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Maldives

Une présidentielle en forme de test démocratique

par  MFI

Article publié le 07/10/2008 Dernière mise à jour le 07/10/2008 à 17:31 TU

Maumoon Abdul Gayoom, au pouvoir depuis 1978 est candidat à sa réelection.(Photo : Reuters)

Maumoon Abdul Gayoom, au pouvoir depuis 1978 est candidat à sa réelection.
(Photo : Reuters)

L’archipel des Maldives n’est pas qu’un eden ensoleillé aux eaux d’un bleu turquoise pour touristes fortunés. C’est aussi un pays d’Asie du Sud dirigé d’une main de fer depuis 1978 par Maumoon Abdul Gayoom. L’économie est prospère, mais les inégalités sociales et l’absence de libertés politiques créent de terribles frustrations. Ces dernières années cependant, le régime se démocratise prudemment. Le multipartisme est désormais autorisé et des journaux indépendants voient le jour. L’élection présidentielle – qui se tient ce 8 octobre 2008 – constitue un nouveau test de la volonté des dirigeants de libéraliser l’archipel.

Un seul peuple (les 300 000 Maldiviens de souche), une seule religion (l’islam sunnite) et une seule langue (le divehi) : tel est le triptyque sur lequel repose l’identité nationale des Maldives. Mais ce paradis tropical – synonyme d’eau turquoise, de plages de sable fin, de soleil et de fonds marins aux innombrables poissons multicolores – est aussi dirigé d’une main de fer par l’inamovible Maumoon Abdul Gayoom. Au pouvoir depuis 1978, l’homme est le plus ancien dirigeant en Asie (à l’exception du roi de Thaïlande et de l’empereur du Japon, mais eux ne gouvernent pas). Agé de 71 ans, trapu, cheveux poivre et sel, fines lunettes et élégance soignée, l’intéressé a longtemps vécu au Caire (de 1950 à 1969) où il a côtoyé les Frères musulmans, avant d’être professeur d’études islamiques au Nigeria. De retour à Malé, la capitale, il louvoiera un temps entre la haute administration et une prudente opposition politique, avant de s’imposer en 1978 à la tête du pays et ne plus lâcher les rênes du pouvoir.

Maumoon Abdul Gayoom est à la fois le chef de l’Etat, le chef du gouvernement et le commandant suprême des Armées. C’est également lui qui nomme les magistrats (le système judiciaire repose principalement sur la charia) et les chefs des îles chargés de faire respecter la loi. Des chefs influents dans cet archipel de 298 000 km² situé au sud-ouest de l’Inde, divisé en 19 atolls, où seules 200 îles sur 1 190 sont habitées. Sans surprise, Maumoon Abdul Gayoom a placé ses proches à la tête des grandes entreprises, des ministères et des médias. « Au XXIe siècle, Maumoon Abdul Gayoom se comporte tel un sultan en son domaine. C’est le chef absolu qui régente tout, dans tous les domaines. L’autoritarisme et le népotisme sont la règle aux Maldives », dénonce Aminath Najeeb, la rédactrice en chef du principal journal d’opposition Minivan News. « Pour les touristes, les Maldives sont un paradis. Pour les opposants politiques, c’est un enfer », ajoute Mohamad Latheef, l’un des dirigeants du Parti démocratique maldivien.

Un pouvoir sans partage

Comme dans tout régime autoritaire, une police musclée, des services de renseignement omniprésents et des médias aux ordres sont les outils favoris des dirigeants. Lors des grandes manifestations pour la démocratie en 2003 et 2004, la répression a été brutale : des centaines de manifestants ont été arrêtés et tabassés, les meneurs inculpés de terrorisme et de tentative de sédition contre l’Etat.

La loi est un autre instrument efficace : le Majlis, le Parlement, n’a que des pouvoirs limités, se rapprochant plus d’une chambre d’enregistrement que d’un lieu de débat. Jusqu’en juin 2005, le multipartisme était interdit. La première formation d’opposition, le Parti démocratique maldivien, a été créée par des dissidents en exil au Sri-Lanka. A ce niveau cependant, les choses évoluent favorablement.

Maumoon Abdul Gayoom profite aussi de la forte dispersion des 300 000 habitants, installés sur des îles qui ne sont pas toujours proches les unes des autres. Malé – 82 000 habitants – est la seule ville densément peuplée. De même, les contacts sont rares entre la population locale et les touristes étrangers, ces derniers séjournant sur des îles-hôtels qui leur sont exclusivement réservées. L’isolement est le même au plan international : aucun pays ne fait pression sur les Maldives, encore moins ses plus proches voisins que sont l’Inde et le Sri-Lanka. Dans cet archipel qui fut tour à tour dominé par des émirs musulmans, des navigateurs portugais, puis devint une colonie sri-lankaise, un protectorat britannique avant de gagner son indépendance en 1965, la population est souvent conservatrice, ce qui facilite la tâche des autorités.

Belle santé économique

Le chef de l’Etat maldivien profite du succès de sa politique économique. Le revenu national par habitant est de 2 350 dollars, ce qui est élevé en Asie du Sud, l’inflation est maîtrisée, le chômage inférieur à 2 %. L’économie repose essentiellement sur le tourisme haut de gamme qui fournit 40 % des revenus de l’Etat et 35 000 emplois. La pêche et les industries associées sont l’autre pôle d’activité. Le tsunami du 26 décembre 2004 a représenté un coup très dur pour l’économie maldivienne. Le nombre de victimes a été peu élevé (82 morts), mais les dégâts colossaux dans un archipel situé en moyenne un mètre au-dessus du niveau de la mer. En 2005, le tourisme a diminué de moitié et le taux de croissance a été négatif (-3,6 %). La reconstruction a coûté 375 millions de dollars (plus de la moitié du PIB), dont 260 millions pris en charge par l’aide internationale. Depuis, les affaires ont repris. De nouvelles îles-hôtels ont vu le jour, 35 autres sont en construction, l’aéroport de Malé a été agrandi. En 2007, 700 000 touristes ont visité le pays, et le taux de croissance a flirté avec les 8 %.

S’il représente la poule aux œufs d’or, le tourisme n’empêche pas la persistance de fortes inégalités sociales qui créent de terribles frustrations. Rien ne dit non plus qu’il soit éternel. L’archipel des Maldives est en effet l’un des plus menacés par le réchauffement climatique et la montée des eaux. A en croire une enquête du quotidien britannique The Independent, l’islam depuis toujours modéré tend à se radicaliser. On croise de plus en plus de femmes intégralement voilées et les madrassas (les écoles coraniques) recrutent un nombre croissant d’élèves. L’Arabie Saoudite et la Libye financeraient des mosquées et des imams qui vont de village en village pour convaincre les gens d’adopter un islam plus strict. Comme le souligne Sarah Mahir, la responsable d’une association de défense des droits humains, citée par The Independent : « L’existence de luxueux villages de vacances permet facilement à ces imams de dénoncer un Occident décadent, puisque les vacanciers disposent de chambres immenses, mangent ce qu’ils veulent, dansent toute la nuit et se font masser tandis que les familles maldiviennes vivent dans de minuscules maisons et se contentent, pour tout repas, de poisson et de riz. Même pendant le ramadan, les touristes mangent et boivent. Ils n’ont pas conscience d’être dans un pays avec des habitants, une culture, mais se croient dans un gigantesque club de vacances. »

Maumoon Abdul Gayoom a pris prétexte de cette islamisation rampante pour renforcer la répression. Le terrorisme – qui pourrait ruiner l’économie – est sa phobie. En septembre 2007, un attentat à la bombe à Malé a blessé douze touristes. Trois militants islamistes ont été condamnés à quinze ans de prison. Le 8 janvier dernier, le chef de l’Etat a lui-même échappé à une tentative d’assassinat. « Dans plusieurs pays musulmans, le fondamentalisme a prospéré sur le terreau des inégalités économiques et de la répression politique. Les Maldives pourraient ne pas échapper à cette menace », regrette la journaliste Aminath Najeeb.

Un espoir de démocratisation ?

Après les manifestations pour la démocratie de 2003 et 2004, où des milliers de personnes scandaient dans les rues de Malé « Maumoon isthiufaa » (Maumoon démission), le chef de l’Etat a initié de prudentes réformes. De même, le choc provoqué par le tsunami du 26 décembre 2004 a obligé les autorités à libérer la plupart des prisonniers politiques pour reconstruire l’unité nationale. Le multipartisme est désormais autorisé. Le Parti démocratique maldivien reste la formation la plus structurée, mais on trouve à ses côtés le Parti populaire maldivien, le Parti démocratique islamique, le Parti Adhaalath et le Parti républicain. Ces formations manquent encore de moyens et ont du mal à faire entendre leur voix dans une société sur laquelle l’emprise du chef de l’Etat reste forte, mais elles ont le mérite d’exister. « Nos meetings attirent un nombre croissant de personnes. Je crois vraiment en la possibilité d’instaurer une démocratie digne de ce nom aux Maldives dans les prochaines années », déclarait au quotidien sri-lankais The Sunday Observer Mohamad Latheef, l’un des responsables du Parti démocratique maldivien. Cette dernière formation a remporté les deux sièges de député de Malé lors des élections législatives de 2005. « Si nous avions pu faire campagne librement, nous aurions probablement remporté une trentaine de sièges au total, contre les dix que nous détenons aujourd’hui. Mais c’est une première étape », soupire Mohamad Latheef. La victoire est certes plus symbolique que politique, le Majlis ne disposant guère de pouvoir. En août 2007, Maumoon Abdul Gayoom a remporté, avec 62 % des suffrages, un référendum sur la nature du système politique (présidentiel ou parlementaire) ; un scrutin considéré par les observateurs comme le plus libre qu’ait connu le pays.

Côté médias, une timide libéralisation est en cours. Certes, les principaux journaux restent aux mains de proches du chef de l’Etat. Mais des titres indépendants émergent. « Internet est très précieux à ce niveau. Il nous permet d’atteindre un lectorat éloigné et de fédérer les mécontentements d’une population dispersée », souligne Aminath Najeeb, la rédactrice en chef du journal d’opposition Minivan News. Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières note « une certaine libéralisation de la presse à travers la création de titres privés et indépendants. Mais la répression se poursuit à l’encontre des journalistes ». De son côté, l’ONG indienne Asian Center for Human Rights dénonce « des arrestations arbitraires, l’usage de la torture par la police, des mauvais traitements contre les opposants », mais reconnaît que « le régime semble accepter les prémices d’une démocratisation ».

A en croire Mohamed Ishan Saeed, un architecte maldivien interviewé par The Independent : « Le pouvoir est confronté à un dilemme : comment continuer à remplir ses caisses avec les dollars des touristes occidentaux tout en respectant les besoins spirituels et matériels des habitants ? Il comprend les exigences d’un meilleur niveau de vie et d’une plus grande liberté exprimées par la population, mais il ne veut perdre le contrôle de rien. Maumoon Abdul Gayoom ne sait pas comment répondre aux changements des besoins, des mœurs, de l’époque. C’est la preuve que les tyrans finissent toujours par perdre pied. »

Une présidentielle qui changera les choses ?

Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et le pouvoir prendra les moyens d’assurer la victoire du chef de l’Etat. Déjà, l’opposition dénonce des risques de fraudes. Mais de telles fraudes sont-elles nécessaires ? Ce n’est pas certain. Maumoon Abdul Gayoom a, face à lui, sept adversaires ; les voix de l’opposition vont donc se diviser. En outre, l’homme du succès économique et de la stabilité politique des Maldives conserve une certaine popularité. A contrario, les dirigeants de l’opposition sont souvent peu connus.

Elément positif : cette première élection présidentielle multipartite est certainement le scrutin le plus démocratique aux Maldives. Huit candidats représentant des programmes divers vont s’affronter (certes pas avec les mêmes moyens), et pour la première fois un débat télévisé a été organisé. Même le Parti démocratique maldivien le reconnaît, par la voix d’un de ses députés, Hassan Hussein Rasheed, interviewé par l’agence Reuters : « Cette élection devrait être relativement libre et honnête. En tant que chef d’Etat, Maumoon Abdul Gayoom a un avantage d’entrée, d’autant que les chefs des îles vont inciter la population à voter pour lui. La démocratie progresse néanmoins. »

L’opposition espère surtout qu’il s’agit là du dernier mandat de Maumoon Abdul Gayoom. Dans cinq ans, l’homme aura en effet 76 ans, dont 35 passés à la tête du pays. Dans des Maldives synonymes, pour les touristes, de soleil, de calme et de volupté, les Maldiviens espèrent, eux, une transition démocratique en douceur.

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