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1980-82 De la présence libyenne à la chute du GUNT

par Laurent Correau

Article publié le 18/08/2008 Dernière mise à jour le 18/08/2008 à 15:34 TU

Goukouni Weddeye, président du Tchad, à N’Djamena, en 1980.(Photo : Marie-Laure de Decker, www.marielaurededecker.com )

Goukouni Weddeye, président du Tchad, à N’Djamena, en 1980.
(Photo : Marie-Laure de Decker, www.marielaurededecker.com )

Goukouni Weddeye a réussi à chasser le frère ennemi, Hissène Habré, de N'Djamena. Mais il doit sa victoire aux Libyens. Muhammar Kadhafi, en retour, lui propose l’unification des deux pays au sein d’une seule Jamahirya. Le communiqué conjoint publié à l’issue de la visite de Goukouni Weddeye en Libye provoque un tel tollé que les deux chefs d’Etat doivent revenir en arrière. La présence libyenne, pourtant, se poursuit au Tchad jusque 82. Force d’occupation ? Ligne de défense fournie par un pays ami ? Goukouni Weddeye ne nie pas qu’il « se soit passé des choses » pendant ces deux années, et avoue même que les agissements libyens pendant cette période le laissent perplexe. Mais, selon lui, on a exagéré l’empreinte que les militaires libyens ont essayé d’imprimer sur le Tchad jusqu’à 82.

Arrive, comme à chaque fois depuis le début des relations avec Tripoli, le point de rupture. Un haut responsable Libyen, le commandant Djalloud vient à N’Djamena fin octobre 81 et propose à des membres du GUNT de renverser Goukouni Weddeye. La tentative est déjouée, mais elle oblige le président tchadien à demander le départ des troupes libyennes et l’aide de François Mitterrand. Selon Goukouni Weddeye, le retrait Libyen, le comportement de la force africaine déployée eu Tchad et des trahisons dans les rangs du GUNT ouvrent la voie aux FAN d’Hissène Habré. Habré reprend N’Djamena le 7 juin 1982.

Trois semaines après la victoire sur les FAN… début janvier 81… Vous êtes à Tripoli et à l’issue de cette visite est publié un communiqué qui prend tout le monde par surprise : la Libye et le Tchad annoncent qu’elles ont décidé de s’unir totalement « dans une seule Jamahiriya ». C’est un communiqué qui a donné lieu a beaucoup de spéculation… On a dit que vous l’aviez signé parce que votre vie avait été menacée… ou que les Libyens vous auraient rapidement soumis ce communiqué juste avant votre départ de l’aéroport de Tripoli. Certains disent encore que ce communiqué ferait suite à un accord secret que vous auriez signé avec les Libyens fin 80, et qui aurait été la condition de l’intervention libyenne contre les FAN… Qu’en est-il réellement, comment s’est déroulée cette visite à Tripoli et qu’est-ce qui vous a poussé à signer ce communiqué ?

La signature de ce communiqué ne cache ni un marché en contrepartie de l’engagement militaire libyen, ni des menaces de la part des Libyens. J’ai signé le communiqué pour la simple raison que la Libye nous avait beaucoup soutenu dans notre combat contre les FAN et que nous voulions répondre aux vœux ardents du Guide d’une part, et d’autre part, montrer à l’opinion nationale et internationale que nous étions unis et solidaires face à nos ennemis. Certes, le moment n’était pas approprié pour signer un tel communiqué… dans les circonstances où nous nous trouvions… Hélas ! Nous avons donné raison à nos détracteurs, c’est-à-dire à nos ennemis [Il rit]. Ils ont pris cet argument, ce raisonnement pour nous combattre. 

Quelles sont les réactions à cet accord ? Avez-vous le souvenir d’appels téléphoniques de certains diplomates particulièrement étonnés par cet accord d’union du 6 janvier ? Quel souvenir gardez-vous des protestations que cette union a provoquées au sein du GUNT ? Quel souvenir gardez-vous des réactions de l’homme de la rue, au Tchad ?

Ce fut un tollé à travers le monde, notamment dans les pays modérés d’Afrique subsaharienne. Ils trouvèrent un prétexte pour soutenir Hissène Habré en exerçant davantage de pressions sur la France. Tous les pays modérés de l’Afrique au sud du Sahara se sont entendus pour faire pression sur la France… Ils se sont tous entendus pour appuyer Hissène Habré. La France était donc obligée d’accepter ce que ceux-là lui proposaient. C’est la raison pour laquelle, pour faire taire toutes ces agitations, nous avons été obligés, la Libye et nous, de nous entendre pour opérer une marche arrière.

Quelle a été l’attitude des Libyens pendant les mois où ils ont été déployés au Tchad : se sont-ils comportés comme une force d’occupation, voire de « colonisation » comme l’ont dit certains ? On parle d’endroits où ils auraient fait peindre les bâtiments officiels en vert, où ils auraient fait retirer les livres français des bibliothèques, ou interdit l’usage du français ? Des « comités populaires » ont-ils été créés au Tchad pendant cette période ?

Ce sont nos détracteurs qui ont raconté tout ça contre la Libye. Ils voulaient le départ des Libyens pour plaire à Hissène Habré. Sinon, la présence des troupes libyennes a généré sur le marché la circulation d’une masse monétaire dont tout le pays parle encore aujourd’hui. C’est vrai, les comités révolutionnaires se sont mal comportés au Tchad. Il y a eu -c’est vrai- quelques exagérations. Il s’est passé des choses mais pas au point de ce qu’en disent nos ennemis.

Vous pensez que les gens exagèrent ce qui s’est passé au Tchad pendant l’occupation libyenne ? Est-ce que l’on peut d’ailleurs parler d’une « occupation libyenne » à ce moment-là ?

Loin de là. Je ne sais pas ce que les Libyens eux-même en pensent mais nous, nous avions le sentiment que nous étions chez nous, que les Libyens étaient venus sur notre demande… Le jour où nous avons demandé leur départ, ils sont partis. Donc ils n’étaient pas là pour une occupation.

Vous-même, vous ne perceviez pas cette présence libyenne comme une occupation ?

Il s’est passé des choses, comme je l’ai dit, surtout dans l’est du Tchad. Dans la région du Ouaddaï géographique, à Abéché, nous avons perdu des militants. L’Imam Adoum Barka, le préfet d’Abéché, a été tué avec ses collaborateurs parce qu’il était partisan des FAP. Brahim Youssouf, mon deuxième vice-président, a été tué avec Mahmoud Abderrahman Haggar parce qu’il n’acceptait pas que certaines choses se fassent au niveau local à Abéché. Tout cela je le sais, mais de là à dramatiser… si l’on voit sur le plan militaire ce que les Libyens ont fait pour le Tchad, on ne doit pas dramatiser à un tel niveau.

Est-ce que vous même vous parleriez d’une force d’occupation au sujet de cette présence libyenne ?

Mmmm… Je n’ai aucune idée la-dessus… mais les agissements libyens me laissent… perplexe en quelque sorte.

Est-il vrai que début septembre 81, à l’occasion d’une visite à Tripoli, le colonel Kadhafi vous fait une nouvelle proposition de fusion entre les deux pays (Il vous aurait notamment lancé : « Mon frère, tu es désormais le dernier obstacle à une fusion que les peuples de nos pays réclament »)… et qu’à la mi-octobre, également, à Sebha, il vous aurait renouvelé l’offre de manière pressante : la fusion doit se faire, et « sans délai »…

Je ne sais pas quelle est la date précise, mais à une date donnée, j’ai été invité à venir en Libye et notamment à Sebha, où lors d’une discussion Kadhafi a récidivé par rapport à l’union entre nos deux forces. A cette occasion, j’ai refusé d’accepter de signer cette union. Lors de notre sortie pour l’inauguration d’un supermarché, la population libyenne est sortie en lançant des slogans « Unité entre le Tchad etc, etc… » mais nous n’avons pas pu satisfaire aux vœux du peuple libyen. Le fait que Kadhafi dise : « vous êtes le dernier obstacle », personnellement, je ne l’ai pas entendu.

Le 17 septembre 1981, vous êtes reçu par François Mitterrand à Paris. De quoi vous souvenez-vous de cette visite officielle et quel a été le contenu de vos discussions avec le chef de l’Etat français ? Qu’espérez-vous obtenir de Paris et qu’obtenez-vous finalement ?

Nous avions besoin d’un soutien politique et diplomatique de la France. Nous souhaitions que la France ouvre son Ambassade à N’Djamena. Nous avons également demandé au Président Mitterrand d’intervenir auprès des Américains pour adoucir leur position à l’égard du GUNT. Il a accepté d’ouvrir l’Ambassade et de nous aider également sur le plan matériel. Mais pour ce qui concerne les Américains, le président Mitterrand nous a clairement dit qu’il ne pouvait pas intervenir. Il a refusé. Mais lors de notre discussion, il n’a pas demandé en contrepartie, par exemple, le départ des forces libyennes. Sur ce sujet, il n’a même pas dit un seul mot. J’étais accompagné par Acyl Ahmad et Mahamat Abba Seid. Après la décision du  GUNT demandant le retrait des forces libyennes du Tchad, suite aux menées subversives du commandant Djalloud 1, les Libyens ont cru que nous avions voulu faire plaisir aux Français et que c’est sous la contrainte des Français que nous les avions chassés. Mais ce n’est pas vrai.

Est-ce que cette visite que vouz effectuez en France correspond à un moment où les relations avec la Libye sont en train de se dégrader ?

Vous savez qu’à cette époque, nous sommes en quelque sorte isolés de partout. Tous les pays voisins sont hostiles au GUNT. Seule la Libye est avec nous. La Libye elle-même, sa position était très ambiguë. Même le Nigéria qui nous était favorable commençait vraiment à prendre des distances. C’est pour cette raison que nous avons cherché une solution pour nous ouvrir vers la France. J’ai effectué une mission au Gabon, auprès du président gabonais qui a organisé une rencontre entre moi et le conseiller de Mitterand, nous avons discuté et à la suite de cela, je suis allé pour la première fois en France, pour chercher une bouffée d’oxygène.

Sur le coup, la France, semble-t-il, vous refuse une aide militaire… mais finit par accepter de vous livrer des armes légères et des munitions pour éviter que la Libye ne puisse engager contre vous une « action intempestive »… On en revient donc à une situation de méfiance assez aiguë avec Tripoli… Quelles sont vos craintes précises ?

A mon avis, mon refus catégorique d’accepter la fusion avec la Libye lors de ma visite à Sebha est l’une des causes de la discorde entre moi et le Guide de la révolution. Il cherche, d’une part, à me contraindre d’accepter la fusion qui lui ouvre toutes les voies pour garder le Tchad sous son emprise et, d’autre part, à m’empêcher de me rendre au sommet France Afrique de Paris prévu pour le 3 novembre 1981. 

Il n’est pas fortuit qu’une visite de Djalloud ait été programmée à la veille du sommet France Afrique. A mon avis, cette visite devait permettre aux autorités libyennes de sonder une dernière fois mon attitude en faveur d’un changement qui répondrait à leurs préoccupations. Comme notre position n’avait pas changé, il a mis en pratique son plan de déstabilisation du Tchad. C’est du moins la conviction que j’ai acquise.

Le commandant Djalloud vient pour une visite de travail, pour discuter avec nous en tant que représentant du colonnel Kadhafi, puisqu’il est vice-président. La veille de l’arrivée à N’Djamena du commandant Djalloud, le commandement militaire libyen a déployé, dans la nuit du 25 au 26 octobre 1981, ses chars blindés face à la présidence… créant ainsi un effroi général dans la ville…

Les éléments de la sécurité présidentielle sont mis en état d’alerte maximum pour faire face à ces chars libyens. Nous ne savons pas pourquoi ils font face à la présidence. Pendant son séjour, le commandant Djalloud tient une réunion à laquelle prennent part Acyl Ahmat, Rakhis Manani et Mahamat Abba Seid, avec d’autres cadres. Il leur demande de faire un coup d’état pour renverser le régime « réactionnaire » du GUNT, il leur remet même une somme assez importante. Tous ceux qui étaient présents ont accepté de jouer ce rôle mais à leur sortie, Acyl se désiste de la participation au coup d’Etat pour des raisons qui lui sont propres : lors des discussions avec Djalloud, Mahamat Abba se présente devant lui comme le responsable du groupe. Et si un coup d’Etat se réalise, Mahamat Abba va prendre le pouvoir. Je crois que c’est pour cette raison qu’Acyl a refusé.

Donc, j’ai été obligé d’envoyer discrètement le Secrétaire Général de la Présidence, M. Gali N’Gothé, à Paris pour informer les autorités françaises des préparatifs de coup d’Etat et solliciter en même temps des munitions pour les Kalachnikovs. Le Président français étant à Cancun, mon émissaire a été reçu par des hauts fonctionnaires du quai d’Orsay qui ont aussitôt saisi le Président Mitterrand. Vu l’urgence de la situation en ébullition à N’Djamena, le Président Mitterrand a demandé depuis Cancun à l’OUA d’accélérer le processus de constitution d’une force panafricaine… pour l’envoyer au Tchad afin de préserver l’indépendance du pays face aux prétentions étrangères. Ce fut le discours du Président Mitterand.

La mise en garde du Président français ne pouvait être plus claire , elle a beaucoup contribué à l’apaisement de la situation à N’Djamena. Le coup d’Etat qui se préparait à coup de dollars par notre propre allié était ainsi étouffé. Nous avons aussi réceptionné et introduit discrètement une importante quantité des munitions Kalachnikov stockées au Cameroun par la France. Suite à la tournure prise par les évènements, j’ai décidé de tenir un conseil des ministres pour prendre la décision du retrait pur et simple des forces libyennes du Tchad.

C’est cette tentative de coup d’état qui vous a poussé à demander le retrait des forces libyennes ?

Oui, puisque nous avons vu venir le danger de loin. Nous savions que les FAN, qui combattaient à l’est du pays, allaient nous gêner si les forces libyennes partaient, mais nous n’avions pas pensé qu’elles allaient prendre le pouvoir. Le danger imminent était encore plus grave car les Libyens se coalisaient avec les CDR, la 1ère armée pour nous chasser du pouvoir. Ce danger était visible, donc nous avons dit : « il faut qu’on chasse les Libyens du Tchad, si on chasse les Libyens du Tchad, les CDR n’auront pas la force de prendre le pouvoir », c’est ainsi qu’on a chassé les Libyens. Pas pour autre chose.

Diriez-vous qu’à l’époque vous avez essayé de jouer en même temps les deux cartes de la France et de la Libye ? Quelle était votre stratégie politique ?

Vous savez, la Libye était l’allié du FROLINAT depuis plus de deux décennies. Elle avait aidé notre mouvement à combattre le régime en place. La France, elle, avait été de tout temps l’ennemi du FROLINAT. Elle avait soutenu à bout de bras les régimes au pouvoir pour nous combattre.

Cette fois-ci, le régime politique change en France. Le pouvoir est tombé entre les mains des socialistes. Le président Mitterand qui détient le pouvoir est celui-là même qui avait défendu la cause du FROLINAT à plusieurs occasions lorsqu’il était député dans l’opposition. A la radio RFI, nous entendions toujours sa voix : « le député de la Nièvre s’est opposé au départ des troupes françaises au Tchad » et « il est contre le combat au Tchad », donc nous nous considérions très proches du président François Mitterand. Lorqu’il est venu au pouvoir en France, nous avons cru que la France allait changer d’optique, de politique, mais à la fin on a compris que la position politique de la France ne changeait pas avec les personnes.

Est-ce que vous diriez qu’à un moment vous avez essayé de tenter le rapprochement avec la France pour essayer de compenser la dégradation des relations avec la Libye ?

Oui, parce que quand la Libye nous est devenue hostile, nous avons cherché à nous rapprocher de la France pour essayer d’équilibrer les choses, pour assurer notre sécurité etc… mais finalement, je crois que tous les hommes politiques sont semblables, ils sont blancs-bonnets et bonnets-blancs. Les Libyens, nous les avons chassés, la France a laissé venir Hissène Habré pour nous chasser du Tchad… et lorsque la Libye nous a aidés à reprendre le pouvoir usurpé par les FAN la France de Mitterrand est est intervenue pour défendre Hissène Habré. Pourquoi ? C’est la question que je me pose jusqu’à présent.

Quelles ont été vos relations avec Ahmat Acyl pendant cette période de présence libyenne ? Pensez-vous qu’Acyl ait eu à un moment donné l’ambition de vous remplacer ? Pensez-vous que les Libyens ont envisagé qu’il vous remplace ?

Mes relations avec Acyl ont été fraternelles pendant la période de présence libyenne puisqu’il était mon ministre des affaires étrangères. Il était franc, sincère. Nous discutions, nous causions comme des amis. Mais comme tout homme politique, il devait avoir ses propres ambitions et ses calculs. Je l’aimais beaucoup à cause de sa franchise. Mais je crois que les Libyens l’ont beaucoup influencé pour agir. A la dernière minute, à notre sortie de N’Djamena, je crois que les Libyens ont compris que Acyl se rapprochait davantage des Américains, ce qui fait que, lui aussi, il a payé le prix.

Vous pensez que c’est à cause de son rapprochement avec les Américains que Ahmat Acyl a fini par disparaître ?

Ce ne sont pas les Libyens qui l’ont tué, c’était un accident pur et simple… mais les Libyens l’ont carrément lâché avant sa mort. Après notre sortie de N’Djamena, il est parti directement en France. De France, il est venu en Libye. Il a tenté de rencontrer Kadhafi, Djalloud… mais personne ne l’a reçu. Les Libyens l’ont lâché. Comme il était parti mécontent de Libye au Nigéria, du Nigéria il a pris contact avec les Américains puisqu’il avait déjà des contacts… et par l’intermédiaire de Bongo, il cherchait une solution négociable avec Hissène. Lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, il avait des contacts secrets avec Hissène Habré. Donc, tout cela les Libyens l’ont su et ils l’ont mis en disgrâce.

Comment expliquez-vous que les Libyens acceptent cette demande de retrait ? L’acceptent-ils sans tenter de la contrecarrer ?

Les Libyens étaient obligés d’accepter notre demande de retrait. S’ils avaient refusé, ils auraient eu à dos toute l’opinion internationale, particulièrement l’OUA qui s’apprêtait à envoyer des forces neutres. Au début, on voulait planifier leur retrait avec échelonnement, mais Kadhafi a décidé le retrait de ses forces en une semaine. C’était pour précipiter la chute du GUNT et prouver à l’opinion internationale que sa présence au Tchad était salutaire pour la stabilité du pays.

Le 10 mars 1981, Hissène Habré chef des Forces Armés du Nord, assiste à une prise d’armes au poste de commandement de Ouadi Barrid dans le Biltine, à l’est du Tchad.(Photo : AFP )

Le 10 mars 1981, Hissène Habré chef des Forces Armés du Nord, assiste à une prise d’armes au poste de commandement de Ouadi Barrid dans le Biltine, à l’est du Tchad.
(Photo : AFP )

Comment analysez-vous la chute du GUNT en 82 et la victoire des FAN ?

Le GUNT disposait à cette époque d’une potentialité humaine et matérielle importante pour résister, voire même assurer la sécurité du pays. Mais à mon avis trois facteurs ont joué pour sa défaite :

Premièrement la FIA, la Force Inter Africaine envoyée pour notre sécurité a joué un rôle capital pour notre départ… puisque ce sont des forces qui étaient féodalisées aux Etats Unis d’Amérique, elles ont rempli la mission que voulaient les Etats-Unis d’aider Hissène Habré.

Deuxièmement la traîtrise au sein des composantes du GUNT, puisque les composantes du GUNT ne s’entendaient pas entre elles… d’où je disais que Acyl était déjà en contact avec Hissène Habré : ils ont certainement conclu un accord après GUNT, alors qu’il était membre de la coalition… donc il y a eu des traîtrises en notre sein.

Troisièmement, le retrait précipité des troupes libyennes. Nous, nous avions envisagé le retrait des troupes libyennes progressivement, mais les Libyens nous ont mis devant un fait accompli en se retirant précipitamment. Immédiatement après Hissène a attaqué la base d’Abéché où les Libyens avaient laissé une importante quantité d’armes et de munitions, essence,etc... tout cet arsenal, toute cette logistique, avaient été laissés au CDR, mais les FAN immédiatement après sont venus accaparer ce matériel et nous ont combattus avec ce même matériel.

Quel souvenir gardez-vous de cette journée de du 7 juin 82 où les FAN de Habré reviennent dans N’Djamena et où vous devez prendre l’exil ? Pouvez-vous nous faire le récit de cette journée telle que vous l’avez vécue ?

La situation est alors très incertaine. Les FAN s’emparent de Salal, Moussoro et Massakory -nos bases arrières- et progressent vers N’Djamena. Les bases se rallient sans combat aux forces FAN qui avancent. Avec l’occupation par les FAN des localités jusqu’ici tenues par les FAP, Acyl Ahmat ordonne le repli de ses troupes d’Ati pour les déployer entre Bokoro, Bousso et Massenya. C’est certainement une entente entre Hissène et Acyl car ses forces n’interviennent pas pour combattre les FAN. Nous avons par la suite trouvé une lettre dans le sac de Acheikh Ibn Oumar, une des lettres qu’Hissène avait adressé à Acyl. Pendant leur repli d’Ati, les forces d’Acyl qui se plaignaient de manque d’armement lors des combats d’Oum-Hadjer étalent une quantité impressionnante d’armes lourdes de tous calibres. Par ailleurs, les Forces d’Intervention Africaines, complices des FAN, accueillent à bras ouverts les forces armées du nord à Ati, à Moussoro et celles de N’Djamena sont prêtes à en faire autant.

Face à cette nouvelle situation, j’ai été obligé de constituer trois groupes pour freiner l’avancée des FAN à Massaguet. Les trois dispositifs de sécurité ont été mis en place sur les points névralgiques autour de Massaguet. Aux premiers tirs, deux des trois positions cèdent sans tirer un coup de feu… laissant seuls les éléments de la sécurité présidentielle qui avaient résisté pendant deux heures de temps. Des cadres politiques des FAP ont joué un rôle nuisible pour décourager, démobiliser les combattants. Le 4 juin au soir vers 16h, je suis sorti discrètement pour voir les emplacements de nos combattants… pour savoir si nous avions des forces capables de résister à N’Djamena même. A ma grande déception, j’ai constaté que rien de sérieux ne s’y trouvait, à part quelques éléments au niveau de l’aéroport qui tenaient des positions. Alors j’ai compris que si je cherchais à organiser une résistance dans la ville, ce serait défendre une cause déjà perdue.

La nuit du 6 au 7 juin, j’ai réuni les responsables politiques et militaires des FAP pour évaluer nos forces et prendre la décision finale. Deux propositions ont alors été avancées : celle de se replier au Lac Tchad ou de se rendre au sud du pays.

Après de longues discussions, l’un de nos cadres s’oppose à la sortie de N’Djamena mais je pense que celui qui insiste pour que nous résistions dans la capitale cache d’autres intentions. Je l’accuse d’être à la base de la démobilisation de nos combattants même à Massaguet, mais je n’ai pas de preuve palpable. Il insiste pour qu’on résiste dans la capitale. Tout le monde a rejeté son argumentation et opté pour le départ vers le Sud A ce moment là, nous n’avions pas l’intention d’abandonner le pouvoir. Nous envisagions d’aller au Sud, s’organiser au nom du GUNT pour chasser Habré.

Après la réunion, je sors pour faire un tour en passant par l’aéroport pour aller jusqu’à pont Chagoua. Je vois une longue chaîne de véhicules qui voulaient traverser, mais qui étaient bloqués par les éléments FAT… Les FAT ne voulaient pas que les Nordistes aillent transposer les combats dans leur région du Sud. Discrètement, sans rien dire, je suis passé chez Acyl. Acyl, au moins, est honnête. Il m’a dit : « Goukouni, moi je te dis la vérité, je ne participe pas à une quelconque résistance ». Il m’a dit que dès le lendemain, il allait partir pour aller voir ses combattants et ensuite il irait au Nigéria. Pour lui c’était terminé.

Sans rien lui dire je suis retourné à la maison. Arrivé à la maison, j’ai ordonné aux éléments de ma sécurité d’évacuer la famille vers le sud, mais moi advienne que pourra… ça ne me faisait rien de rester pour mourir… J’étais dégoûté en quelque sorte, à cause du comportement des mes collaborateurs, de mes propres compagnons. C’était fini pour moi, désormais les choses étaient claires.

J’ai passé la nuit là. Le matin vers 7h, 8h, je ne sais plus exactement à quelle heure, nous avons pris la direction du sud. Les FAN étaient déjà arrivées. Elles nous ont barré le chemin. Certains de nos éléments sont déjà allés vers le pont, ils ont traversé. Nous on était stoppés par les tirs des FAN, nous avons donc fait marche arrière pour revenir à la présidence. Ensuite, nous avons continué vers Farcha pour prendre le bac et traverser du côté de Kousseri. Mais en arrivant à Farcha les forces nigérianes nous ont empêchés d’utiliser le bac [Il rit]. Pour ne pas nous quereller avec eux, on a été obligés de continuer encore plus loin pour traverser.

 

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