méthode de travail pour réunifier toutes les forces afin de mener la lutte ou, au lieu de laisser le mouvement s’effriter comme ça et que certains partent prendre contact à N’Djamena individuellement, il fallait qu’il trouve un compromis avec N’Djamena. C’est dans cet esprit que Choua est parti là-bas.

Bon, Choua arrivé là-bas a constaté réellement que la zone échappait au contrôle de celui qui était sur place, alors lui-même il a eu des ambitions pour assurer la responsabilité et s’imposer… j’ai contribué pour que Choua arrive à la tête du mouvement mais une fois que Choua a pris la tête du mouvement, il nous a oublié.

Pour quelle raison avez-vous envoyé Choua Dazi sur le terrain ? Est-ce que vous souhaitiez prendre le contrôle du MDJT ?

Non pas du tout, comme je vous ai dit, c’était pour éviter que les choses s’effritent de cette manière… puisque moi-même je suis originaire du Tibesti, je ne voulais pas que nos parents puissent étaler leurs faiblesses comme ça.

Est-ce que vous envisagez, Goukouni Weddeye, de redevenir un chef militaire ?

Je n’ai nullement l’intention d’être chef militaire. Le moment où il faut armer des hommes, organiser des hommes, unifier des mouvements pour organiser la lutte révolutionnaire est révolu. Je pense que le temps d’organiser ou d’unifier des organisations militaires pour diriger une opposition est révolu. C’est pourquoi, personnellement, je milite en faveur d’une autre solution. Celle de sortir notre pays de cette nébuleuse situation par le dialogue, par la réconciliation nationale.

1                 MDJT : Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad. Groupe rebelle du Tibesti créé en 1998 par Youssouf Togoïmi. Après la mort de Togoïmi en 2002, le MDJT perd progressivement son unité : une aile, dirigée par Hassan Mardégué, négocie un ralliement avec N’Djamena. Une autre dirigée par Choua Dazi maintient la lutte. Mais elle se divise elle-même par la suite en au moins trois groupes.

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