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Philippines

La paix en danger dans le sud de l'archipel

par Sébastien Farcis

Article publié le 25/09/2008 Dernière mise à jour le 25/09/2008 à 07:34 TU

Les combats continuent sur l’île de Mindanao, au sud-ouest des Philippines. Depuis plus d’un mois, l’armée est partie à la chasse de deux commandants de la guérilla musulmane du MILF, accusés d’avoir tué des civils lors d’attaques de villages. Les chefs de la guérilla essaient de tempérer, et de revenir à la table des négociations. Entre les deux fronts, des centaines de milliers de civils continuent à être déplacés. Cliquez ici pour voir également le diaporama-photo de ce reportage.

Le village de Datu Piang s’est transformé en véritable centre d’évacuation. Sa place centrale, habituellement réservée aux meetings politiques ou aux concerts, a pris les couleurs des tentes et des tissus tirés par les réfugiés. Ceux-ci ont emporté tout ce qu’ils ont pu quand ils ont fui les combats entre le Front de Libération Islamique et Moro (MILF), et l’armée philippine. 

L'un des camps de déplacés de Datu Piang, à l'ouest de Mindanao, au centre de la zone de conflits. Les habitants des campagnes se sont installés sur la place même du village depuis plusieurs semaines. (Photo : Alastair McIndoe)

L'un des camps de déplacés de Datu Piang, à l'ouest de Mindanao, au centre de la zone de conflits. Les habitants des campagnes se sont installés sur la place même du village depuis plusieurs semaines.
(Photo : Alastair McIndoe)

Nadi Adjar, une femme de 45 ans, coiffée d’un foulard noir, vit sur cette place depuis plus de dix jours, avec ses quatre enfants. « Nous avons été réveillés par des tirs de bazookas, qui venaient de trois directions différentes, raconte Nadi Adjar. C’est quand un éclat d’obus a blessé un de nos enfants que nous avons décidé de partir ». Avec elle, plus de 600 personnes de tous les âges ont pris la route, et ont marché pendant douze heures avant de trouver refuge. Aujourd’hui, ils ont trop peur pour rentrer. 

Des dizaines de milliers de personnes sont arrivées depuis plus de deux semaines dans ce village central de la province. En tout, plus de six villages se sont vidés sur 14 camps similaires de Datu Piang, accueillant jusqu’à 30 000 personnes. Les camps manquent d’installations sanitaires, pour l’évacuation mais aussi pour fournir de l’eau potable en quantité suffisante. Ces déplacements tombent de plus en pleine période de ramadan, pour ces musulmans « moro », qui se retrouvent donc affaiblis par le jeûne rituel. 

La situation devient alarmante estime Dominik Stillhart, directeur adjoint des opérations de la Croix-Rouge internationale, venu sur place redoubler les efforts de l’organisation. « C’est la plus grave crise humanitaire depuis 2003. Les combats ont affecté plus d’un demi-million de personnes ».

Des villageois catholiques ont formé une milice pour défendre leurs villages des attaques du MILF. Ces «Ilagas» acceptent d'intégrer des villageois musulmans également victimes de ces attaques. (Photo : Alastair McIndoe)

Des villageois catholiques ont formé une milice pour défendre leurs villages des attaques du MILF. Ces «Ilagas» acceptent d'intégrer des villageois musulmans également victimes de ces attaques.
(Photo : Alastair McIndoe)

La fuite de ces civils s’est accélérée depuis que l’armée philippine est partie à la chasse de deux groupes du MILF, accusés d’avoir lancé des attaques à la mi-août sur cinq provinces de l’ouest de l’île de Mindanao, causant la mort de 46 civils, selon l’armée. Les deux commandants, surnommés Ombra Kato et Macapaar Bravo, ont pris les armes après le refus, à la dernière minute, du gouvernement de signer un accord d’autonomie avec le MILF.

C’est dans ce paysage de rizières et de marais autour de Datu Piang, que les troupes de ces deux commandants, évaluées à environ 1 500 soldats, se cacheraient. Sur la route, des maisons totalement brûlées témoignent de la violence du combat. Une rançon de 150 000 euros par tête est offerte à présent par le gouvernement pour toute information qui mènerait à leur capture.

Risque de conflit généralisé

Le gouvernement vient d’ajouter ces jours-ci le nom d’un troisième membre sur la liste des  « criminels » du MILF. La présidente Gloria Arroyo veut à présent qu’ils soient reconnus comme « terroristes » par l’ONU, ce qui peut déboucher sur des sanctions internationales.

Les belligérants actuels sont pourtant tenus par un cessez-le-feu, signé en 2003, et qui a offert une réelle accalmie sur l’ouest de Mindanao. Une équipe internationale d’observation du cessez-le-feu, menée par la Malaisie, sert de médiateur en cas d’accrochage, et évite qu’il ne se transforme en conflit généralisé. L’année dernière, cette équipe n’a ainsi relevé que 12 affrontements entre l’armée et le MILF, contre 700 en 2003. Mais face au piétinement du processus de paix, la Malaisie a décidé de retirer ses troupes avant la fin de l’année.

Dans le camp central du MILF, situé à quelques kilomètres de la grande ville de Cotabato, le chef de cette guérilla trentenaire veut croire qu’il est toujours possible de revenir à la table des négociations. « Cela fait quatre ans que nous discutons des détails de cet accord, les deux côtés ont apposé leurs initiales. Pour nous il est valide », explique Ibrahim Hadj Murad, un homme de 60 ans, au discours modéré, et formé à l’ingénierie dans une université catholique de Cotabato. Ce protocole délimitait les frontières d’une région fédérale où les musulmans du sud philippin auraient eu la gestion de leur politique économique et des ressources naturelles, entre autres. Mais certains élus locaux catholiques l’ont contesté juste avant sa ratification, et le gouvernement a fait marche arrière, provoquant la frustration dans les rangs du MILF.

Tout le problème est là. Le gouvernement n’a pas tenu sa parole, et le MILF semble fortement divisé. Ibrahim Murad le reconnaît à demi-mots : « nos deux commandants ont lancé des attaques spontanées, que la direction n’a pas ordonnées. Mais maintenant, nous avons repris le contrôle », assure le chef de la guérilla. Ces éléments radicaux ont cependant gravement violé le cessez-le-feu, et sont poursuivis pour de nombreux crimes. L’armée dit qu’elle ne rangera pas les armes avant de les avoir trouvés. Il faudra longtemps avant que la situation permette de reprendre sereinement les négociations.

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