Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France / Guyane

Complicité d'orpaillage clandestin

Article publié le 23/08/2008 Dernière mise à jour le 24/08/2008 à 16:05 TU

Joseph Chanel, 58 ans, maire de la commune amérindienne de Camopi a été reconnu coupable de complicité d'orpaillage clandestin vendredi à Cayenne et condamné à 10 mois de prison avec sursis. Il a déclaré avoir utilisé un moteur offert par Nicolas Sarkozy pour ses transports illicites de denrées en pirogue. Le moteur a été confisqué par la justice. Le Parquet qui avait requis un an de prison dont 6 mois avec sursis a fait appel.

Le 11 février, Joseph Chanel avait demandé à Nicolas Sarkozy «&nbsp;<em>d'amplifier la lutte contre l'orpaillage clandestin&nbsp;»</em>, aujourd'hui il est condamné pour complicité d'exploitations aurifères illicites.(Photo : F. Farine/RFI)

Le 11 février, Joseph Chanel avait demandé à Nicolas Sarkozy « d'amplifier la lutte contre l'orpaillage clandestin », aujourd'hui il est condamné pour complicité d'exploitations aurifères illicites.
(Photo : F. Farine/RFI)

De notre correspondant à Cayenne, Frédéric Farine

Des ennuis judiciaires, Joseph Chanel, maire amérindien de Camopi de 1992 à mars dernier aurait pu en avoir depuis plusieurs années. Son mandat électoral lui aura longtemps conféré une indéniable impunité. La longue absence d'Etat de droit dans cette région du sud-est guyanais à la frontière du Brésil, sans voie terrestre vers Cayenne, a d'ailleurs fait office de circonstance atténuante, hier encore, pour l'ex-élu émerillon, condamné en comparution immédiate, à 10 mois de prison avec sursis et 2 000 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Cayenne qui l'a reconnu coupable de « complicité d'exploitation aurifère illégale » et de « contrebande de marchandises »  en provenance du Brésil.

En 2003, sur une radio locale, le commandant de la gendarmerie de l'époque, le colonel Jean-Philippe Danède, avait reconnu qu'aucune opération contre l'orpaillage illégal n'avait eu lieu dans la région de Camopi entre 1996 à 2003. Et ce, malgré les appels de détresse de la municipalité dénonçant la présence de plus en plus massive d'orpailleurs illégaux et la poussée de villages clandestins, rive brésilienne, en face et en aval de Camopi, servant de bases arrières aux sites aurifères illicites de Guyane.

Il prévient les autorités qu'il pratique l'orpaillage clandestin

Le 11 février&nbsp;2008, à Camopi, Nicolas Sarkozy et ses ministres applaudissaient Joseph Chanel pour sa pensée amérindienne sur l'argent qui «&nbsp;<em>n'est pas comestible&nbsp;».</em>(Photo : F. Farine/RFI)

Le 11 février 2008, à Camopi, Nicolas Sarkozy et ses ministres applaudissaient Joseph Chanel pour sa pensée amérindienne sur l'argent qui « n'est pas comestible ».
(Photo : F. Farine/RFI)

En 2005, Joseph Chanel s'était permis d'écrire aux gendarmes et à la préfecture de Guyane pour leur signifier qu'il s'était, lui même, lancé, dans l'orpaillage clandestin, au motif que l'Etat ne luttait pas contre cette activité. Dans cette lettre, il demandait, en tant que maire, de ne pas être poursuivi pour ses activités illégales. Il ne l'avait jamais été. Fin 2006, Joseph Chanel affirmera, dans l'hebdomadaire La Semaine Guyanaise s'être lancé quelques mois dans l'orpaillage clandestin « pour faire un peu chier l'Etat » avant d'arrêter « parce que ce n'était pas assez rentable à la pelle et à la pioche sans machines ». Une version qu'il a répétée hier à son procès.

Parallèlement, le maire de Camopi, désigné vice-président du Parc amazonien de Guyane en 2007, demandait constamment à l'Etat français d'intensifier sa lutte contre cette activité illicite, notamment lors de la visite de Nicolas Sarkozy à Camopi, le 11 février dernier. Ces « 10 derniers mois au moins », selon la représentante du ministère public, hier au procès, Joseph Chanel, s'était « reconverti » dans le transport de marchandises en pirogue à destination des sites aurifères clandestins de la région de Camopi.

Un transport, en partie effectué grâce au moteur Yamaha offert par Nicolas Sarkozy à l'occasion de sa visite à Camopi en février dernier, selon ce qu'a déclaré Joseph Chanel durant sa garde à vue et à l'audience. Le 11 février dernier, Nicolas Sarkozy était venu à Camopi, annoncer le lancement de l'opération "Harpie", un dispositif exceptionnel de lutte contre l'orpaillage clandestin grâce à des renforts de 406 soldats et 143 gendarmes. Un dispositif qui a vécu : tous les renforts sont repartis fin juin et aucune nouvelle opération de cette envergure n'est encore décidée au plus haut niveau de l'Etat.

Villa Brasil, village de la rive brésilienne, en face de Camopi, là où l'ex-maire condamné a indiqué qu'il récupérait les denrées pour les sites clandestins de Guyane.(Photo : F. Farine/RFI)

Villa Brasil, village de la rive brésilienne, en face de Camopi, là où l'ex-maire condamné a indiqué qu'il récupérait les denrées pour les sites clandestins de Guyane.
(Photo : F. Farine/RFI)

Un trafic qui aurait rapporté 2 kilos d'or en 10 mois

Dans ses déclarations aux enquêteurs, Joseph Chanel a affirmé, qu'au cours de l'opération Harpie, ces derniers mois, il pouvait, en dépit d'un barrage filtrant sur la rivière Camopi, passer en pirogue avec sa marchandise sans être inquiété. D'ailleurs, le 5 août dernier, ce ne sont pas des gendarmes mais "des jeunes Amérindiens" de Camopi qui l'ont "interpellé" avec, dans sa pirogue, 5 sacs de denrées destinés à des sites clandestins. Ces cinq sacs "saisis" par ces jeunes Amérindiens ont ensuite été emmenés à la gendarmerie de Camopi. Convoqué par cette brigade, le 18 août, le maire, mis en garde à vue, a reconnu « des transports de marchandises, ces 10 derniers mois, chaque semaine contre un paiement en or sur les sites aurifères » a expliqué hier le président du tribunal Stéphane Rémy. De l'or qui était ensuite écoulé à Cayenne, chez des hôteliers, a encore indiqué M. Chanel aux enquêteurs.

A l'audience, le prévenu est largement revenu sur ses déclarations, indiquant que ses activités illicites dont l'orpaillage clandestin et le transport de denrées « avaient duré 10 mois en 2004 » et que son « faux-pas » du 5 août n'était qu'un acte isolé « dû à son absence de revenus depuis sa défaite aux municipales en mars ». Dans cette commune isolée, sans offre d'emplois, « la quasi-totalité des habitants vivent du RMI, de chasse et de pêche et d'agriculture » a rappelé son avocate Muriel Prévot ajoutant « à 58 ans, monsieur Chanel ne va pas y retrouver un emploi, il a encore 4 enfants à charge. Il a agi par nécessité ».

Plus sévère, la représentante du ministère publique a considéré que monsieur Chanel « méprise la loi française » en s'exonérant « de demander des autorisations d'exploiter l'or » et que ce trafic de transports de denrées sur 10 mois lui aurait rapporté, selon les propres déclarations de l'intéressé « environ 2 kilos d'or » vendus 14 euros le gramme à Cayenne où il se rendait « via des liaisons aériennes payées par la municipalité ». Elle avait requis un an ferme assorti de six mois avec sursis. Le tribunal l'a modérément suivie en condamnant Joseph Chanel à 10 mois avec sursis et en le libérant de sa mise sous écrou décidée mercredi. Le 11 février, Joseph Chanel avait conclu son discours au Président Nicolas Sarkozy par cette pensée amérindienne : « ce n'est que lorsqu'il aura fait tomber le dernier arbre, consommé la dernière ressource, pêché le dernier poisson, que l'homme prendra conscience que l'argent n'est pas comestible ».