Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Campagne présidentielle américaine

«L’effet Bradley», une théorie à la mode, mais loin d’être démontrée !

par Anne Toulouse

Article publié le 15/10/2008 Dernière mise à jour le 15/10/2008 à 15:21 TU

A trois semaines de l’élection, Barack Obama a nettement décollé dans les sondages. Certains lui donnent une avance à deux chiffres, ce qui à ce stade de la compétition est considéré comme pratiquement insurmontable par le parti adverse. Mais aucune course n’est gagnée d’avance et la singularité de celle-ci a fait ressortir l’une des tartes à la crème des élections américaines «l’effet Bradley».

L’ancien maire de Los Angeles de 1973 à 1993, Tom Bradley (1917-1998) se présenta sans succès en 1982 et en 1986 aux élections pour le poste de gouverneur de Californie.(Photo : AFP)

L’ancien maire de Los Angeles de 1973 à 1993, Tom Bradley (1917-1998) se présenta sans succès en 1982 et en 1986 aux élections pour le poste de gouverneur de Californie.
(Photo : AFP)

Pour mémoire «l’effet Bradley» est une disparité entre les sondages et le résultat réel de l’élection, lorsque l’un des candidats est noir et l’autre blanc. Il est dérivé de l’élection du gouverneur de Californie en 1982, où le candidat noir, Tom Bradley, a été battu bien que les sondages lui donnent 6 à 7 points d’avance. Une analyse ultérieure a d’ailleurs semé des doutes sur la fiabilité des sondages eux-mêmes, mais «l’effet Bradley» est entré dans l’histoire des élections américaines. Il faut d’abord bien comprendre que «l’effet Bradley» n’est pas a priori un effet du racisme, mais plutôt du politiquement correct. Les personnes interrogées, par peur de paraître racistes, ne veulent pas dire qu’elles ne voteront pas pour un candidat noir, même si la raison de leur choix électoral n’a rien à voir avec la couleur de sa peau.

Un effet très contesté

Peut-il affecter cette élection ? Beaucoup d’experts en doutent. En fait les analyses des élections récentes où un noir s’est trouvé face à un blanc ne font pas apparaître de phénomène de ce type. Par exemple lors de  l’élection sénatoriale du Tennessee, qui en 2006 a opposé Howard Ford (noir) à Bob Corker (blanc), les sondages donnaient à ce dernier un score légèrement supérieur à celui avec lequel il a finalement gagné. Dans ce cas, les sondages avaient sous-estimé le soutien au candidat noir.

On a aussi parlé d’«effet Bradley» inversé, qui ferait que certaines personnes cacheraient leur soutien à Barack Obama pour diverses raisons : des républicains ne voulant pas avouer qu’ils ne suivent pas  leur parti, ou des noirs ne voulant pas dire qu’ils votent pour un candidat par affinité raciale. Cette tendance existe peut-être, mais elle n’a pas plus été démontrée que le contraire.

Un récent sondage réalisé pour la chaine de télévision CBS fait apparaître que les personnes interrogées semblent parler librement des facteurs raciaux. Une sur cinq reconnaît que la race joue un rôle dans les choix électoraux. Les sondeurs, qui ne sont pas naïfs posent la question de manière détournée, en demandant « connaissez-vous quelqu’un qui ne voterait pas pour Barack Obama parce qu’il est noir, ou qui voterait pour lui parce qu’il est noir », dans les deux cas les tendances sont équivalentes autour de 20%.

Un phénomène parmi d’autres

«L’effet Bradley» a été brièvement évoqué pour expliquer la défaite surprise de Barack Obama devant Hillary Clinton dans le New Hampshire. L’analyse ultérieure des résultats a fait apparaître qu’il s’agissait, en fait, d’un sursaut féministe et générationnel en faveur de la candidate. Il y a en effet deux autres facteurs passionnels dans cette élection, le sexisme et ce que l’on appelle faute d’un terme exact «l’âgisme».Combien d’électeurs ne veulent-ils pas d’Hillary Clinton ou de Sarah Palin parce qu’elles sont des femmes, ou de John McCain parce qu’il a 72 ans ?

Les préjugés ont aussi leur contrepartie positive : le facteur d’affinité. Par exemple Barack Obama attire les électeurs jeunes parce qu’il l’est relativement lui-même. On peut penser que de la même façon le 3ème âge à un faible pour John McCain. Dans cet esprit, une association de jeunes juifs new-yorkais a organisé un voyage pour aller convaincre leurs grands-parents retraités en Floride de voter pour Obama !

Il ne faut pas oublier enfin que les sondages sont complexes dans un pays de 300 millions d’habitants divisés en 51 entités électorales. Ils sont particulièrement fluctuants cette année, où pour la première fois depuis plus de 50 ans aucun des candidats des deux partis n’a été précédemment président ou vice-président, et n’a aucune vraie expérience de la fonction exécutive, ce qui laisse les électeurs perplexes sur leur capacité à gouverner le pays dans une période difficile. Il faut ajouter à cela que les soubresauts de l’économie sont actuellement le vrai baromètre de l’opinion.

Dossier spécial