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Bosnie

Les nationalistes assoient leur suprématie

Article publié le 06/10/2008 Dernière mise à jour le 06/10/2008 à 14:23 TU

Résultats des élections municipales : faible participation des Bosniens et domination des partis nationalistes.(Photo : Reuters)

Résultats des élections municipales : faible participation des Bosniens et domination des partis nationalistes.
(Photo : Reuters)

Les électeurs bosniens, convoqués dimanche à des élections municipales ont largement boudé les urnes. Conséquence de cette faible participation, les différents partis nationalistes ont encore conforté leur prédominance politique. Plus élevée dans les campagnes, la participation ne dépasse pas 40% dans les grandes villes. La campagne électorale s’est déroulée dans un climat particulièrement tendu à Sarajevo.

De notre correspondant dans les Balkans, Jean-Arnault Dérens

Le soir du 24 septembre, le premier festival gay de la ville a été violemment attaqué par des extrémistes musulmans et a dû être annulé. Il est vrai que le festival avait été organisé à la fin du mois de ramadan, ce que les autorités islamiques ont considéré comme une « provocation ». Dès l’ouverture du festival, quelques dizaines de militants « wahhabites », arborant barbes et djellabas, se sont rassemblés devant l’Académie des Beaux-Arts de Sarajevo, où avait lieu l’inauguration. Ils ont vite été rejoints par des centaines de très jeunes gens, arborant une tenue beaucoup plus « laïque », jeans et baskets. Les participants et les visiteurs ont été insultés et physiquement attaqués, sous les yeux de policiers pratiquement inactifs.

« Nous avons été poursuivis jusque dans les taxis dans lesquels nous essayions de fuir », expliquent certains visiteurs, qui parlent d’une véritable « nuit de cristal ». Huit personnes au moins ont été sérieusement blessées. Certains partis politiques ont, timidement, condamné ces violences, mais le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH), la formation du membre bosniaque de la présidence collégiale, Haris Silajdzic, a préféré s’en prendre aux organisateurs du festival…

Quelques jours plus tard, lundi 29 septembre, d’autres violences ont éclaté en ville, où des altercations entre supporteurs de clubs de football rivaux ont dégénéré en bataille rangée.

Les habitants de Sarajevo perçoivent ces événements comme une atteinte à la tradition de tolérance de leur ville. Il faut dire que la population de Sarajevo a connu d’intenses bouleversements. Si la ville compte aujourd’hui quelque 500 000 habitants, autant qu’avant la guerre, ce ne sont plus les mêmes : les 150 000 Serbes de Sarajevo ne seraient plus qu’une vingtaine de milliers, la population croate a aussi connu une réduction drastique, et la population bosniaque a été profondément renouvelée. Des nouveaux venus, chassés des campagnes ou des villes désormais contrôlées par les Serbes ou les Croates ont remplacé les « vieux » Sarajéviens, dont beaucoup se sont exilés à l’étranger durant la guerre ou après celle-ci.

« Sarajevo est devenue une ville musulmane »

Bien évidemment, ces « nouveaux » habitants, même s’ils sont installés à Sarajevo depuis une quinzaine d’années, ne possèdent pas la tradition urbaine de convivialité de la ville. Les journaux d’orientation « citoyenne », comme l’hebdomadaire Dani, rapportent des cas de plus en plus fréquents de bagarres entre voisins ou de tabassages d’enfants serbes à l’école. « Les agresseurs nationalistes serbes et croates ont finalement gagné », écrit ainsi Vildana Selimbegovic, la rédactrice en chef de Dani : « Sarajevo est devenue une ville musulmane ».

Ces phénomènes d’intolérance sont bien sûr aggravés par l’interminable crise sociale et le chômage qui toucherait près de 50% de la population active, notamment les jeunes. Ce sont les jeunes désœuvrés des quartiers périphériques, comme Ilidza ou Alipasino Polje, que l’on trouve au premier rang des épisodes de violence. Conséquence de ces violences urbaines, encore inconnues à Sarajevo, Iggy Pop a annulé son concert prévu pour le premier soir de l’Aïd el-Fitr, ou bajram, comme les musulmans des Balkans appellent la fin du ramadan. La star du rock a évoqué le « climat de violences » à Sarajevo, même si une autre explication serait que les ventes de billets n’auraient guère marché.

Quoi qu’il en soit, les « vieux » Sarajéviens commentent avec amertume ces événements. Pourtant, beaucoup de citoyens n’ont même pas été voté dimanche, tant ils sont las des querelles et des promesses non tenues des partis politiques. À Sarajevo, la participation n’a pas dépassé 40% des inscrits. Le parti musulman SDA a conforté sa domination, même si les sociaux-démocrates (SDP) conservent leurs positions dans quelques mairies d’arrondissement. Le nouveau parti citoyen Nasa stranka, lancé il y a quelques mois par le réalisateur Danis Tanovic, l’auteur du fameux film No man’s land, ne réalise pas la percée escomptée. Ce parti, résolument anti-nationaliste, entendait représenter dans les urnes la tradition urbaine de tolérance, mais il n’obtient qu’un succès d’estime, avec 12% dans l’arrondissement de Sarajevo-centre.

Presque partout en Bosnie, à l’exception de la grande ville de Tuzla, toujours solidement ancrée à gauche, les partis nationalistes bosniaques musulmans, serbes et croates, continueront donc de contrôler sans partage le jeu politique.