Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak / Etats-Unis

Washington passe le relais sécuritaire à Bagdad

par Monique Mas

Article publié le 29/10/2008 Dernière mise à jour le 30/10/2008 à 11:14 TU

(Carte : RFI)

(Carte : RFI)

C’est désormais une course contre la montre que l’administration Bush a peu de chances d’emporter. Pour autant, il ne lui est pas indifférent de planter quand même en Irak des jalons qui pourraient influer sur les choix du futur titulaire de la Maison Blanche. A défaut de négocier avec Bagdad un statut aussi convenable que le mandat onusien qui arrive à échéance fin décembre, l’armée américaine devrait en effet se contenter de la position médiocre de force d’occupation en Irak où la coalition initiale s’est déjà réduite. Pour convaincre Bagdad, qui revendique la plus large souveraineté, Washington accélère le transfert de l’autorité militaire aux forces irakiennes. Ce mercredi, c’était au tour de la province chiite de Wassit, la treizième sur dix-huit à revenir dans le giron sécuritaire irakien. Restent à régler d’épineuses questions entre chiites, sunnites et Kurdes autour du gouvernorat pétrolier de Kirkouk ou de la ville de Mossoul en particulier.

« Au nom du Premier ministre, je suis heureux d'être ici pour le passage de relais de la sécurité entre les forces de la coalition et le peuple irakien », s’est félicité ce 29 octobre le conseiller irakien à la Sécurité nationale, Mouaffak al-Roubaïe, qui avait fait le déplacement au stade de Kout, la métropole du Wassit, province chiite frontalière de l’Iran, à quelque 175 kilomètres au sud de Bagdad. Le cérémonial est désormais bien rodé. Mais il reste encore quelques gros morceaux à digérer pour des forces irakiennes qui n’ont guère brillé cette année lors des offensives lancées par le Premier ministre Nouri al-Maliki contre les bastions de son concurrent chiite Moktada Sadr, à Bassorah ou à Bagdad.

Kirkouk, Mossoul et Diyala

Outre la capitale, Bagdad, où les ambassades étrangères n’ouvrent encore qu’au compte-gouttes, témoignant des incertitudes sécuritaires, quatre provinces dépendent encore totalement de la tutelle militaire américaine : celle de Tamim où les Kurdes revendiquent la cité pétrolière de Kirkouk ; celle de Salahedinne, terre natale de Saddam Hussein et l’un des bastions d'une insurrection sunnite qui continue à agiter la province de Diyala. Diyala, qui serait toujours en proie aux partisans d’al-Qaïda malgré les efforts de noyautage de l’armée américaine pour retourner à son profit de nombreux chefs de tribu sunnites. Enfin, quatrième province promise à une réintégration irakienne difficile, celle de Ninive où la ville de Mossoul vient de connaître des affrontements confessionnels en forme d’épuration ethnique visant son importante communauté chrétienne.

Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), entre septembre et octobre, plus de 2 200 familles chrétiennes, soit environ 13 000 personnes, ont fui Mossoul où une campagne d’intimidation a fait une douzaine de morts et vu plusieurs maisons vandalisées et incendiées. Des affichages de tracts menaçants avaient en effet achevé de vider les quartiers chrétiens dont la majorité des habitants s’est réfugiée dans des villages voisins, chacune des autres communautés se renvoyant la balle pour accuser l’autre dans ces violences anti-chrétiennes. Pour sa part, le Premier ministre Maliki a même offert un million de dinars (642 euros) à chaque famille chrétienne qui accepterait de regagner ses foyers. Mais à Mossoul comme à Kirkouk, il dénonce les appétits kurdes.

Si, dans le passé, des Kurdes se sont illustrés dans des massacres de chrétiens, comme supplétifs de la Turquie contre les Arméniens en 1915 par exemple, aujourd’hui, certains observateurs notent que des peshmergas ( les forces militaires du Kurdistan autonome irakien) ont entrepris d’armer des milices chrétiennes. Dans le camp adverse, et avec le même prétexte de venir en aide aux chrétiens de la ville, Bagdad a massé des troupes en vue d’une éventuelle offensive contre Mossoul. Une perspective dont l’armée américaine préfèrerait se tenir à l’écart. Mais on comprend que les revendications de souveraineté sans cesse réaffirmées par Nouri al-Maliki ne concernent pas seulement la présence militaire américaine.

Barzani fait allégeance à Washington

Ce 28 octobre, le président de la région autonome du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, était à Washington au département d’Etat où, selon le porte-parole américain, il a discuté avec Condoleezza Rice « du soutien du gouvernement régional du Kurdistan à l'accord stratégique et au statut des forces américaines (Sofa), ainsi que des efforts de coopération du gouvernement régional avec la Turquie au sujet du PKK », la rébellion kurde d’Irak ancrée dans les montagnes du nord de l’Irak. « Ils ont aussi discuté de la nécessité pour le gouvernement régional kurde de coopérer avec le gouvernement fédéral irakien dans le cadre constitutionnel pour mettre un terme à l'impasse au Parlement sur le projet de loi sur les hydrocarbures », le partage des revenus du pétrole auquel répugne Barzani qui guigne au contraire sur Kirkouk pour parachever son emprise pétrolière.

L’avenir de l’Irak reste incertain même si comme l’a dit à Wassit le représentant de Bagdad : « il y a encore sept mois, il y avait entre 16 et 18 attaques par semaine. Maintenant, il n'y en a souvent plus une seule grâce au haut niveau de coopération entre les forces de sécurité». Pour sa part, l’Iran voisin paraît lui aussi préférer un semblant de stabilité en Irak, ne serait-ce que pour sauvegarder l’avantage chiite concédé par les Américains en 2003. Et concernant les partisans de Ben Laden, Mouaffak al-Roubaïe veut croire que « l’Irak s'est tracé un avenir prospère après avoir remporté une victoire contre al-Qaïda dont les membres commencent à retourner vers leurs lieux d'origine ». A Wassit comme dans les douze autres provinces déjà reprises en main, c’est aux autorités irakiennes que revient désormais la décision d’appeler ou non les troupes américaines en renfort. Celles-ci conservent toutefois des bases sur place où elles devraient être strictement cantonnées.

Nouri al-Maliki revendique la plus large souveraineté

Le nombre et l’emplacement des bases américaines est l’une des épines qui ont entravé la conclusion d’un accord entre Bagdad et Washington sur le futur statut des forces américaines qui pourraient rester en Irak, au moins jusqu’en 2011, si l’on en croit les dernières déclarations des intéressés. Pour le reste, après avoir été donnés à maintes reprises pour certains, les points d’accords sont régulièrement remis en question. Le 18 octobre dernier, on croyait l’affaire réglée, Nouri al-Maliki annonçant la présentation d'un projet finalisé au Parlement irakien et le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates allant dire au Congrès américain qu'un accord enfin conclu « protège les troupes américaines de façon adéquate ».

Le 18 octobre, les sadristes devaient être les derniers opposants à protester dans les rue de Bagdad contre « l’occupation américaine » en soulignant que rien ne garantissait qu’elle finirait un jour et en soulignant que Washington avait en quelque sorte obtenu l’impunité pour ses soldats puisque, selon les termes du projet d’accord, les crimes éventuels de ces derniers échapperaient à la justice irakienne, sauf s‘ils étaient commis en dehors des bases américaines et hors service commandé. Autant dire jamais. Le fait que cette manifestation des partisans de Moktada Sadr soit autorisée à Bagdad aurait sans doute dû mettre la puce à l’oreille des observateurs. Quelques jours plus tard, Nouri al-Maliki annonçait en effet qu’il allait réclamer des propositions d'amendement aux Etats-Unis, bien que ceux-ci considèrent le projet d’accord comme finalisé.

La coalition réduit la voilure

Ce 28 octobre, l'administration Bush a répondu qu’elle n’avait pas de meilleure offre à faire au gouvernement Maliki. Entre temps, le 19 octobre, le nouveau ministre britannique de la Défense, John Hutton, avait fait une visite surprise à Bagdad où stationnent toujours quelque 4 100 soldats britanniques, cantonnés pour l'essentiel à l'aéroport de Bassorah, le port pétrolier du Sud irakien. Eux aussi sont pressés de partir par le Premier ministre irakien, qui pourraient quand même en garder quelques- uns comme instructeurs. Reste à savoir combien et dans quel cadre. Comme Washington, Londres doit négocier un nouveau statut pour les troupes restantes. Mais déjà, la coalition réduit la voilure.

En 2004, la Corée du Sud avait dépêché 3 600 soldats en Irak. Un contingent déjà réduit à 650 hommes qui auront tous quitté définitivement l’Irak le 20 décembre prochain. De son côté, le 4 octobre dernier, le chef du contingent polonais, le général Malinowski, avait descendu pour la dernière fois les couleurs de la coalition sur la base militaire de la capitale de la province de Diwaniyah, au sud de Bagdad où stationnaient les 900 derniers soldats polonais. Pour sa part, l’ancien commandant de la coalition en Irak, le général américain David Petraeus, a été promu chef des troupes américaines dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan pour ses succès irakiens en matière de sécurité. Outre sa doctrine de négociation avec certains adversaires pour isoler les autres, il met en œuvre la conception du « droit de suite » récemment théorisé par George Bush, autorisant des frappes dans des pays voisins de la ligne de front mais avec lesquels les Etats-Unis ne sont pas en guerre, la Syrie et le Pakistan en l'ocurrence.

Le 20 janvier prochain, George Bush cèdera la place à la Maison Blanche. Les prétendants à sa succession divergent sur les suites à donner en Irak. Quoi qu’il en soit, nul ne peut imaginer que l’avenir de l’Irak puisse se préparer sinon se régler de manière définitive d’ici là.