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Irak-Etats-Unis

Une reconversion militaire limitée et aléatoire

par Monique Mas

Article publié le 01/10/2008 Dernière mise à jour le 02/10/2008 à 09:55 TU

Une opération de l'armée américaine appuyée par des membres des brigades sunnites du Réveil (Sahwa).(Photo : Reuters)

Une opération de l'armée américaine appuyée par des membres des brigades sunnites du Réveil (Sahwa).
(Photo : Reuters)

L’administration Bush finissante n’a pas encore finalisé avec Bagdad l’accord sur le statut des forces américaines en Irak (SOFA) après l'expiration le 31 décembre 2008 du mandat onusien de la coalition. Par ailleurs, tout en se réclamant de succès sécuritaires et politiques en Irak, Washington s’oriente vers un renforcement de la pression militaire en Afghanistan sans pour autant se résoudre à fixer un calendrier au retrait de ses troupes d’Irak. En attendant, l’armée américaine a commencé ce 1er octobre à transférer ses supplétifs sunnites sous la houlette chiite du Premier ministre Nouri al-Maliki. Une marque d’encouragement au gouvernement irakien, mais une opération incertaine pour les insurgés sunnites de 2003 dont seulement 20 000 devraient intégrer les forces irakiennes sur les quelque 100 000 miliciens jusque-là ralliés à la bannière étoilée moyennant finances et soutien logistique.

L’administration Bush n’a eu de cesse de souligner l'amélioration relative de la sécurité en Irak depuis 2007comme un succès majeur du général David Petraeus, hier commandant de la coalition en Irak et désormais chef du commandement central pour le Moyen-Orient (Irak toujours) et l’Asie centrale (Afghanistan notamment) : une victoire emportée grâce au retournement d’une majorité d’ insurgés sunnites de 2003, « un coup terrible, sinon mortel porté aux ennemis des Etats-Unis », selon le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates.

Embellie sécuritaire et réconciliation politique

Robert Gates promet au général Petraeus que « l'Histoire [le] considérera comme un des grands capitaines de la nation [américaine]sur les champs de bataille ». Pour autant, au moment où l’armée américaine confie au gouvernement al-Maliki le soin d’intégrer les miliciens sunnites qui lui ont permis de réduire l’emprise des partisans d’al-Qaïda en Irak, chacun sait que seule une réconciliation politique en Irak serait vraiment en mesure de consolider l’embellie sécuritaire.

Ce 1er octobre, ce sont les 54 000 miliciens sunnites enrôlés par les Américains dans la province de Bagdad qui ont été placés sous l’autorité du gouvernement irakien, soit à peu près la moitié des 100 000 supplétifs entretenus par Washington dans les différentes régions sunnites où opèrent des partisans d’al-Qaïda. En effet, souvent d’origine étrangère, ces combattants venus faire valoir l’idéologie ben Laden en Irak ont alimenté un terrorisme qui a fini par faire l’unanimité contre eux. Et cela en particulier parce qu’ils sont entrés en concurrence avec les chefs des tribus sunnites sur le terrain de l’autorité locale.

Si comme le soulignait encore récemment le Premier ministre irakien al-Maliki lui-même, le premier administrateur américain de l’Irak occupé, Paul Bremer, a commis une erreur « qui se paie encore » en prononçant la dissolution de l’armée irakienne en mai 2003, en excluant des administrations civiles et militaires irakiennes les membres du parti Baas de Saddam Hussein en juin suivant et plus largement en jouant la carte chiite contre l’ancien régime sunnite, le général Petraeus au contraire a su ramener dans l’orbite américaine un certain nombre de chef sunnites, à commencer par ceux de la province occidentale d’Al-Anbar.

Résistance et contre-insurrection

A partir de septembre 2006, le général Petraeus est en effet parvenu à organiser une part non négligeable de l’ancienne « résistance » sunnite à l’occupation américaine en « brigades du Réveil », les Sahwa. Et cela moyennant une stratégie très largement inspirée des techniques de contre-insurrection française expérimentées en particulier en Algérie et décrite dans son livre de chevet, « Contre-insurrection, théorie et pratique » de David Galula.

Financées à raison de quelque 300 dollars par homme, environ 15 millions de dollars chaque mois, mais également équipées et entraînées par l’armée américaine, ces brigades Sahwa ont effectivement contribué au réveil sécuritaire irakien contre les thuriféraires d’al-Qaïda en Irak. Ces derniers se seraient en partie repliés dans des terres plus propices à infiltration, en Afghanistan, sinon au Liban où ils auraient également subi de récents revers. Pour leur part, en fins connaisseurs de leurs terroirs, les miliciens du Réveil décrivent un Irak gangrené par des cellules dormantes prêtes à reprendre l’assaut au moindre signe de faiblesse de leur part.

De fait, le gouvernement al-Maliki, n’a ni les moyens, ni la volonté de pourvoir à l’entretien de la totalité des miliciens Sahwa à la place des Américains. Il a d’ores et déjà précisé que 20% seulement de ces combattants sunnites pourraient recevoir rapidement une offre d’embauche ferme dans les forces de sécurité. Les autres devront se contenter de vagues promesses d’accès à des emplois publics et privés de toute façon réduits à la portion congrue dans l’Irak instable d’aujourd’hui. La plupart n’ont franchement pas envie de prendre le risque d’une confrontation à mains nues avec leurs anciens adversaires. Ils ont du reste aussi goûté aux charmes du pouvoir, si local ou provisoire soit-il, que peut conférer la possession d’une arme.

Beaucoup d'appelés mais peu d'engagés

Selon le calendrier américain, les prochains mois devraient voir les miliciens des autres régions sunnites du pays passer progressivement sous l’autorité du gouvernement al-Maliki, après ceux de la région capitale. Pour les autorités irakiennes, ce serait un « important succès pour la réconciliation nationale », après l’adoption par le Parlement début 2008 de la loi récusant l’épuration visant le Baas imposée en 2003 par Paul Bremer, après également le vote parlementaire de juillet dernier en faveur du retour au gouvernement des six ministres du Front de la concorde nationale, le principal parti sunnite. Reste qu'en ce qui le concerne, le transfert des miliciens Sahwa sous le contrôle gouvernemental menace de s'avérer comme purement formel, ne serait-ce que parce qu'il concernera tout au plus 20 000 combattants, et cela dans un futur indéterminé, soit très peu d'engagements pour beaucoup d'appelés.

A la fin du mois, l’heure de la solde sera un premier test. Le conseiller à la sécurité nationale du gouvernement irakien, Mowaffak al-Rubaï, assure que les combattants Sahwa déployés dans la capitale « recevront leur premier salaire du gouvernement irakien le 31 octobre » prochain. D’après lui, « tous les volontaires Sahwa seront traités équitablement » par le gouvernement qui « s'est engagé à assurer leur futur économique ». Cela reste à mesurer mais on sait déjà que l’intégration concernera une part très modeste de la première vague des 54 000 miliciens de la province de Bagdad, entre 1 500 et 2 000 hommes seulement selon la chercheuse Alexandra De Hoop Scheffer. Et le degré d’intégration des combattants sunnites des milices Sahwa sera lui aussi un indicateur des progrès politico-sécuritaires dont l’Irak peut se prévaloir auprès de Washington, pour recouvrer sa pleine souveraineté et prétendre à un départ rapide des troupes américaines.

A écouter

Lieutenant-colonel Philippe de Montenon

Officier de l’armée française, traducteur de l’ouvrage « Contre-insurrection. Théorie et pratique » de David Galula

On observe généralement qu'une contre-insurrection est menée à 80% d'action politique et à 20% d'action militaire. C'est vrai. Mais ça ne correspond pas à un curseur qu'on essaie de positionner dès le départ.

23/08/2008

Alexandra de Hoop Scheffer

Chercheuse au CERI

« Sur les 54 000 hommes membres du Conseil du "Réveil sunnite" dans la province de Bagdad, 1 200 à 1 500 ont été recrutés dans la police nationale irakienne selon le commandement américain. »

01/10/2008