par Catherine Monnet
Article publié le 06/11/2008 Dernière mise à jour le 07/11/2008 à 01:06 TU
Le garde-frontière égyptien perché sur sa guérite de contrôle est si proche qu’on devine son regard fixé sur l’horizon de bâches et de tentes juste en face de lui. Aujourd’hui, de simples morceaux de tissu ou de plastique cachent l’entrée des tunnels qui relient Gaza à l’Egypte et il y en a à perte de vue, sur la quasi-totalité de la ligne de démarcation de 14 km.
Derrière les bâches, des entrées de tunnels, les uns à côté des autres.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
Le blocus décrété par les autorités israéliennes après la prise du pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza puis la trêve conclue à la mi-juin ont fait exploser une activité un peu particulière : la contrebande par les tunnels de marchandises en tout genre, y compris des animaux vivants.
« Je vends des moutons, avec leur taille, ils peuvent rentrer par le tunnel. » Des animaux et des tunnels
En juin, environ 300 tunnels étaient « officiellement » en activité à Rafah, à la frontière. Cinq mois plus tard, les propriétaires de tunnels estiment que ce chiffre a plus que doublé. Il n’y a pas si longtemps, il était très difficile de rencontrer des contrebandiers. Aujourd’hui, ils expliquent sans difficulté comment ils creusent des galeries à 25 mètres de profondeur, en s’orientant à la boussole pour savoir où ressortir de l’autre côté de la frontière.
« Avec le blocus israélien, les tunnels se sont multipliés comme des petits pains. (...) Ces tunnels déjouent le blocus israélien mais Hamouda n'en tire aucune fierté, il voudrait juste que la frontière rouvre pour arrêter de devoir creuser pour simplement survivre. »
Officiellement, l’activité est considérée comme illégale. Pourtant, les autorités du Hamas profitent pleinement du trafic et contribuent même à l’organiser. Ainsi, les propriétaires des tunnels n’ont plus besoin de groupes électrogènes pour éclairer leurs galeries souterraines. Il leur suffit aujourd’hui de se rendre à la mairie de Rafah pour obtenir une autorisation de raccordement au réseau électrique. Le service est toutefois payant. « Le prix est minime et c’est la seule façon d’alimenter le budget de la mairie » plaide Jaber Keshta, le maire adjoint de Rafah, qui reconnaît « demander d’abord 800 shequels » (soit l’équivalent de 150 euros environ) aux propriétaires de tunnels pour un premier certificat, puis la somme de 10 000 shequels (2 000 euros environ) pour qu’ils puissent donner les premiers coups de pioche.
Désormais, chaque tunnelier doit signer un papier s’engageant « à ne pas faire de trafic d’armes ou de drogue et à ne pas faire travailler des mineurs de moins de 12 ans », explique Bassel, un propriétaire de tunnel en cours de construction. Le nombre d’accidents et de morts dans les tunnels s’étant aussi multiplié ces derniers mois, le Hamas supervise également un système d’indemnité. D’après Bassel, « la commission de gestion et de sécurité des tunnels du Hamas négocie la prime à verser à la famille des victimes en tenant compte des circonstances de l’accident ». Si il est avéré que le tunnelier a fait prendre des risques inconsidérés à ses travailleurs, cela lui coûtera plus cher en indemnité qu’en cas d’effondrement du tunnel après une intervention imprévue des forces égyptiennes. La vie d’un creuseur ou d’un passeur vaut actuellement entre 10 à 50 000 dollars.
« On a pas d’autre choix que de laisser faire ce trafic. C’est le seul moyen de permettre aux habitants de Gaza de vivre correctement », justifie le maire-adjoint de Rafah. « Les gens ont eu cette idée fantastique de creuser des tunnels pour trouver les produits de base dont ils ont besoin », renchérit Ahmed Youssef, conseiller politique de l’ancien Premier ministre du Hamas, Ismaël Haniyé. « Ce n’est pas une brèche dans le blocus, c’est de la simple nécessité », explique t-il encore. Mais les Gazaouis ne partagent pas l’enthousiasme des responsables du Hamas. « Les produits qui arrivent par les tunnels sont chers et de mauvaise qualité », déplore Abou Seita qui rappelle que « ce trafic ne profite qu’à une toute petite partie de la population : aux propriétaires des tunnels et au Hamas qui perçoit des taxes ». « Les tunnels permettent au Hamas de survivre », accuse encore cet habitant de Gaza qui n’a jamais eu de sympathie pour le parti islamiste. « Sans les tunnels, le Hamas serait dans le coma et il aurait été obligé de négocier avec l’Autorité palestinienne » à Ramallah, regrette-t-il.
Les services de sécurité israéliens accusent pour leur part le Hamas d’utiliser ces tunnels pour s’approvisionner en explosifs, en armes et notamment en lance-roquettes. Des roquettes Katyusha d’origine iranienne seraient même parvenues de cette façon sur le sol gazaoui.