par Anne-Laure Marie
Article publié le 30/10/2008 Dernière mise à jour le 10/11/2008 à 09:23 TU
Les fiançailles ont eu lieu fin octobre à Paris. Ce jour-là, la téléphonie mobile, représentée par Orange a épousé la cause de la micro finance incarnée par Planet Finance(1). En cadeau, la Fondation Bill et Melinda Gates leur ont offert un chèque de 1,7 million de dollars. Et si tout se passe bien, ces deux là auront plein de micro entrepreneurs en Afrique munis d’un portable pour faciliter leurs opérations bancaires. Tout cela vous semble abstrait ? Et pourtant, le téléphone portable « carte bancaire » est déjà une réalité en Afrique.
Déjà trois millions d'utilisateurs au Kenya
Leader des opérateurs mobiles au Kenya, c’est Safaricom qui a lancé le service en Afrique pour la première fois. Se servir de son téléphone portable comme d’une carte bancaire dans des pays où les chiffres du mobile explosent, où le nombre de personnes ayant un compte bancaire est très faible et les transferts d’argent fréquents et peu sécurisés, a été un succès immédiat. En quatre mois à peine, de mars à juin 2007, le service nommé M-Pesa avait conquis quelques 150,000 clients. En décembre, ils étaient 1 million et avaient réalisé des transactions pour un montant total de 7 millions de dollars. Ils sont aujourd’hui 3 millions. Un succès qui n’a pas échappé à l’opérateur Orange, déjà implanté dans une quinzaine de pays d’Afrique et qui a lancé à son tour un test sur le « mobile banking » en février dernier en Côte d’Ivoire. Test réussi « y compris sur des populations avec des taux d’analphabétisation élevés », le service Orange money attire de plus en plus de partenaires, comme l’explique le Directeur d’Orange pour l’Afrique de l’ouest, Jean-Michel Garrouteigt.Orange
Un service payant (2) que l’opérateur prévoit déjà de proposer à ses clients au Sénégal et au Mali. Avec la possibilité via Planet Finance de faire de petits emprunts pour lancer une activité commerciale. Déjà utilisé avec succès par la fondation Grameen au Bangladesh ou en Ouganda via les modèles de Village Phone (3), le portable se positionne désormais officiellement comme un outil de développement économique. En se mettant au service des populations, les opérateurs assurent aussi leur propres débouchés, multipliant les bonnes raisons d’acquérir un instrument qu’ils voudraient voir devenir incontournable dans les pays émergents.
Le portable pour valoriser sa production
Membre de l'Atelier des médias, c'est François qui nous lance sur la piste de Manobi "petite entreprise très innovante qui développe des applications web-SMS pour des couches sociales telles que les paysans (prix sur les marchés) et les pêcheurs" nous explique-t-il. Renseignements pris, Manobi est une des pionnières dans l'utilisation du mobile pour valoriser l'activité de certains petits entrepreneurs en Afrique. Elle propose en effet depuis plusieurs années à des cultivateurs, des pêcheurs ou des ONG de se servir du portable pour accéder à des informations les concernant et leur permettre d'en diffuser eux aussi. Les téléphones sont alors les points d’aboutissement d’un réseau d’échanges initié sur internet. Un système aujourd’hui bien rodé et dont les champs d’application ne cessent de s’étendre comme en témoigne le directeur de Manobi Daniel Annerose.Directeur de Manobi
« L’accès à l’information, c’est une première chose… Après, il faut optimiser le processus de ces petits producteurs en leur donnant des outils pour s’intégrer dans la filière où ils sont présents… »
"Et vous, à quels changements aspirez-vous dans un Zimbabwe libre ?"
Cette phrase fait partie d’un message envoyé via SMS par Kutabana, association membre d'une "communauté en ligne d'activistes zimbabwéens". Ces SMS ont été adressés aux gens sur leur téléphone portable en avril dernier, juste après les violences qui ont accompagné les élections générales dans le pays. L’association est la deuxième dans le pays à recourir à « l’activisme électronique » pour permettre à la population de dénoncer les exactions dont elle est victime. En mettant le web 2.0 au service des citoyens, Kutabana a rejoint le club encore fermé des ONG pour lesquelles le portable s’avère un puissant outil de dénonciation des abus faits aux droits de l’homme. Pour recueillir les témoignages des gens de la rue, elle a fait appel à une autre association kiwanja.net spécialisée, elle, dans les services via le mobile. Nous avons demandé à son fondateur Ken Banks si on pouvait considérer que le portable avait un réel impact politique.Fondateur de Kiwanja.net
« Les associations de défense des droits de l'homme ont été les premières à utiliser les téléphones portables. »
"Les Zimbabwéens ont été incroyablement réactifs" explique encore Ken Banks, et dans leurs réponses on pouvait voir que « la question leur avait donné de l’espoir en des temps particulièrement incertains ». Résultat : des centaines de contributions mises en ligne sur le site de Kutabana où on peut encore les consulter.
Pionnier en matière de « surveillance civile » en Afrique, Ushahidi (“le témoin” en langue swahili) est un site internet qui collecte lui aussi des informations depuis le terrain via des SMS ou des emails et les présente sous forme de cartes. Né au début de l’année 2008 au Kenya, dans un contexte de violences post électorales, Ushahidi ne dit pas que les rapports des citoyens sur les violences commises vont à eux seuls provoquer un changement politique. Mais leur accumulation, clairement représentée et diffusée sur une carte mise en ligne sur le web, est une manière de preuve pour les associations de défenses des droits de l’homme qui veulent attester de ces abus.
Fondateur de Kiwanja.net
« Le service Frontline SMS est un logiciel à télécharger sur notre site pour envoyer des SMS à un groupe de personnes. »
Si les SMS représentent un moyen efficace et de plus en plus largement répandu pour diffuser de l’information, le téléphone portable est aussi un atout précieux pour les journalistes africains. « Au Cameroun depuis quelques mois le téléphone portable me sert à moi et à certains de mes collègues pour faire des vidéos professionnelles qui peuvent être visualisées sur internet, nous explique Elisabeth. Pour elle, il s’agit d’une révolution professionnelle.
Journaliste camerounaise
« Je peux faire des vidéos et les monter directement sur mon téléphone portable. »
Et à ceux qui objectent que son téléphone est trop cher pour être dans toutes les poches, Elisabeth répond que « ce qu'il faut comprendre déjà, c'est que je suis journaliste et je me sers de mon portable offert par mon employeur qui est Africanews pour faire des vidéos. Il est vrai le prix de ce portable n'est pas loin de celui d'un caméscope c'est à dire près de 260 Euros mais il a l'avantage d’être facilement manipulable, moins lourd et discret, (…) s'il fallait que je me l'offre par mes propres moyens ce serait un peu difficile. Pour ce qui est de la connexion, je peux débourser environ 0,5 euro pour envoyer une vidéo à mon employeur."
Dans un autre registre, on pourrait aussi citer le témoignage de Sylvestre sur « ces menuisiers burkinabés qui se servent de leur téléphone pour prendre des photos de leurs meubles et pouvoir ainsi les montrer à leurs clients » : le portable-catalogue, exemple parmi d’autres de tous les usages qui sont faits du mobile en Afrique. Alors, utile ou futile, le portable en Afrique ? Si le sujet vous intéresse, la discussion se poursuit sur le site de l’Atelier des Médias.