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Mauritanie

La rue tente un bras de fer avec les militaires

Article publié le 08/10/2008 Dernière mise à jour le 08/10/2008 à 00:58 TU

Alors que l'Union africaine et les Européens restent fermes vis-à-vis de la junte militaire au pouvoir depuis le 6 août, le front intérieur cherche toujours à donner de la voix. Malgré les interdictions, les partisans du président renversé ont tenté de défiler à deux reprises cette semaine pour demander le retour de la démocratie. A chaque fois, ils ont été dispersés par la police. Et le ton semble se durcir.

 De notre correspondante à Nouakchott, Manon Rivière

Ces deux jeunes mauritaniennes tiennent dans leurs mains le portrait du président Abdallahi, renversé le 6 août dernier. Elles ont tenté de participer au rassemblement organisé dimanche 5 octobre par le Front anti-putsch, aux abords de l'hôpital national. Non autorisée, la manifestation a été dispersée par la police.(Photo : Manon Rivière/RFI)

Ces deux jeunes mauritaniennes tiennent dans leurs mains le portrait du président Abdallahi, renversé le 6 août dernier. Elles ont tenté de participer au rassemblement organisé dimanche 5 octobre par le Front anti-putsch, aux abords de l'hôpital national. Non autorisée, la manifestation a été dispersée par la police.
(Photo : Manon Rivière/RFI)


Nouvelle épreuve de force ce mardi entre le front anti-putsch et les forces de l’ordre, en Mauritanie. Malgré l’interdiction du gouverneur de Nouakchott, six centrales syndicales avaient appelé leurs militants à manifester pour dénoncer la situation politique que vit le pays depuis le coup d’Etat du 6 août dernier. « Notre objectif premier était de marcher dans le cadre de la Journée mondiale du travail décent, explique Samory ould Beye, le secrétaire général de la CLTM, la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie. Mais nous ne pouvions pas faire abstraction du contexte politique national ». La centrale syndicale dénonce aussi la décision des autorités d’interdire toute manifestation jusqu’à nouvel ordre. « Il s’agit d’une confiscation des libertés fondamentales et d’un bâillonnement de la démocratie », indique encore Ould Beye.

Lors d’un entretien accordé à RFI fin septembre, le Premier ministre désigné par la junte avait été clair : « Les Mauritaniens manifestent depuis deux mois, ils doivent maintenant retourner travailler dans le calme », avait déclaré Moulaye ould Mohamed Laghdaf. Ajoutant ainsi que son gouvernement avait décidé d’interdire tous types de rassemblements, qu’ils soient favorables ou opposés au coup d’Etat. Pour Messaould ould Boulkheir, le président de l’Assemblée nationale, il est regrettable que la junte ait décidé d’interdire les marches pacifiques. « On entre dans une période sombre, lâche-t-il dépité. C’est le retour des méthodes militaires que l’on croyait avoir oublié avec le départ de Maaouiya ould Taya [renversé par un coup d’Etat en 2005, ndr] ». Du côté du palais présidentiel, on avance d’autres arguments pour légitimer ces restrictions.  « Si les manifestations sont interdites, c’est parce que nous craignons des attentats, confie une proche collaboratrice du général Aziz. La menace n’a jamais été aussi forte et nous voulons éviter que les cortèges ne constituent des cibles ».

Echauffourées autour du « marché capitale »

Ce mardi 7 octobre, des sympathisants du président renversé avaient décidé de se retrouver à proximité du marché central de Nouakchott. La police a dispersé les manifestants en tirant des grenades lacrymogènes et en utilisant les matraques contre les badauds. Lesquels on parfois riposté en lançant à leur tour des pierres.(Photo : Manon Rivière/RFI)

Ce mardi 7 octobre, des sympathisants du président renversé avaient décidé de se retrouver à proximité du marché central de Nouakchott. La police a dispersé les manifestants en tirant des grenades lacrymogènes et en utilisant les matraques contre les badauds. Lesquels on parfois riposté en lançant à leur tour des pierres.
(Photo : Manon Rivière/RFI)


C’est au sud du marché central, plus précisément au rond point de la Polyclinique, que les premiers heurts entre la police et les badauds sont intervenus. Sentant les choses dégénérer, les commerçants de ce quartier populaire avaient tous baissé le rideau de fer de leurs boutiques pour éviter la casse. Entre les étals de viandes et les charrettes chargées de bananes, les policiers casqués et armés de matraques ont tiré de nombreuses grenades lacrymogènes. Les manifestants leur répondant parfois par des jets de pierre. « C’est ça la démocratie que le général Abdel Aziz veut nous vendre ! » lâche Abdou, un chauffeur de taxi, un mouchoir placé devant la bouche. « Nous, on veut que l’ancien président Sidi revienne et que les traîtres à la nation soient punis », lâche un autre homme enturbanné dans un keffieh rouge et blanc. L’ambiance est tendue, le son des pistolets lance-grenades claque dans les airs. Les coups de matraque pleuvent sur de simples passants qui avaient juste envie d’observer la scène. Policiers et civils pataugent dans les égouts à ciel ouvert. Dans la confusion générale, au moins deux personnes ont été légèrement blessées, selon le service des urgences de l’hôpital national. « Nous ne sommes que des travailleurs qui tentons de nous exprimer pacifiquement, et on nous en empêche », s’indigne El Hadj, entrepreneur dans le bâtiment.

Manifestations interdites

Dimanche dernier déjà, les militants pro-démocratie avaient tenté de descendre dans les rues de Nouakchott. Et ce en dépit de l’interdiction du ministère de l’Intérieur. D’abord regroupés aux abords de l’hôpital national, les sympathisants du président renversé avaient là aussi été rapidement dispersés par les forces de l’ordre à grand renfort de gaz irritants. A pied parfois, mais le plus souvent à l’abri dans leurs voitures, les manifestants avaient exhibé des portraits de Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi, avec écrit dessous « Le président, c’est lui ! »

Vêtu d’une longue djellaba marocaine, Heiba était très en colère. « Comment expliquez-vous que le président sénégalais Abdoulaye Wade maintienne la démocratie chez lui, et qu’il ne la souhaite pas chez nous ? », s’est-il exclamé, faisant référence aux récentes déclarations du président sénégalais en faveur des putschistes. Aux abords d’une mosquée, la chanteuse mauritanienne Tara, proche du Front anti-putsch, a elle aussi harangué les journalistes. « Non à l’usurpation de la démocratie ! Toute le pays est derrière nous et nous soutient ! Toute la diaspora est derrière nous ! », a-t-elle clamé. Une jeune femme, le visage à demi caché par sa melafa bleu nuit, la contredit pourtant immédiatement : « Nous, on trouve que le général Aziz est très bon ! On ne veut pas d’un retour en arrière », souffle-t-elle, preuve que la société mauritanienne reste profondément divisée sur cette question.

Alors que sur le front diplomatique, la junte tente toujours d’obtenir aux yeux de la communauté internationale un semblant de légitimité, le Front national de défense de la démocratie ne souhaite pas abandonner son combat. « Nous allons sans doute organiser un autre rassemblement la semaine prochaine, affirme Ahmed, un des jeunes militants.